Alors que les déficits budgétaires contraignent les gouvernements à mener des politiques d’investissement rigoureuses sans pour autant laisser sur le bord de la route leurs obligations sociales, de nouveaux instruments financiers « alternatifs » voient le jour associant financement privé et financement publique au bénéfice de l’intérêt général.

Produits partage, produits d’investissement solidaire, épargne salariale, capital risque philanthropique…la finance à « utilité sociale » n’en finit pas d’innover pour pallier au désengagement de la puissance publique. Dernier né dans ce paysage en constante évolution : les Social Impact Bonds. Ces obligations d’utilité sociale participent au financement des besoins sociaux, bousculant toujours un peu plus, les frontières entre le marchand et le non marchand, entre le secteur privé, public et associatif. Cet instrument financier hybride répond en effet à la nécessité de lever des capitaux privés pour financer des programmes sociaux, initialement pris en charge par les pouvoirs publics.

L’outil assez proche du venture capital, repose sur le paiement aux résultats.

Le dispositif est simple : des fonds d’origine privée (fondations privées, investisseurs sociaux…), sont affectés à la réalisation d’un projet social (réinsertion de délinquants, de personnes sans abris, exclusion scolaire, aide médicale aux plus âgés…). La réalisation du projet est confiée à une association/fournisseurs de services sociaux. Au terme de l’opération, les investisseurs privés récupèrent les fonds investis ainsi que les intérêts si l’objectif « social » fixé en amont est atteint. En cas d’échec, ils assument le risque en totalité. Pour les pouvoirs publiques ou les collectivités, le dispositif est astucieux car au au lieu d’être engagés financièrement en amont du dispositif, ils ne le sont qu’en aval, au vu du résultat.

Pionniers : les anglo-saxons

Développé historiquement au sein des pays anglo-saxons, le premier SIB britannique, émis par le ministère de la justice, a vu le jour en 2010 et concernait la réinsertion de 3000 prisonniers de la prison de Peterborough (GB). Cinq millions de livres (5,9 M€) ont ainsi été levés sur 6 ans. Un objectif de baisse de 7,5% du taux de récidive de ses prisonniers a été fixé afin de déclencher le paiement des investisseurs. « Deux nouveaux SIB ont été annoncés par le gouvernement britannique pour une valeur de 8 millions de livres afin de lutter contre les « sans domicile » à Londres et les « adolescents à risque dans le Comté d’Essex » mentionne une note publiée en décembre 2013 par la Fondapol, Fondation pour l’innovation politique ( « Un outil de finance sociale : les social impact bonds »).

Le modèle s’est également développé aux Etats-Unis par le biais de l’organisation Social Finance Ltd, pionnier de cette solution de financement social. L’Australie et le Canada ont suivi avec des modèles comparables de « rémunération au rendement ». Si le dispositif est innovant, il est néanmoins trop tôt pour juger de sa véritable efficacité ; “Le développement des Social impact bonds demandera des années. Comprendre les impacts et leurs mesures va prendre du temps. A l’heure actuelle, aucun des programmes pilotes n’est encore arrivé à son terme. Il est ainsi difficile de mesurer l’efficience de telles approches” relate David Hutchinson, Directeur de social Finance .

Freins culturels en France

Les SIB pourront t-il s’imposer en France, pays régalien par excellence et peu enclin au changement ? C’est la question que s’est posée la société de conseil en social business SB Factory qui a réalisé une étude sur le sujet. Freins culturels, organisationnels, barrières idéologiques, risques financiers….le bilan de cette première enquête est en demi teinte. « La puissance de l’Etat Providence en France et la timidité des initiatives de financement social par le privé, font que l’outil parait de prime abord peu adapté à la situation française. La voie la plus adaptée aux SIB se trouve du côté des territoires pour des programmes à l’échelle locale de petite ampleur” explique Marion Vallet-Moison, co-fondatrice de SB Factory.

Reste que à l’heure où les dépenses publiques dans certains secteurs –récidive, logement social, réinsertion, soins des sans abri-, ne cessent de croitre, le modèle des Social Impact Bonds pourraît s’avérer pertinent pour flécher les liquidités vers les organisations dont l’objectif est de générer un impact social et environnemental mesurable, en plus d’un retour sur investissement financier.

C’est en tout cas la conviction de Jacques Attali qui dans son playdoyer pour l’Economie Positive appelle à un développement national des SIB et des green bonds à travers la création d’une structure légale. L’expert recommande « d’entamer un travail d’identification des sujets qui pourraient être traités par ce moyen (logement des sans-abri, santé publique, éducation), selon les différentes échelles d’actions possibles (lancement de bonds infranationaux, nationaux ou internationaux) ».

Une idée à suivre.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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ECONOMIE

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