Le marché des transactions brevets a explosé depuis 2004 dans le domaine des Télécoms. Les entreprises françaises montrent une balance déficitaire des transactions brevets : de 1997 à 2009, les dépôts de brevets ont été multipliés par deux en France alors que les cessions l’ont été par 30.

C’est l’un des résultats significatifs d’une enquête commune France Brevet-Mines Paris Tech « sur les brevets ayant fait l’objet d’une cession entre 1999 et 2009 » qui a été publiée le 8 novembre. Elle a été réalisée par Yann Dietrich, spécialiste du secteur de l’électronique, et Yann Ménière, chercheur et professeur à l’école des Mines d’après les données de l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle) et de l’Office Européen des Brevets dans le secteur des Technologies de l’Information et de la communication (NTIC). Les vraies cessions de brevets ont été distinguées des fusions-acquisitions.

Les transactions sur les brevets sont le reflet des dynamiques industrielles.

«La propriété intellectuelle est au coeur de la stratégie de l’entreprise, et la compréhension de cet enjeu est capitale pour le succès du tissu industriel européen » souligne Jean-Charles Hourcade, Directeur général de France Brevets. L’enquête révèle que 40 % des brevets européens ne sont pas exploités, et que sur les brevets de haute qualité, 1,4 % (les « pépites ») font l’objet d’une cession totale et 14 % d’une licence.

France Brevets est un fonds d’investissement doté de 100 millions d’euros (à terme) et détenu à parité par l’Etat, via le Fonds National de Valorisation, et la Caisse des Dépôts. Créé en mars 2011 dans le cadre du Programme des Investissements d’Avenir, il est opérationnel depuis janvier 2012. France Brevets inscrit son action dans une logique de partenariat avec les entreprises ou les organismes de recherche pour les aider à valoriser leur innovation utilisés partout dans le monde via les brevets.

Ce fonds investit pour déployer des actions de concession de licences (« licensing ») auprès des entreprises utilisant ces brevets au niveau international. Il incite les entreprises françaises à gérer leur portefeuille de brevets (pour en tirer des royalties, par exemple) au lieu de les revendre (en partie, en raison du coût des brevets). Ses domaines d’intervention prioritaires sont le secteur des TIC au sens large, l’Aéronautique et l’Espace, les Energies Nouvelles, la Chimie, les Matériaux, les Sciences du Vivant et l’Environnement. « D’ores et déjà , France Brevets a décidé d’investir dans un programme de « licencing » lancé en juin autour des entreprises Inside Secure et Orange Labs de France Télécom Orange » annonce Jean-Charles Hourcade.

L’exemple de l’industrie des télécoms, dont le marché est de loin le plus actif dans le domaine des NTIC, enseigne que la cession de brevets est souvent un bon indicateur de l’amoindrissement de la base industrielle d’un pays.

Les entreprises françaises de taille moyenne et de grande taille réalisent les deux tiers de leurs cessions de brevets à l’étranger (28 % en Europe, 16% aux USA et 15 % en Asie) et un tiers en France ( surtout leurs brevets de qualité moindre).

Très actives en innovation, les PME françaises le sont moins pour aller chercher des brevets innovants à l’étranger. Elles vendent leurs « pépites » aux entreprises américaines ou asiatiques qui déploient des programmes d’achat de brevets de haute qualité (auxquelles elles consacrent 200 à 300 millions par an) et consolident ainsi leur positions industrielles. Entre 2005 et 2009, l’étude montre une asymétrie au niveau européen entre les grandes entreprises européennes qui dominent côté offre (36 % des brevets vendus au monde) et les entreprises de taille moyenne américaines et asiatiques qui émergent côté acquisition (respectivement 22% et 10%).


Une logique de filière évite des pertes de substance.

La France et l’Allemagne présentent des profils d’échanges similaires, avec une nette prédominance des cessions à l’étranger et peu d’importations de brevets. Toutefois, les cessions comme les acquisitions mettent en évidence un décollage du marché en Allemagne à partir de 2008 alors que le marché en France est resté particulièrement atone sur la période. Comment l’expliquer ?

Alors que les entreprises de taille moyenne françaises exportent leurs meilleurs brevets à l’étranger, les entreprises allemandes les vendent à d’autres acteurs allemands au sein de filières nationales. « Les PME allemandes qui atteignent plus souvent la taille d’ETI (entreprises de taille intermédiaire) que les PME françaises sont très souvent des entreprises familiales qui investissent sur le long terme et sont soutenues par des grands groupes dans le cadre de filières industrielles » précise J.-C. Hourcade.

« Cette première étude met l’accent sur l’importance exponentielle de ces actifs (les brevets) dans la stratégie de conquête industrielle. La création de France Brevets coïncide avec cette dynamique et notre proposition de valeur consiste à pouvoir accompagner les acteurs français dans une stratégie de long terme grâce à notre capacité d’investissement et de concession de licences, offrant ainsi une alternative attractive à la cession de brevets » conclut J.-C. Hourcade qui entend aider au mieux l’écosystème français à jouer de ses atouts. D’autres études sont en préparation sur les smart grids, la transmission vidéo sur Internet, les composants de la chimie biosourcée etc…

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

ETUDE, Le Magazine, Sciences et société

Etiquette(s)

, ,