L’hydrogène est appelé à jouer un grand rôle dans le bouquet énergétique de demain. Toutefois, l’industrialisation des procédés à grande échelle semble inaccessible avant une trentaine d’années.

L’énergie de l’après pétrole existe. Elle était même connue avant que les hydrocarbures deviennent le socle de la croissance économique au début du 20e siècle. Car c’est en 1766 que le chimiste britannique Henry Cavendish la découvre. Mais c’est en 1783 que le français Antoine Lavoisier, effectuant une analyse de l’eau par électrolyse, donne son nom à l’hydrogène après l’avoir isolé. Un demi-siècle plus tard, en 1839, un chercheur britannique amateur (… mais avisé) en électrochimie, William Grove, invente le principe de la pile à combustible qui rend possible, comme l’indique le CEA, la production d’électricité « en tout lieu et à tout moment » grâce à l’hydrogène.
C’est cette invention que Jules Verne retiendra en 1874 dans « L’Ile mystérieuse », prédisant que l’hydrogène et l’oxygène deviendraient un jour des vecteurs inépuisables de chaleur et de lumière pour l’homme. On aurait pu alors imaginer que « l’or blanc » supplanterait le pétrole. L’eau remplaçant les produits fossiles pour produire de l’énergie, que n’a-t-on raillé les fous qui osaient y croire !

Or noir contre or blanc

Ainsi, quand le monde entier ne consommait encore que 100 millions de tonnes de pétrole par an au début des années 1900, il y avait plus d’un siècle que l’hydrogène avait été produit par électrolyse. Pourtant, ce fut l’or noir qui l’emporta. Car à l’époque, les spécificités de l’or blanc n’étaient pas encore portées à son crédit.

Certes, l’hydrogène, présent dans l’eau qui couvre les sept dixièmes du globe, passe pour inépuisable. Et c’est une source d’énergie propre. Mais la question de l’état des réserves de pétrole ne se posait pas au moment de la ruée vers l’or noir, pas plus que n’existaient le problème des gaz à effet de serre et la pollution atmosphérique.

En outre, l’hydrogène n’a pas que des avantages. D’abord, il n’est pas disponible à l’état naturel et se trouve toujours associé à un autre élément (à l’oxygène dans l’eau, ou au carbone dans les hydrocarbures et la biomasse). Il faut donc créer une réaction chimique pour le produire. Et pour créer cette réaction, il faut consommer… de l’énergie. De sorte que, dans une première approche, le bilan énergétique de l’hydrogène n’est pas forcément satisfaisant.
Tout dépend de l’origine de l’énergie primaire.

Ensuite, l’hydrogène n’est pas facilement stockable et transportable. Certes, à une température de –253°C à l’état liquide ou comprimé sous une pression de 700 bars, il peut être stocké et transporté. Mais cette manipulation est beaucoup plus compliquée que pour le pétrole, voire même que pour le gaz naturel dont les coûts d’acheminement sont deux fois moins élevés.
Reste, enfin, le pouvoir énergétique de l’hydrogène. En théorie, il est favorable. En effet, 1 kg d’hydrogène peut libérer 3 fois plus d’énergie que 1 kg de carburant automobile. Mais en pratique, le rapport n’est pas aussi satisfaisant : étant de loin le plus léger des éléments chimiques, l’hydrogène occupe, à poids égal, un volume beaucoup plus important que les autres éléments. De sorte que, pour un même volume, le poids de l’hydrogène est bien inférieur à celui des autres éléments, et le pouvoir énergétique n’est plus aussi avantageux.
Ainsi, dans un mètre cube, le pouvoir énergétique du gaz naturel est-il quatre fois plus élevé que celui de l’hydrogène, celui du carburant automobile étant près de cinq fois supérieur.

Pile à combustible et prix du baril

Ces caractéristiques expliquent pourquoi l’hydrogène ne s’est pas imposé face aux dérivés du pétrole, largement disponibles et beaucoup plus faciles à manipuler. Et, par là, bien moins coûteux.
En outre, la pile à combustible est d’un coût de revient encore exorbitant, produisant un kwh plus cher que celui d’un moteur à explosion. Toutefois, dans certaine configurations, son utilisation peut se révéler pertinente. Cette pile est destinée à alimenter un moteur électrique, sur des postes fixes ou des véhicules. A l’intérieur, l’hydrogène est combiné à l’oxygène pour créer, précisément, de l’électricité. Et alimenter ainsi un moteur électrique en ne rejetant… que de l’eau. Les recherches, quasiment au point mort pendant les décennies de pétrole à bas prix, ont repris dans les bureaux d’études des grands constructeurs automobiles (à l’exception notable des deux grands groupes français, qui n’avaient déjà pas cru en l’hybride). Certains prototypes sont en circulation.

Ainsi, malgré l’écart de coût encore prohibitif, rien n’est pourtant rédhibitoire, estiment les spécialistes. En France par exemple, l’Ademe continue de lancer des appels à projet. D’abord, pour des raisons économiques tenant aux prix du baril. Ensuite, pour des raisons environnementales : l’accélération du réchauffement de la planète à cause de l’émission des gaz à effet de serre provenant de l’activité de l’homme, implique de développer des énergies qui ne dégagent pas de gaz carbonique.


Avec le nucléaire ou l’éolien

C’est là que la combinaison des énergies intervient. Obtenu à partir des hydrocarbures, l’hydrogène ne règle rien. D’une part, cette méthode suppose la disponibilité de gaz naturel. D’autre part, elle se traduit par une forte production de gaz carbonique qu’il convient au contraire, pour des raisons environnementales, d’éliminer. Pour que l’hydrogène devienne une réelle solution pour l’après pétrole, il doit donc être produit par électrolyse de l’eau puisque cette méthode, outre l’hydrogène, a l’avantage de ne produire que de l’oxygène.

Mais problème : en production de masse, il faut de l’électricité, énormément d’électricité, pour obtenir les volumes d’hydrogène nécessaires. Si cette électricité primaire est d’origine thermique, le bilan de l’opération en termes de rejets de gaz carbonique, est nul. En revanche, si cette électricité a une origine non polluante, le bilan pour l’environnement est entièrement positif. C’est pourquoi l’un des débouchés de l’industrie nucléaire peut devenir la production d’hydrogène.

Compte tenu de la chaleur dégagée par les réacteurs nucléaires haute température de nouvelle génération, les molécules d’eau peuvent être directement dissociées, libérant à la fois de l’hydrogène et de l’oxygène. Cette méthode permet alors de s’affranchir totalement du pétrole ou de toute autre source d’énergie dégageant du gaz carbonique.

Toutefois, compte tenu des infrastructures à mettre en place et des débats que le nucléaire civil suscite, il n’est pas certain que les quantités ainsi produites soient significatives à l’échelon des pays et des continents.

L’éolien offshore peut aussi être utilisé pour la production d’hydrogène, notamment la nuit lorsque la consommation d’électricité est réduite. Car si l’électricité ne peut être stockée, l’énergie fournie, gratuite et non polluante, peut servir à produire de l’hydrogène qui, lui, peut être stocké. Il ne reste plus à l’utiliser pour produire de l’électricité selon les besoins.

Pour l’économiste américain Jeremy Rifkin, le monde a déjà un pied dans l’après pétrole. Et l’hydrogène serait la clé de l’avenir pour des sociétés entièrement dépendantes de leurs capacités à produire de l’énergie pour vivre et se développer.
Rifkin anticipe, mais il se situe dans le monde du possible. Ses projections n’ont rien d’utopiques, car l’homme sait aujourd’hui produire l’hydrogène et le stocker. Cet économiste va même jusqu’à prédire la construction d’un futur réseau d’hydrogène, « l’hydronet », dont le contrôle pourrait faire naître des appétits de pouvoir… comme le réseau internet à ses débuts.
Le parallèle va même plus loin. Car grâce à ce réseau hydronet, la production d’énergie à partir de piles à combustible pourrait être décentralisée au niveau de chaque foyer tout comme internet a décentralisé l’accès à l’information. Ce qui bouleverserait des pans entiers de l’économie.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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