Je me suis installé depuis deux ans à la campagne, au fin fond de la Seine-et-Marne, lassé de la vie parisienne. Un de mes plus grands bonheurs est de disposer enfin d’une cheminée. J’aime contempler les flammes dans l’âtre, toujours les mêmes et toujours changeantes, vivantes. C’est ma télévision, mais une télévision qui laisse l’esprit vagabonder et libère l’imagination, contrairement à l’autre.

J’ai rêvé de cette cheminée toute ma vie.

Et voilà que j’apprends, incidemment, par l’envoi d’un courriel publicitaire me recommandant l’achat d’un poêle à bois, que, je cite, « la région Île-de-France a décidé d’interdire en 2015 l’usage des 125 000 cheminées ouvertes répertoriées », parce que cela émettrait des particules fines dans l’atmosphère et que ce n’est pas un moyen de chauffage efficace. De quoi envisager un exil focal vers le Loiret qui n’est qu’à 5 km de chez moi…

Castrateurs

Je ne sais pas si la mesure a été réellement arrêtée ou est seulement envisagée. De toute manière, elle est à peu près inapplicable. Comment contrôler chaque cheminée francilienne ? Mais l’idée même de cette interdiction en dit long sur les dérives extrémistes d’un certain écologisme totalitaire. Sur quoi se fonde-t-elle ? Toujours les mêmes raisons : ça pollue et ce n’est pas efficace. C’est certainement vrai. Mais les foyers fermés – inserts et poêles – restent autorisés, voire recommandés. Je ne vois pas en quoi emprisonner mes flammes derrière une vitre les rendra moins toxiques. C’est toujours le même bois qui brûle. Mystère ?
Quant à l’efficacité énergétique, il est clair qu’elle est faible (même si j’ai des récupérateurs de chaleur). Ce n’est pas le but, je ne souhaite pas me chauffer au bois, je me fais un feu de 3 ou 4 bûches, deux ou trois fois par semaine, pour mon seul agrément, pour rêver, pour partager ces flammes avec des amis, comme la plupart de ceux, je pense, qui entretiennent des cheminées ouvertes.
Je vois que c’est cela, et non pas les particules fines, qui fait tousser les castrateurs verts : ce plaisir égoïste, ce gaspillage gratuit. Le monde est au bord de l’asphyxie et moi, inconscient et immoral, je continue à boire mon whisky au coin du feu.

Parcimonieux

Désolé, mais je n’arrive pas à me sentir coupable. J’ai l’anthropologie avec moi. Et Prométhée me soutient. L’Homme est né avec le feu et il fait du feu depuis qu’il est homme. Interdire ce feu libre qui nous est consubstantiel, c’est interdire la vie, c’est nous interdire de « brûler », c’est faire fi de nos dimensions symboliques, de notre histoire humaine.
Oui, ceux qui veulent nous priver de flamme ont certainement raison au regard de leur vision comptable et de leur usage parcimonieux du monde. Mais s’aperçoivent-ils que leur stricte rationalité rejoint, sur certains points, celle de leurs ennemis jurés, les ultralibéraux ? Meilleur rendement du bois consommé, efficacité énergétique, rentabilité des matières premières, économies en tout genre, performance, contrôle, surveillance, canalisation des désirs, restriction des besoins, réduction de la vie au strict nécessaire : qui parle ? des écologistes ou des capitalistes ?
La publicité qui m’a alerté, d’ailleurs, me propose un label « flamme verte » et me recommande d’utiliser des poêles à pellets. Les pellets sont des granulés de bois constitués de sciures compactées. Ça se consume sans vraiment brûler, ça fait peu de cendre et peu de fumée, et c’est réputé bien chauffer (je n’ai jamais autant pelé, si j’ose dire, que chez un ami qui avait une chaudière à pellets…).

Mortifères

Le pellet est à la bûche ce que le minerai de viande (qu’on a récemment découvert dans nos lasagnes) est à l’entrecôte : c’est fabriqué industriellement on ne sait pas trop où et on ne sait pas trop avec quoi c’est fait. C’est d’une tristesse mortifère. Pas étonnant que ça produise des flammes vertes comme celles des feux follets émis par les cadavres en décomposition.
Autrement dit, les défenseurs de la nature en sont à me vendre au prix fort des rognures de bois fabriquées en usine après m’avoir empêché de brûler les beaux morceaux de bois gratuit que je ramasse dans mon jardin et que je devrai donc laisser pourrir. Cela relève au minimum d’une alliance objective avec le capitalisme qui n’hésite pas, lui, à se verdir pour profiter de l’aubaine.
Pour soi-disant « sauver la nature », il nous faut désormais aller contre nature, nous dénaturer, vivre une vie de plus en plus artificielle. Je vois venir le temps – en réalité, c’est déjà le cas – où l’on va me reprocher de vivre dans une maison individuelle, dans un village où je suis obligé de prendre ma voiture pour me déplacer. L’idéal écologiste, c’est la tour urbaine intégrée où l’on aura tout sur place, travail et ressources et dont on n’aura plus à bouger, termitière autosuffisante. J’espère bien mourir avant de voir cet idéal se réaliser, car je ne saurais pas, moi, vivre sans la nature et loin d’elle.

Radicaux

J’ai bien conscience que la plupart des écologistes ne se chauffent pas de ce mauvais bois là et qu’ils sont plus modérés. Et je ne suis pas un négationniste du réchauffement climatique, je sais que nous devons tous faire des efforts pour le ralentir et nous y adapter. Mais prenons garde. Les extrémistes de l’écologie font autant de mal à leur courant que les islamistes radicaux nuisent à l’image de la communauté musulmane. Ils sont totalement contre-productifs. Pour combattre ces fous, il faut allumer d’urgence des contre-feux…

Au sujet de Bruno Tilliette

Bruno Tilliette est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef des revues Autrement, Management et conjoncture sociale et Dirigeant. Il tient une chronique régulière sur place-publique.fr depuis plusieurs années. Il est également auteur ou coauteur d’une dizaine d’ouvrages portant sur la communication et le management en entreprise, l’éducation et la formation ainsi que sur l’évolution de la société française.

Catégorie(s)

ENVIRONNEMENT

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