Créé en 1984, le Groupe SOS emploie aujourd’hui près de 11 000 salariés, dans 300 établissements. Pour Jean-Marc Borello, président du directoire, l’enjeu de l’entreprise sociale est dans son efficacité économique.

Les contours du projet de loi cadre sur l’ESS présenté fin mai 2013 par Benoît Hamon, ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire, semblent acter une ouverture officielle du secteur vers l’entrepreneuriat social. C’est une bonne chose ?

L’image du secteur de l’ESS a longtemps été très restrictive. Cela a nui aux entreprises sociales, y compris au Groupe SOS, qui est pourtant la première d’entre elles. Aujourd’hui, c’est fini. L’entrepreneuriat social est en train de trouver sa place – plus rapidement à l’étranger qu’en France, c’est vrai – et il est maintenant admis que de grandes entreprises sociales puissent se développer sur des marchés en concurrence avec des acteurs privés lucratifs. Cette reconnaissance par la preuve récompense le credo qui a été le nôtre depuis toujours : nous ne convaincrons pas par des arguments, mais par des actes. Il faut donc grandir, se professionnaliser, élargir le recrutement des collaborateurs aux jeunes, aux femmes, s’ouvrir à l’international.

Et donc convaincre les banquiers…

En 2013, le Groupe SOS doit investir 100 millions d’euros. Le meilleur argument auprès des banquiers, c’est notre santé économique. Nous sommes sur des niveaux de croissance annuels de l’ordre de 25%. En 2013, la progression sera sans doute supérieure à 25% : +7% à +8% a minima de croissance organique et 18% a minima de croissance externe. Cette croissance, nous faisons tout pour la maîtriser, par la pratique des réserves, bien sûr, mais aussi par une logique d’écosystème économique. Par exemple, nous nous sommes fixé comme principe, tant que faire se peut, d’acheter la surface immobilière nécessaire au fonctionnement de nos établissements. Cette richesse patrimoniale est un facteur de sécurisation non négligeable de nos différentes activités.

La reprise récente d’Alpha Santé et Hospitalor, associations qui gèrent des établissements hospitaliers et d’accueil de personnes âgées, a propulsé le groupe dans une autre échelle en termes de masse salariale. Avec plan social à la clé. On est toujours dans de la croissance raisonnée ?

En deux ans, nous avons accueilli deux fois 2 000 personnes. C’est pour nous un sujet à part entière. Et qui nous fait apprendre. Ces acquisitions nous ont effectivement obligés à mener deux plans sociaux d’ampleur en Lorraine. Mais en limitant la casse au maximum puisque le premier plan, qui prévoyait 70 suppressions d’emploi, s’est soldé par 6 licenciements secs et le second, portant sur 140 suppressions, s’est traduit par 5 licenciements. Ces deux opérations ont surtout permis de sauver des milliers d’emplois qui étaient menacés à court terme par la situation économique désastreuse de ces établissements lors de leur reprise.

En termes de gestion des ressources humaines, c’est aussi un changement significatif pour le groupe…

Nous avons longtemps cru – et moi le premier – qu’à partir d’un certain seuil, on atteindrait une forme de stabilité. Mais en fait, 5 000 salariés, cela n’a rien à voir avec 3 000, et 10 000 rien à voir avec 5 000. Le Groupe SOS, c’est 30 métiers différents, 44 structures juridiques. Un vrai casse tête. Notre chantier SIRH a représenté deux ans de travail. Dans un souci de prévoyance, j’avais demandé qu’on le dimensionne pour 50 000 salariés ! Aujourd’hui, nous découvrons que nous n’avions pas anticipé les changements d’échelle sur certaines dimensions pourtant essentielles, notamment la communication interne, qu’il faut retravailler. Là aussi, on continue d’apprendre.

90% des financements du groupe proviennent de la gestion d’établissements dans les champs du sanitaire, social, de la jeunesse et du handicap. Finalement, on est dans un modèle assez représentatif du secteur de l’ESS…

Mais près de 60% du chiffre d’affaires annuel sont réalisés sur des secteurs strictement concurrentiels, en compétition avec des entreprises lucratives ! La question posée par l’entrepreneuriat social est d’abord une question d’efficacité. L’enjeu est double : il faut d’une part créer des modèles économiques vertueux, d’autre part réduire la dépense publique sans pour autant escamoter la solidarité. Bref, faire plus solidaire pour moins cher. Le grand défi des années qui viennent, c’est la mesure des externalités positives et négatives. Quand on saura mesurer, alors on pourra peser sensiblement sur les politiques publiques. Mais là encore, c’est par les preuves que l’on peut convaincre. Aidés de McKinsey, nous avons pu démontrer que nos dispositifs d’hébergement des familles sans abri coûtaient 40% moins cher que les systèmes jusqu’alors en place, y compris chez nous. Nous permettons ainsi une économie significative, assortie d’une meilleure efficacité en termes d’inclusion sociale.

Comment cela ?

Jusqu’à présent, nous hébergions les familles à l’hôtel, c’est-à-dire dans des conditions très particulières, en dehors des codes classiques de la socialisation familiale. Aujourd’hui le groupe loue des surfaces (plus de 500 à Paris et en grande banlieue) auprès de bailleurs privés, pour y loger des familles durant deux ans, dans des environnements “normaux”. La surprise, pour nous – et pour moi le premier – a été la grande facilité avec laquelle nous avons pu trouver des propriétaires prêts à nous louer leurs biens, y compris dans Paris intra-muros, des appartements convenables, plutôt que trois chambres d’hôtel. Mieux pour les familles, 40% moins cher pour les finances publiques.

30 métiers, 300 établissements, 44 structures juridiques : n’y a-t-il pas là un risque organique de fragilisation ?

Ce serait le cas si nous nous déplacions comme une baleine. Or nous avançons comme un ban de poissons. Il faut construire un système qui garantisse à chaque structure son indépendance et son agilité tout en maintenant le lien. Chaque établissement conserve son autonomie dans ses options stratégiques et ses choix d’innovation. Mais en cas de pépin, le collectif vient au secours du particulier. Ce qui fait notre dynamisme, c’est que nous avons partout des croissances de PME innovantes.
Cela ne signifie pas que les choses sont simples. C’est même exactement le contraire. Rien de plus compliqué que de maintenir cette alchimie entre des activités aussi diverses, depuis le fonds d’investissement solidaire jusqu’à l’hôpital de 300 lits, en passant par les lieux d’accueil pour les transsexuels du Bois de Boulogne ou l’activité de traiteur. Sur certaines fonctions comme l’informatique de gestion, nous nous faisons accompagner par Accenture. Franchement, l’uniformisation serait beaucoup plus confortable mais moins efficiente. Il y a derrière tout cela une volonté politique qu’il faut être capable de défendre à tout moment.

Quid des technologies ?

Nous avons déjà lancé et éprouvé quelques initiatives innovantes, comme le coffre-fort numérique pour les personnes sans abri. Mais, innovation oblige, il nous faut investir plus avant le champ des technologies. En mars 2013, Le Comptoir de l’Innovation, pôle d’impact investing du Groupe SOS, a créé en partenariat avec Paris Région Innovation Lab le Social Good Lab, premier incubateur de technologies à impact social.
L’objectif étant de favoriser l’émergence et le développement d’entreprises proposant une solution technologique pour répondre à une problématique sociale, sociétale, environnementale. La structure offrira des locaux à environ six start-ups, ainsi qu’un accompagnement financier pouvant aller de 50 000 à 100 000 euros sous forme d’une avance remboursable à taux zéro. Le premier appel à candidatures a enregistré 50 projets.

Où en êtes-vous du développement à l’international ?

Aujourd’hui nous sommes présents dans une vingtaine de pays, au travers d’associations et d’ONG “classiques”, comme Santé Sud qui œuvre depuis 1984 au service du développement international sanitaire et social. L’association envoie chaque année plus de 100 missions bénévoles réparties sur 30 corps de métiers et gère une vingtaine de programmes de développement avec des partenaires du sud. Plus récemment, nous avons mis sur pied des structures dédiées à l’accompagnement de la société civile. En Tunisie, par exemple, où plus de 2 000 associations sont nées depuis la chute du régime en 2011, nous avons créé avec des partenaires le Lab’ESS, un laboratoire d’économie sociale et solidaire visant l’accompagnement des initiatives d’intérêt général, qui propose également des activités d’incubateur pour les petites entreprises. Deux fois par an, des “échanges” ont lieu entre 15 Tunisiens qui viennent se professionnaliser dans nos établissements et 15 jeunes Français souvent diplômés des grandes écoles qui partent pour six mois gérer le Lab’ESS à Tunis. Ce modèle, nous envisageons de l’essaimer plus largement sur le territoire tunisien.
Le Comptoir de l’Innovation a été sollicité en 2012 par la Ville de Séoul pour une mission de conseil portant sur les modalités d’organisation de la solidarité via le social business. Parallèlement, nous nous sommes associés à une fondation créée par de grands conglomérats sud-coréens pour développer des activités et des structures à vocation sociale : mesure de la performance sociale, création et duplication d’entreprises sociales, structuration de systèmes d’investissement…

Combien pèse cette activité internationale d’entrepreneurial social dans le business du groupe ?

Aujourd’hui, très peu. On en est au tout début. Mais l’idée est, encore une fois, de grandir rapidement. Nous avons d’ores et déjà une vingtaine de pays en ligne de mire. Il y a là un énorme potentiel de développement, à l’échelle planétaire. La plupart des grandes entreprises ont compris que les impacts sociétaux seront demain déterminants dans leur business, non pas comme un facteur supplémentaire ou complémentaire, mais comme un levier essentiel pour gagner des marchés, privés comme publics, pour garder leurs clients finaux et pour développer leur image employeur.

Justement, comment se porte l’image employeur du Groupe SOS ?

Tout dernièrement, une offre de 17 stages communiquée auprès des grandes écoles nous a valu 714 candidatures. Lorsque je vois les efforts et les moyens déployés par les grandes entreprises pour recruter de jeunes talents, je me dis que nous n’avons pas trop de souci de ce côté. Ce, alors que nous les payons moins cher. Car objectivement, un jeune sorti de HEC, après deux ou trois ans passés chez nous, n’aura pas la même feuille de paie que son camarade de promotion embauché par un cabinet d’audit.

L’écart salarial fait partie des critères de l’entrepreneuriat social. Quelle est l’amplitude des rémunérations au sein du groupe ?

Nous sommes dans un rapport de un à dix. Quand on gère des hôpitaux, difficile de recruter des chirurgiens sans les payer convenablement. Peut-être passerons-nous un jour à un rapport de un à quinze, parce qu’il faudra quand même garder nos diplômés. Je n’ai pas de point de vue idéologique par rapport à cette question. Il faut aussi être pragmatique puisque nous évoluons sur des marchés concurrentiels. Mon point de vue n’est pas idéologique. Il est plutôt managérial. La frontière, pour moi, c’est la disproportion. Je ne pourrais pas diriger une entreprise qui me paierait cent fois plus que l’hôtesse d’accueil, simplement parce que je serais incapable de justifier un tel écart.

Au sujet de Muriel Jaouën

Journaliste de formation (ESJ Lille, 1990), Muriel Jaouën publie régulièrement dans le magazine de Place-Publique. Ses spécialités : économie sociale, développement durable, marketing, communication, organisations, management.

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ECONOMIE

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