D. Sabo

Plus que jamais, les questions sociétales soulèvent nombre d’inquiétudes. Quand on parle d’avenir, les nuages sombres s’amoncellent : la fonte de la banquise, la pollution des grandes métropoles, les épuisements de nos ressources…. Qu’il s’agisse du réchauffement climatique, des énergies de demain, des menaces faites à la biodiversité…la question du progrès est malmenée. Les progrès de la santé, du bien être, de l’éducation, semblent passer au second plan, quand ils ne sont pas soupçonnés d’effets pervers. Les mots « catastrophes, menaces, incertitudes, font désormais partie du vocabulaire courant de notre société quand elle décline le mot progrès. Pourtant que de bienfaits la science a apporté.

Malaise dans la science-société

Personne ne peut contester que les avancées de la science ont contribué à rendre possible l’amélioration de notre société, de notre santé et de notre vie sur terre, quand bien même le développement de l’économie que ces progrès ont permis n’a pas fait disparaître la misère de bien des populations, ni empêché le gaspillage des ressources. Les dégâts provoqués sur l’environnement par les dérives industrielles qui l’ont accompagné provoquent inquiétudes et interrogations. Force est de le constater : la notion même de progrès scientifique est aujourd’hui malmenée. Sans doute notre modèle de développement a-t-il aujourd’hui atteint un seuil qui impose un exercice plus vigilant de notre esprit critique et une plus grande proximité entre l’aventure de la science et celle de la démocratie. Car l’on sait que les découvertes et les innovations n’entraînent pas automatiquement le bien être de la société. Pourtant la science en est plus que jamais la condition nécessaire. Cette vigilance suppose que les chercheurs et les citoyens s’impliquent plus fortement dans les réflexions collectives et les actions à engager pour notre avenir. Cette vigilance suppose aussi de redéfinir de nouvelles médiations entre la société et la science.

Ethique et participation citoyenne

Nombreux sont les observateurs à juger que le débat science/société doit aujourd’hui mieux définir ses règles et édifier de nouvelles bases. Les raisons à cela sont de divers ordres. Des considérations éthiques radicalement neuves, et d’une variété inédite, sont posées par les avancées mêmes de la science. La rapidité avec laquelle les découvertes et les innovations circulent impose de réactualiser les informations en permanence et d’inventer de nouvelles façons d’en débattre. La complexité des problèmes posés par les avancées de la science a tendance à confisquer le débat démocratique au profit des seuls experts. Les nouvelles peurs de la société résultant des recherches menées dans des domaines nouveaux sont amplifiées. A ces raisons s’ajoute la déconnexion du progrès scientifique avec les préoccupations sociales. Enfin, les publics les plus actifs qui s’emparent de ces questions sont parfois davantage animés par des préoccupations idéologiques que par le souci de connaissance. En outre, derrière la légitime présence de la participation citoyenne, se pose la question de la nature de l’information exposée et de « l’égalitarisme » des points de vue. Tous les avis ne se valent pas. Comme le démontrent les vives discussions relatives aux nanoparticules, à la fusion nucléaire (ITER), à la grippe aviaire, à la vache folle, aux hormones de croissance, aux cellules souches, aux OGM, ou encore à la surveillance numérique, les débats sur ces sujets, faute de clarté, souffrent de confusion et connaissent l’emballement.

Un savoir difficilement partagé

Si les nombreuses discussions sur la question du risque et du principe de précaution ont eu le mérite d’ouvrir publiquement ces questions relatives au progrès de la connaissance, notamment sur les questions environnementales et sanitaires, elles n’ont pas été en mesure de les approfondir et de générer un savoir partagé. Submergés d’informations en tous sens, souvent non validées, nous sommes dans l’incapacité de tout comprendre, de tout vérifier de tout intégrer. Il devient difficile de se forger une opinion raisonnable. Difficulté renforcée par le fait que le discours dominant de l’innovation mélange des registres parfois contradictoires; l’intérêt industriel, l’exigence scientifique et la fascination pour la vitesse des technologies. Rien dans ces conditions qui ne puisse satisfaire un dialogue serein sur les menaces ou les espoirs suscités par tel ou tel enjeu, telle ou telle découverte. On l’aura deviné, l’éducation est en première ligne pour fournir aux citoyens les éléments de base de la connaissance scientifique. L’école est au préalable de toute formation du jugement. Or, il faut bien l’admettre, les éducateurs n’ont pas vraiment les moyens de leur mission.

Poser la question des relations entre science, société et médias, c’est s’interroger sur les rapports dynamiques entre plusieurs champs sociaux et sur la nature de la rivalité entre les différentes instances de pouvoirs mis en jeu.

C’est aussi tenter de comprendre les modalités de fonctionnement des lieux de débat, et les changements que ces modalités provoquent sur les acteurs de ces mêmes débats. Le phénomène actuel de la démocratie participative connait aujourd’hui un relief particulier. Le travail de la Commission Nationale du Débat Public, les nouvelles lois en matière de consultation publique, la loi Barnier sur le principe de précaution, mais aussi l’influence exercée par de nombreux contrepouvoirs autour de la question écologique et altermondialiste ont amené une implication plus soutenue des citoyens dans les processus de dialogue sur les grandes orientations scientifiques.

Les sciences citoyennes : une initiative allemande

Le Ministère fédéral allemand de l’enseignement et de la recherche (BMBF) vient d’annoncer le lancement d’un nouveau portail internet, visant à promouvoir les sciences citoyennes (Citizen Science).
Cette notion désigne les processus de participation de citoyens amateurs, passionnés par une discipline, à des projets de recherche scientifique. Sans se substituer au travail des chercheurs, ces non-professionnels peuvent, par le biais de leurs observations, inventaires et données de terrain, apporter une contribution précieuse au travail scientifique. Cette logique, qui n’est pas sans rappeler celle des sociétés savantes autrefois, se prête particulièrement aux sciences naturelles, à la recherche sur le climat et à l’astronomie. Les classifications d’espèces animales et végétales, le suivi des écosystèmes ou l’observation d’objets célestes sont autant de thèmes pouvant faire l’objet d’un travail collaboratif.

Avec l’avènement de l’internet participatif, les sciences citoyennes sont aujourd’hui en plein essor.

Les réseaux sociaux et le web 2.0 facilitent l’échange d’informations et les interactions entre internautes. C’est pourquoi le BMBF a décidé de créer la plateforme « Bürger schaffen Wissen » [1] (« Les citoyens produisent le savoir »). « Les sciences citoyennes représentent une chance pour la recherche, et un bénéfice pour tous ceux qui s’engagent volontairement dans cette démarche » explique la Ministre fédérale de l’enseignement et de la recherche, Johanna Wanka. « Cela contribue également à replacer la science au centre de la société ».

Sur le site, les scientifiques pourront présenter leurs projets de recherche, et partager en direct l’évolution de leurs découvertes avec le public. Ils pourront également rentrer en contact avec des « citoyens-experts » susceptibles de les aider dans leur démarche. De la même manière, le public accèdera librement aux informations relatives aux projets ouverts à participation, et pourra solliciter les chercheurs d’un simple clic. Toute personne peut prendre part aux projets, sans distinction d’âge, de cursus ou de nationalité. L’opération peut également revêtir un intérêt pour sensibiliser les groupes scolaires aux métiers de la recherche.

Une plate-forme de débat citoyen science/société

L’association Place Publique propose l’idée d’une plate-forme d’échanges et de médiation sur les conditions du débat citoyen autour de la problématique science/ société.
Le projet consiste à trouver une pédagogie adaptée afin que les débats sur notre avenir et celui des jeunes générations se déroulent dans la construction d’un dialogue serein, la tolérance des points de vue et l’évaluation continue des problèmes posés. Un des buts de ce dialogue est de sortir du système binaire « no future/avenir radieux » qui, confinant la discussion démocratique dans d’erratiques querelles religieuses, empêche tout débat public et met la recherche en porte-à-faux, dans son expression publique.

Plus précisément, l’objectif est de :

Permettre aux acteurs de la diffusion de la science (chercheurs, enseignants, journalistes, associations de citoyens, industriels, politiques. ..) de dialoguer et de promouvoir un débat ouvert sur les relations science-société.

Créer les conditions d’un dialogue qui permette d’évoluer vers des consensus soutenables.

Clarifier les enjeux des débats sur les sujets sensibles.

Fournir des clés pour une discussion raisonnable et contribuer au progrès de l’information dans des domaines qui sont encore difficiles à appréhender et qui vont pourtant être déterminants dans les années futures: nanotechnologies, cellules souches, biologie synthétique, neurosciences, organismes génétiquement modifiés, impact numérique sur la démocratie, transition énergétique…

Mettre en évidence le rôle des associations qui favorisent le débat science/société.

Montrer en quoi les ressorts d’internet sont susceptibles de favoriser une forme de médiation citoyenne en dehors de tout intérêt commercial ou partisan.

Promouvoir une « société de la connaissance » qui ne soit pas un slogan mais un ferment .

Eclairer la décision publique dans ses choix scientifiques et technologiques sur le terrain de l’innovation responsable.

Apporter des outils concrets et un mode d’emploi pour faciliter les débats science/société