Place Publique

Les enseignements du débat citoyen : inquiétude, mais attentes
 à l’égard des réformes. À l’occasion de ses travaux sur “Quelle France dans 10 ans ?” le Commissariat général à la stratégie et à la prospective a conduit une vaste concertation, accordant une large place au débat citoyen.

Le constat est celui d’un grand pessimisme des Français sur la situation de notre pays, tempéré par un relatif optimisme sur leur avenir personnel, mais aussi d’une énergie latente, prête à être mobilisée autour de la rénovation de notre modèle social et économique. Parmi les personnes interrogées, certaines, faute de projet fédérateur, s’enferment dans le repli sur soi et le rejet des autres. D’autres, percevant des voies de changement, sont prêtes à accepter des réformes de la population mes qui viseraient à préserver notre façon de vivre ensemble.

La tentation du repli

Sans surprise, l’étude de l’opinion fait apparaître le haut niveau de pessimisme des Français, que ce soit sur le plan économique (44 % s’attendent dans les dix prochaines années à une croissance négative ou nulle, et 46 % à une croissance faible) ou sur le plan de la cohésion sociale (72 % prévoient à horizon de dix ans des tensions entre les groupes composant la société).

Cette vision négative de notre avenir commun amoindrit la capacité des citoyens à s’intéresser à des projets collectifs comme l’écologie, reléguée dans le baromètre du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) dans les derniers rangs des préoccupations, loin derrière le chômage (14 % contre 50 %). Pour ce qui est de la préservation de l’environnement, les Français ont par ailleurs le sentiment d’avoir déjà fait de nombreux efforts, qui ne portent guère leurs fruits. Dans les solutions à mettre en œuvre, ils privilégient alors l’investissement technologique (58 %) ou la sanction de ceux qui ne respectent pas les règles (54 %), davantage que la restriction de leur propre consommation (31 %), en rejetant la responsabilité du changement sur d’autres acteurs, entreprises ou sur d’autres pays. Seuls les plus jeunes, sur le site fr10a.fr, formulent quelques idées pour transformer la vie quotidienne (transports, déchets, gaspillage, emballages, mais aussi énergie, agriculture).

Ce regard sombre sur l’avenir se traduit aussi par un repli sur soi. Il s’incarne par exemple dans les quelques propositions du site fr10a.fr portant sur l’Europe, dont une part importante vise à sortir la France de la zone euro. On peut également observer cette tendance au repli dans le souhait de limiter l’immigration, de restreindre les droits sociaux pour les étrangers (fr10a.fr), ou encore dans les suggestions très radicales concernant la criminalité (comme le rétablissement de la peine de mort).

Partant des mêmes constats, d’autres citoyens mettent en avant des explications plus sociales (chômage, discriminations) et privilégient des solutions visant à renforcer l’engagement de tous dans la collectivité. Ainsi, sur le site fr10a.fr, les internautes ont souvent évoqué la restauration du service militaire, et plus encore l’extension du service civique, ou le développement de la participation à des associations.

La démocratie en question

Les Français se montrent tout aussi défaitistes sur la capacité du pays à se réformer : les conservatismes et les corporatismes (la “mentalité française”) sont ainsi souvent stigmatisés comme vecteurs d’immobilisme, empêchant des réformes d’ampleur. Mais ils ne sont pas pour autant fatalistes : s’ils ont l’impression d’avoir déjà consenti beaucoup de sacrifices, ils expriment encore l’envie de croire à un avenir commun.
Ce désenchantement s’associe ainsi à un intérêt manifeste pour la démocratie et le débat public.

Les citoyens s’avouent désabusés quant au fonctionne- ment de notre démocratie représentative et au comportement de nos élus. Ils préconisent de moraliser la vie publique et de réaliser des économies par le non-cumul des mandats, la limitation des indemnités parlementaires, ou encore la suppression d’une des deux chambres parlementaires (fr10ans.fr). La simplification des échelons administratifs leur paraît également une voie d’amélioration. Un internaute explique son raisonnement : “Limiter le nombre de mandats des élus (un mandat national ou européen et deux mandats locaux). (…) Où trouvent-ils le temps pour s’occuper de tout ? C’est juste un moyen pour cumuler des salaires (ou devrais-je dire des traitements), et plus tard des pensions de retraite.”

Par ailleurs, si les citoyens estiment (à 64 %) que le vote reste le moyen le plus pertinent pour exprimer son opinion, ils évoquent de nombreuses pratiques complémentaires de démocratie participative : les sites internet sont particulièrement à l’honneur, ainsi que les référendums. Indice supplémentaire de cet engagement qui ne demande qu’à s’incarner : les concertations proposées par le CGSP ont été très bien accueillies, même si les participants doutent un peu du relai qui sera donné à leurs propos.

La pierre angulaire de la participation est l’information des citoyens. De nombreuses propositions ont notamment porté sur le fonctionnement des médias (un internaute de fr10a.fr : “J’espère qu’il existera de vrais médias indépendants qui proposent une information éclairée basée sur des faits, et pas des interprétations partisanes”), la publication des réalisations des élus (sous forme de compte rendu de mandat), la formation des citoyens à l’exercice de la démocratie (par exemple par la mise en place de débats en classe de primaire).
Ce manque d’information (ou sa dimension excessivement technique) entrave l’adhésion au projet européen, et limite la faculté de se projeter dans l’avenir ; ainsi, quand on les interroge sur les futurs possibles pour l’Europe, les Français se répartissent en quatre parts quasiment égales entre le renforcement de l’union, celui de la zone euro, la simple coopération et la fin de l’Europe. Sur le site fr10a.fr, quelques initiatives témoignent de la volonté de symboliser l’Europe par des projets concrets, comme la création d’une équipe olympique européenne.

Justice, prévention, équilibre financier… de fortes attentes pour Le modèle social

Les Français tiennent à leur modèle social tout en étant conscients de ses faiblesses. L’augmentation des inégalités se place au premier rang des préoccupations des citoyens pour les dix ans qui viennent. Ce niveau d’inquiétude se révèle particulièrement élevé, y compris par rapport à d’autres pays comparables (Crédoc). L’école pourrait être un vecteur de lutte contre ce problème, mais elle manque pour le moment d’efficacité aux yeux des Français : 51 % d’entre eux considèrent qu’elle ne réduit pas les inégalités sociales, et 26 % qu’elle les augmente, alors qu’elle pourrait être le lieu de leur résolution précoce.

Les Français sont attachés à un système hybride de protection sociale. Ils ne perçoivent pas comme contradictoires le fait d’assurer un minimum vital à chaque individu (une société juste doit le garantir pour huit Français sur dix) et l’objectif de réduction des inégalités (partagé par 58 % des Français). Ils sont satisfaits de leurs services publics, notamment de leur système de santé. Les Français font une distinction claire entre les domaines qui devraient avoir une vocation universelle (maladie), contributive (chômage, retraite), ou plus ciblée (famille), selon une répartition très proche de la situation actuelle.

Si les risques couverts par le système de protection sociale satisfont une majorité de Français, notons toutefois que les jeunes se disent assez favorables à l’idée d’élargir le champ au logement ou à la formation. Enfin, à l’avenir, 60 % des citoyens jugent opportun de réorienter la protection sociale vers davantage de prévention (et plus des deux tiers estiment qu’il faut investir prioritaire- ment dans l’emploi, la formation, l’éducation). Mais les entretiens montrent qu’il est compliqué de sélectionner les actions curatives auxquelles il faudrait renoncer.

Au chapitre des difficultés de ce modèle est évoquée la dette, qui est curieusement sous-estimée. En effet, le discours alarmiste est décrédibilisé par le fait que la faillite du système, annoncée depuis plusieurs années, n’a pas eu lieu. La chasse à la fraude aux prestations semble aux citoyens pouvoir suffire à combler le “trou de la sécu”, alors que les sommes en jeu sont sans commune mesure avec la dette. Cependant, placés devant le choix entre un accroissement des recettes via les impôts ou une diminution des dépenses, les Français se positionnent largement sur le second item (61 % vs 30 %).

Une économie plus dynamique, tournée vers l’emploi

Les questions relatives au modèle de production suscitent un vif intérêt, en raison de leur impact sur l’emploi. Mais les images que les Français en ont ne sont pas exemptes de contradictions.
Nostalgiques d’une industrie française florissante, 62 % d’entre eux souhaitent privilégier ce secteur. Mais certains soulignent la dégradation du rapport qualité-prix de la fabrication française, liée notamment à une faible capacité d’innovation, en dehors de certains secteurs qui apparaissent compétitifs (le nucléaire ou la construction aéronautique).

Aucune des pistes avancées pour rendre le système productif plus efficace ne s’affirme plus qu’une autre. L’amélioration des relations entre l’ensemble des acteurs économiques (banques et entreprises, État et entreprises, relations internes aux entreprises) semble indispensable à une très grande majorité de Français, au même titre que la rénovation du système de formation. Sur ce point, les plus jeunes, particulièrement présents sur le site, multiplient les propositions sur les méthodes éducatives, les matières étudiées (les langues étrangères étant à l’honneur) et les passerelles entre la formation et l’emploi. De façon plus ponctuelle, pour relancer l’économie, la sanction (empêcher les entreprises de délocaliser 56 %), la formation professionnelle (51 %) et l’allègement des charges des entreprises (50 %) apparaissent comme trois voies complémentaires, juste devant la création d’entreprise. Les internautes de fr10a.fr mettent également l’accent sur plusieurs secteurs jugés porteurs : l’écologie, la culture, le social et les nouvelles formes de consommation.

Enfin, de nombreux Français, et notamment les entrepreneurs, expriment le besoin aigu d’une simplification de la vie administrative, qui soutiendrait l’économie et faciliterait le quotidien. Ainsi, sur la question fiscale, un inter- naute propose : “Et si l’on simplifiait l’imposition par un système compréhensible par tous ?” À cette demande de simplification s’ajoute aussi un souci de lisibilité et de stabilité des règles du jeu de l’action publique, présentée comme opaque et versatile.

Tous les thèmes ne font pas l’objet du même degré de consensus dans la population. Le thème de la diversité de la société, après un constat commun sur la fragilité de la cohésion sociale, est celui sur lequel s’opère le clivage le plus net, avec d’un côté les tenants du respect des lois communes, qui stigmatisent des phénomènes d’incivilité et de refus d’intégration de populations immigrées, et de l’autre les défenseurs de la solidarité, qui dénoncent l’intolérance et le racisme de la société française. Pour ce qui est du modèle social, les Français les plus âgés, se référant à leur passé, ont une vision sombre de son évolution, alors que les plus jeunes et les entre- preneurs en ont une appréciation plus positive, en regard de ce qui existe dans d’autres pays. Hormis ces deux sujets, les citoyens partagent globalement les constats portés sur la société française, perçue comme difficile- ment réformable, et sur ses représentants, vus comme éloignés de leurs attentes. Le consensus est également large sur l’intérêt de préserver notre modèle social, sur la nécessité de rénover notre économie et sur l’envie des Français de participer plus activement à leur futur commun.

L’opinion de la population a été recueillie au moyen de méthodes variées et complémentaires sondage : une photo de l’opinion
1 083 personnes, représentatives des Français de plus
de 15 ans, ont été interrogées par téléphone, du 16 au 19 octobre, par BVA. Il s’agissait de recueillir, sur chacun des thèmes abordés dans les chantiers traités par le Commissariat, les préférences majoritaires entre plusieurs options concurrentes de politiques publiques.