Des pigeons voyageurs aux Twitters. Ou comment l’agence Havas fondée en 1835 par un rouennais de 52 ans d’origine hongroise est devenue l’AFP, agence de presse d’influence planétaire qui a su s’adapter aux évolutions sociétales en adoptant les technologies de pointe.

Contée par un journaliste respecté de l’Agence, Xavier Baron (41 ans de service du Vietnam à Beyrouth), l’histoire de l’Agence Havas devenue Agence France Presse en 1944 constitue d’abord un reportage trépidant sur les plus beaux faits et gestes (et aussi, avec franchise, des errements) des reporters qui ont assuré la réputation de l’Agence.

On y retrouve ainsi un récit (haletant) de la débâcle de Sedan en 1870, la « couverture » des grands conflits (la guerre 14-18, le Vietnam, l’Algérie…), les plus beaux « scoops »-la mort de Staline, l’assassinat des athlètes israéliens aux JO de Munich, la mort de Lin Biao…-les controverses sur le traitement des massacres de Guernica et de Timisoara. Un édifiant éclairage sur la manière de travailler sur le terrain des correspondants de l’Agence qui jusqu’à une période relativement récente étaient anonymes pour leurs lecteurs (la « signature »par leurs auteurs des dépêches étant réservée aux papiers originaux). Ainsi peut-on découvrir maintenant les journalistes qui ont marqué l’histoire de l’AFP : pour n’en citer que quelques-uns que l’auteur de ces lignes a connus sur la période 1950-90 : Jacques Moalic, Jean Leclerc du Sablon, Jean Vincent, Clément Braise, Claude Wauthier, Claude Cabanes…

L’info brute, fiable et rapide

Le deuxième centre d’intérêt de « Le monde en direct » vient de la capacité de l’Agence à se maintenir au premier rang des agences mondiales de presse surmontant les chamboulements politiques et sociaux. Le principe de base établi par Charles-Louis Havas « rapidement renseigné, renseigne rapidement » demeure le credo aujourd’hui encore de tout agencier et représente la meilleure arme de l’AFP. Rapide mais surtout fiable et « sourcée », la dépêche d’agence apporte (doit apporter) une information dénuée de toute opinion personnelle de son rédacteur. Une garantie pour le lecteur citoyen, souligne Xavier Baron, contre « la rumeur médiatique non contrôlée », alimentée par tout un chacun sur les réseaux sociaux. L’AFP n’en a pas pour autant privé
ses collaborateurs de comptes Tweeter au moment même où elle élargissait sa production, du texte (56 % aujourd’hui de son activité) à la photo-vidéo-
internet. Un virage qui a permis à la doyenne des agences de presse de survivre au déclin de l’écrit tout autant que le fut son internationalisation croissante.

Charles-Louis Havas et son épouse avaient créé leur agence en traduisant en
français des articles publiés en anglais, allemand, espagnol et portugais. L’AFP
de 2014 réalise à l’international un chiffre d’affaires supérieur à celui dégagé
en France, emploie des journalistes (1500) de 80 nationalités après avoir confié
dès 1999 à un anglo-saxon le poste de rédacteur en chef central toujours dévolu à un francophone.

Affrontements sur l’indépendance

Pour autant, l’AFP conserve une spécificité bien française qui tient d’abord à
son statut. Objet d’un combat incessant de Jean Marin (nom de guerre d’Yves
Morvan, un des journalistes à Londres entre 40 et 44 de l’émission « Les
Français parlent aux Français »), nommé à la tête de l’agence en 1954, le
statut du 10 janvier 1957 édicte son indépendance éditoriale vis-à-vis de tous
les pouvoirs (politique, économique…). Société sans capital, n’ayant pour
ressources que les recettes de ses services, l’AFP va de fait dépendre de ses
clients, majoritaires au conseil d’administration et toujours réticents à lui
accorder les moyens de son expansion (les quotidiens de province se montrant
peu enclins par exemple à financer un réseau de correspondants en Afrique).

Soutien déterminant de l’Agence par le biais d’abonnements, l’Etat ne s’est
pas contenté d’un rôle de « sleeping partner » et l’histoire de l’AFP est riche
de ces affrontements entre la Place de la Bourse, siège historique de l’Agence,
et Bercy-Matignon-Elysée : le poste de président est ainsi devenu un siège
éjectable quelle que soit la couleur politique du locataire de l’Elysée (Jean Marin
et son successeur Claude Roussel sacrifiés par Giscard d’Estaing, démissions des trois prédécesseurs de l’actuel titulaire, Emmanuel Hoog, à savoir Eric Giuly –en 1999- Bertrand Eveno –en 2005- et Pierre Louette en 2010).

Au quotidien, la tentation reste toujours vive chez les dignitaires de l’Etat-de tout rang- d’intervenir sur la « copie » de l’Agence, véhicule toujours majeur de l’information auprès des médias. Observateur engagé, grand connaisseur de « la maison » Xavier Baron n’en fait pas mystère même si la direction de l’AFP a toujours tenu ferme quant à son indépendance éditoriale. Il rappelle à ce sujet un incident survenu pendant la guerre d’Algérie en décembre 1960 : le ministre de l’information décide d’expulser l’envoyé spécial auprès du général de Gaulle, Jean Mauriac ; Jean Marin, informé, lui rétorque : « Nous faisons pleine confiance à notre correspondant. Prenez vos responsabilités, il prend les siennes ».

(1) Ancien de l’AFP ( 1969-1985)

– Le Monde en direct, de Charles-Louis Havas à l’AFP, deux siècles d’histoire.
Xavier Baron. Editions La Découverte. Août 2014.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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Le Magazine, Médias et démocratie

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