Le manque de compétitivité est aujourd’hui un des thèmes majeurs repris par les économistes et les médias pour expliquer la baisse des exportations françaises et pour nous exhorter à accepter les dures réalités d’une mondialisation heureuse qui tire les salaires vers le bas.

La compétitivité est la capacité d’une économie à produire des biens ou des services au meilleur rapport qualité-prix pour affronter la concurrence. Cet article n’est pas un texte d’économiste, les arguments ne portent pas sur la compétitivité en tant que telle, mais sur la représentation que nous en offre le débat public. Une représentation essentiellement centrée sur la baisse des salaires et des charges, sur la dérèglementation du marché du travail et la baisse des prestations sociales.

Il y a de nombreux paramètres de compétitivité. Dans le désordre, citons la productivité, l’innovation technologique, la qualité des produits, les coûts du travail et du capital, le prix de l’énergie, la qualité des infrastructures de communication et de transport, la densité des réseaux d’entreprises, de fournisseurs et de sous-traitants, le montant des impôts, les contraintes administratives, etc.

Nous pourrions imaginer que des pouvoirs publics, pris d’une véritable ambition, visent à restaurer la compétitivité « par le haut » en adoptant, par exemple, une politique d’innovation technologique et scientifique ; ou, rêvons un peu, en tablant sur la motivation d’une main d’œuvre mieux payée, pour assurer une plus grande qualité des produits ; ou encore sur des investissements d’infrastructure de transports et de communication qui valoriseraient les territoires ; ou encore…

Et non : l’hypothèse la plus souvent évoquée dans les médias ou dans les débats politiques est celle d’une sortie « par le bas », fondée sur la baisse des salaires et des charges, la dérégulation du marché du travail et la baisse des prestations sociales. Et ne nous faisons pas d’illusions, ce ne sont pas seulement les emplois des classes les plus modestes qui sont visés, ceux des classes moyennes et supérieures n’y échapperont pas : l’écrasement progressif est mécanique car les marchés financiers en veulent toujours plus. Seule la finance y trouve son compte, investisseurs, actionnaires et intermédiaires, tous confondus. Quelle merveille d’imagination créatrice, quelle ambition, quel courage !

Jusqu’ici, l’exemple principal de retour à la compétitivité, c’était l’Allemagne et les « courageuses réformes » de Gerhard Schröder qui a « libéralisé » le marché du travail, taillé des croupières aux prestations sociales et laminé les retraites. Et Hosanna, la compétitivité fut restaurée, dans la pauvreté et les inégalités, dans le sacrifice des chômeurs et des retraités !

Aujourd’hui, le nouvel exemple c’est l’Espagne, qui a sorti la tête de l’eau en sacrifiant les salaires et en abandonnant plus de 25% de sa population (dont 50% des jeunes) au chômage et à la pauvreté. Magnifique, le pays retrouve un excédent commercial. Ce qui s’explique aussi par le recul de la demande intérieure et des importations : car les pauvres achètent moins. Rassurons-nous, malgré des banques agonisantes, les profits des entreprises et des marchés financiers sont en hausse.

Quel est le problème avec ce type de politique ? Il est simple : jusqu’où faudra-t-il baisser les salaires et les prestations sociales en Europe ? Dans un contexte de mondialisation de plus en plus concurrentiel, faudra-t-il baisser jusqu’au niveau de l’Europe de l’Est, du Maghreb, de l’Asie du Sud, de la Corée du Nord ou encore de l’Afrique de l’Est ?

Je croyais que le progrès consiste à hausser le niveau de vie des pays les plus pauvres vers celui des plus riches. Naïf incurable, je n’avais pas réalisé que la mondialisation heureuse consistait à clochardiser les pays développés, sans pour autant enrichir les pays les plus pauvres, au plus grand bénéfice des entreprises et des marchés financiers. Pendant que les délocalisations alimentent l’exploitation dans les pays pauvres, la compétitivité appauvrit les salariés des pays développés.

Nous revenons aux paradoxes que nous avons déjà abordés avec le low cost ; ils sont les conséquences rationnelles d’un capitalisme financier dévoyé. Restaurer la compétitivité d’un pays devrait aller dans le sens de l’intérêt général, dans le sens d’un enrichissement collectif par le déploiement des énergies et la création de richesses. Il semble, au contraire, que cela nous conduise vers un abîme de souffrances au travail et de pressions sur la société, vers un monde d’inégalités et de pauvreté.

Comment les entreprises peuvent-elle croître à long terme en appauvrissant leurs salariés ? Quel est l’aboutissement de cette logique ? Rétrécir le marché ? Produire des biens inutiles pour une demande solvable, plutôt que des biens utiles pour une demande insolvable ? Ne maintenir que quelques îlots de richesse dans un océan de pauvreté ? Cette dynamique du triomphe des inégalités et de l’appauvrissement généralisé est-elle viable ? Jusqu’où peut aller cette mise en abyme ?

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Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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ECONOMIE

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