L’économie liée aux besoins des seniors devient l’objet d’une filière spécifique.
Le vieillissement de la population est, selon l’ONU, l’un des trois grands défis du XXIe siècle. Dans le monde. Et en France également. Ce qui explique le soutien apporté par le gouvernement Ayrault à l’installation d’une filière industrielle dédiée à la « silver économie », spécifiquement orientée sur les besoins des seniors.

Il s’agit de conforter dans l’Hexagone « les conditions d’émergence d’un marché de technologies de services et de produits autour de l’autonomie des jeunes âgés », ont expliqué Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, et Michèle Delaunay, ministre déléguée en charge des personnes âgées, en signant fin 2013 un contrat de filière avec les industriels concernés. Mais l’objectif consiste aussi à exporter ce savoir-faire aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, au Japon ou en Chine où la problématique du vieillissement se pose également.

Ainsi, en France début 2012, le nombre des personnes âgées de 60 ans et plus représentait, selon l’Insee, 23,4% de la population. Soit près d’une personne sur quatre. Au milieu du siècle, on en comptera une sur trois. Et si on considère les personnes de 75 ans et plus qui composaient 7% de la population en 2000, elles sont aujourd’hui 9% et devraient représenter 16% des Français vers 2050. C’est-à-dire que, en un demi-siècle seulement, la proportion de personnes de 75 ans et plus dans la population française aura plus que doublé!

Capter l’épargne des seniors au service de la croissance

Cette évolution de la démographie va inéluctablement avoir des répercussions sur la vie économique et sociale, sur l’organisation du travail, le financement des retraites et de la santé. Déjà aujourd’hui, le total des dépenses consacrées à la santé, aux retraites et à la formation représente 35% du produit intérieur brut (PIB) du pays, et les personnes de plus de 60 ans en absorbent 16%.

Pourtant, vieillir n’est pas une maladie. Et l’allongement de la durée de vie – et surtout de la durée d’activité et d’autonomie – est un progrès. Aujourd’hui, même après la cessation de l’activité professionnelle, un homme a encore en moyenne une durée de vie de 23 ans, et une femme de 27 ans.

Il s’agit donc de transformer cette évolution en une dynamique positive pour la société. Car les seniors peuvent devenir des relais de croissance grâce à leur engagement dans les structures familiales et sociales, mais aussi grâce à leur patrimoine et à leur consommation.

Globalement, selon le Crédoc qui analyse la consommation et les modes de vie, les seniors ont les capacités financières d’occuper une plus grande place qu’aujourd’hui dans le processus de consommation. Car les dépenses des foyers diminuent avec l’âge plus vite que le revenu disponible. En clair, pour de nombreux ménages, plus on vieillit, plus on pourrait consommer… et moins on consomme. De sorte que les seniors composent la catégorie de la population qui épargne le plus.

Bien sûr, les situations sont très diversifiées. Mais en moyenne en 2010, selon ce centre de recherche, le taux d’épargne des plus de 50 ans atteignait 17%, et même 28% pour les retraités de plus de 70 ans vivant en couple. Certes, ils utilisent cette épargne pour aider financièrement les jeunes générations, et ce soutien est particulièrement marqué pendant les périodes de crise. C’est une des fonctions que revendiquent les seniors et qui est génératrice de lien intergénérationnel dans la société. Mais au-delà, on voit bien que ces seniors ont un rôle à jouer dans la vie économique, plus important qu’aujourd’hui.

Les projections du Crédoc vont dans ce sens : « A l’horizon 2015, le poids des seniors (de plus de 50 ans) dans les dépenses de consommation dépassera les 50%, soit plus que leur poids démographique (39%) ». L’amélioration de la qualité de vie intervient également : aujourd’hui, à âge égal, les seniors sont plus actifs qu’au siècle dernier. Grâce aux progrès de la médecine et surtout à la prévention et au dépistage, la durée d’activité chez le seniors a considérablement progressé. La consommation de loisirs, et notamment les voyages, s’en trouve augmentée.

Les dépenses dans ces secteurs viennent s’ajouter à celles, plus traditionnelles dans l’alimentation et la santé, ainsi que dans les assurances où les seniors pèsent d’un poids encore plus lourd. « Il existe des opportunités pour les entreprises française », insiste le Crédoc. Car si les grandes entreprises accompagnent l’évolution du mode de vie des seniors, les PME restent encore largement en dehors du mouvement.

Les personnes les plus âgées ont besoin de produits et services spécifiques et surtout de modes de distribution adaptés à leur mode d’existence et de mobilité. Ils constituent ainsi un relais de croissance à fort potentiel pour les acteurs économiques. D’où la création d’une filière autour de la « silver économie ».

Des solutions pour la perte d’autonomie

La dépendance liée au grand âge est un autre aspect de ce volet économique. En 2010, d’après le Conseil économique, social et environnemental (CESE), « les dépenses liées à la dépendance sont d’environ 34 milliards d’euros », dont 8,5 milliards pour la perte d’autonomie proprement dite, 10 milliards pour l’hébergement, et le reste pour la santé. L’intervention publique est de l’ordre de 24 milliards d’euros. Les dépenses privées sont donc de l’ordre de 10 milliards d’euros.

Le gouvernement Ayrault a remis en selle le principe de solidarité nationale pour financer la perte d’autonomie. Michèle Delaunay se saisit du dossier par un autre angle. Elle introduit une distinction entre la personne âgée progressivement confrontée à une perte d’autonomie, et la personne dépendante à cause d’un handicap. Les situations sont distinctes, et les besoins différents. Elle se concentre donc sur les personnes en perte d’autonomie pour mettre en œuvre une stratégie en trois volets.

Il s’agit d’abord d’anticiper, pour dépister les fragilités. Une bonne prévention passant par des exercices simples pour entretenir la santé mentale et physique peut aider, comme dans les pays scandinaves, à repousser la progression de la perte d’autonomie.

Ensuite, l’environnement doit être adapté grâce à l’aménagement des logements et de l’urbanisme, et au développement de la domotique pour que, grâce aux nouvelles technologies, la personne âgée puisse disposer à domicile des éléments de soutien dont elle a besoin. C’est une politique de très long terme. Mais elle se situe au cœur des enjeux de la « silver économie ».

Enfin, l’accompagnement, notamment à domicile doit être développé. Il est souvent vital. Par exemple aujourd’hui, 30% des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer sont hébergées dans des établissements spécialisés. Or, en moyenne, le « reste à charge » pour les personnes concernées est de 1.900 par mois en moyenne alors que les femmes, qui composent à 80% la population en perte d’autonomie dans ces établissements, ont des retraites souvent inférieures à 1000 euros par mois.

Une solution consiste à favoriser le maintien à domicile des personnes concernées qui, pour les deux tiers, y sont favorables. Ceci implique toutefois l’assistance de professionnels spécialisés, et donc la réorganisation d’une filière qui existe déjà mais doit être restructurée et développée. Il s’agirait de donner une qualification reconnue à des aides à domicile qui pourraient assurer une assistance complémentaire aux soins dispensés par les infirmiers de ville. « Il y a là un gisement potentiel de 300.000 emplois », estime Michèle Delaunay.

Des solutions sont à l’étude pour accompagner financièrement les personnes à revenus modestes et des classes moyennes. Non pas sur le volet « santé » pris en charge par la Sécurité sociale, mais sur le volet « hébergement », qu’il soit à domicile ou en établissement spécialisé. Déjà, l’APA y contribue. Cette allocation personnalisée d’autonomie a été instaurée par le gouvernement Jospin et est gérée par les conseils généraux ; son montant varie selon le taux de dépendance et les ressources. Environ 1,2 million de personnes la perçoivent aujourd’hui.