Danièle Bourcier est responsable du département  » Droit gouvernance et technologies » au CERSA-CNRS. Leader scientifique de Creative Commons France

Place Publique . : Qu’est-ce qui vous a décidée à lancer Creative Commons en France ? Est-ce en rapport avec vos travaux sur la sérendipité ?

Danièle Bourcier : Tout a commencé lors d’une rencontre avec Lawrence Lessing qui donnait une conférence en France. Il lançait l’idée que l’initiative Creative Commons de licences de contenus libres qu’il créait aux Etats-Unis pouvait être reprise. La licence générique américaine serait transposée dans les différents droits à condition que des juristes s’en chargent. Actuellement plus de 70 chapitres ont été créées en Amérique du Nord du Sud, en Asie et en Europe. C’est en Afrique que cela marche le moins bien avec des perspectives intéressantes cependant en Afrique du Sud et dans le Maghreb.

P.P. : En quoi cela consiste-t-il ?

D.B. : L’intérêt c’est que c’est une initiative entièrement bénévole, à but non lucratif. Elle est destinée à favoriser la diffusion et le partage des œuvres et n’a pas vocation à devenir conseil juridique. Nous mettons à jour les différentes versions de licences et maintenons la cohérence avec les autres CC.

P.P.D. : Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette licence C.C. ?

D.B. : Cette licence gratuite est accessible sur le site en 6 options. Il y a un éventail très large d’options, du très altruiste au très business-like. Dans la plus ouverte, je peux choisir de céder tous les droits dont je suis titulaire sauf les droits moraux. Je permets à tout le monde de partager mon oeœuvre, de la réutiliser, voire de la revendre. Cette licence peut servir d’étape pour alerter que vous êtes prêt à négocier des droits d’auteurs. Ce n’est pas une alternative au droit d’auteur mais c’est un complément.

P.P. : Creative Commons est-il très utilisé en France ?

D.B. Oui, il y a de plus en plus d’utilisateurs en France, 4 à 5 millions de liens ont été enregistrés, et au niveau mondial il y a une croissance importante mesurée via Google : on atteint 500 millions de collaborations (œoeuvres, contenus, photos, vidéos, musique etc). Une grande partie des internautes s’intéressent à Creative Commons pour la musique mais aussi pour les textes. L’oeuvre peut ne pas être numérique. Par exemple, le livre que j’ai écrit sur la sérendipité a été mis sous accessibilité C.C.. J’ai demandé à l’éditeur d’accepter ce choix. Ce n’est pas incompatible. Mettre un livre en ligne permet aux lecteurs d’en lire une partie. Ensuite, quand ils l’achètent, ce n’est pas la même lecture.

P.P. : Combien êtes-vous pour gérer ce chapitre ?

D.B. :Nous sommes 5 bénévoles. Nous sommes deux leaders, Mélanie Dulong de Rosnay est la responsable juridique et moi-même, je suis la responsable scientifique. Il y a des aspects extrêmement innovateurs et intéressants dans cette initiative. En tant que directeur de recherche au Cersa-CNRS, CC est un terrain d’observation par rapport à cet aspect de libre accès aux contenus. CC est lié aussi à l’Open Data qui se développe de façon très large, y compris dans le domaine scientifique et s’inscrit dans un mouvement global d’ouverture des données publiques.

P.P. : Et les autres ?

D.B. : Les autres affiliées font partie de l’équipe créatrice et sont plus spécialisées dans la musique et les ressources éducatives en ligne. De par le monde, c’est devenu un enjeu important, notamment en ce qui concerne les cours en ligne accessibles depuis des continents comme l’Afrique.

P.P. : Quels sont les rapports avec la sérendipité. ?

D.B. : La sérendipité est sans doute à l’origine de la Fondation. C’est l’échec du recours devant la cour Suprême des Etats-Unis au sujet de la prolongation de la durée des droits d’exploitation de l’oeuvre de Walt Dysney, de 50 à 70 ans après la mort de l’auteur, dans les années 2000, qui a amorcé ce mouvement non planifié. Il n’y a pas eu d’anticipation. On ne pouvait pas savoir comment le projet intéresserait les internautes. On a découvert des choses auxquelles on ne s’attendait pas. C’est ça la sérendipité.

P.P : Comment ce mouvement s’est développé ensuite ?

D.B.: Certains musées comme celui de la photo, par exemple, mettent en ligne des photos de leur production et disent aux gens d’y participer. Ça a marché parce qu’il n’y avait plus de droits sur ces photos. C’est le principe d’une oeuvre collaboratrice CC. Cela permet d’établir un lien. Et beaucoup de projets se sont développés ainsi.

P.P. : Une labellisation est en cours ?

D.B. Non le logo CC sert de label. Le choix de la licence répond à une adhésion à un certain nombre de valeurs. Nous assistons à l’émergence d’un nouveau droit d’auteur. En effet, la licence C.C permet, au minimum, l’attribution du nom de l’auteur à chaque oeuvre. Les gens s’en servent comme d’un label ou d’une paternité.

P.P. : Allez-vous organisez des événements ?

D.B. : Nous avons participé à un certain nombre d’événements comme le festival Open Knowledge en Finlande lié à ces mouvements d’Open Society qui a rassemblé 1000 personnes. Creative Commons France va fêter les dix ans de sa création en 2012. Comme tous les autres chapitres jusqu’à la fin 2012, nous organisons un événement en France le 15 décembre à la Gaieté Lyrique. Cela se présentera comme une plate-forme avec des artistes et chercheurs. Nous mettrons plus de détails sur notre site www.creativecommons.fr. Il y aura aussi des débats et des rencontres. Ce sera l’occasion de faire un bilan et de prévoir les dix ans à venir.

P.P. : Que prévoyez-vous dans les années à venir ?

D.B. : Nous allons organiser un concours de photos CC 2013 au printemps prochain. A plus long terme les licences seront applicables à des supports physiques ( Fab Lab) ou à des Laboratoire de partage pour le développement de communs numériques. Nous allons élaborer des licences sur les produits élaborés en commun.

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