Muriel Jaouën

En ces temps de pessimisme aggravé où les annonces du déclin font florès, un petit livre qui vient d’être publié aux Editions Lignes de Repères (collection un Monde d’avance, en coédition avec Place Publique) dégage l’horizon pour ouvrir des perspectives plus encourageantes.

S’appuyant sur un bilan argumenté des années difficiles que nous venons de traverser, les deux auteurs de « Sociétale démocratie », Thierry Jeantet et Yan de Kerorguen, proposent en dix clés d’ouvrir la porte de ce qu’ils appellent « la révolution sociétale ».

Ne négligeant pas l’analyse du tableau sombre des scénarios les plus angoissants (effondrement des économies, repli protectionniste des pays , risque de « forteresses autoritaires », déplacements massifs de population, multiplication des conflits pour gagner les ressources naturelles vitales), T. Jeantet et Y. de Kerorguen se livrent à un décompte précis des problèmes à surmonter : la fin du pétrole, l’endettement massif des Etats, le coût de la pollution, les déséquilibres démographiques, les inégalités croissantes, l’augmentation du chômage, le déclassement social… «

Ce sont maintenant les populations défavorisées qui se voient obligées de payer les dettes économiques et écologiques qui ont contribué à agrandir le fossé entre riches et pauvres. Sous l’emprise des marchés financiers, la vision comptable du monde a laissé de côté un acteur de première importance : l’être humain », écrivent-ils.

La crise que nous traversons est celle d’un système qui, à partir des années 80, a pensé qu’il pouvait abolir les leçons de l’histoire, analysent les deux auteurs. Le vieux système économique hérité du passé et péniblement modernisé n’est plus adapté ni aux exigences sociales, civiques et environnementales, ni d’ailleurs à ce que devrait être une mondialisation disciplinée, régulée. La crise financière mondiale a ébranlé jusqu’aux fondations de nos systèmes économiques et bien au-delà, nos certitudes. Elle a démontré que nos modèles de croissance économique, basés sur une consommation de grande ampleur et l’utilisation excessive de ressources limitées, ne sont plus viables.

« Devant une telle situation, deux attitudes s’affirment, soulignent Jeantet et Kerorguen. Continuer comme avant ? Suffirait-il ainsi de «moraliser le capitalisme», de resserrer ses règles par exemple, et le tour serait joué ? Ou bien rentrer de plain-pied dans la transition et s’engager résolument dans une mutation profonde ? »

« Il y a des raisons d’être optimistes » , poursuivent les auteurs. En effet, selon eux, le monde ne manque pas de ressources, d’énergies, de talents, pour peu qu’on ouvre grand les yeux. La dynamique amorcée de la green economy, l’importance prise par les réseaux en ligne et les nouvelles formes de partage, la vitalité de la vie associative et de l’entraide, l’essor discret mais constant de l’économie sociale et solidaire, l’émergence d’une contestation universelle (les indignés), l’espoir encore fragile soulevé par les révolutions arabes… L’impatience d’un autre monde se fait jour.

« Il est temps aujourd’hui de nous orienter dans la fabrique de l’après capital », soutiennent Jeantet et Kerorguen. Et les deux auteurs de proposer une nouvelle révolution morale pour gérer et réguler solidairement la contrainte écologique et économique. « Dans une période où l’engagement paraît dépassé par l’accélération des mutations sociales, technologiques et économiques, il est temps d’inventer la société d’après. La condition pour avancer est de rassembler autour de ce projet les associations, les réseaux, les groupements, toutes les énergies capables de pratiquer mixités sociales, culturelles, nationales ».

Leur engagement est clair : un des éléments structurants de cette révolution est l’Economie sociale et ses composantes (les mutuelles, les coopératives, les associations…). « Elle est partie prenante de la construction d’une alternative crédible à l’économie dominante, à la condition de ne pas sous-estimer l’impact de son projet, de son éthique, de son mode de gouvernance, de ses réalisations et de son influence sur les autres acteurs de la planète économique (entreprises publiques ou entreprises du secteur marchand) », précisent-ils.

Un immense défi se présente donc aux citoyens. La fin du capitalisme commence. Le champ des possibles est ouvert. Nous entrons dans le siècle du partage, de la contribution, des coopérations. Il est temps de replacer le politique sur le devant de la scène économique et de changer de modèle pour vivre un nouvel âge de l’économie, du local à l’international. L’économie sociale est en première ligne dans le combat contre la nocivité du capitalisme.

« Cet autre temps dans lequel nous entrons, c’est le temps de la démocratie sociétale. Le “ goût de l’avenir ”, voilà ce qu’il nous faut. Le goût de l’avenir, telle est la définition du politique » annoncent-ils.

Suivent dans un dernier chapitre les dix propositions concrètes destinées à amorcer cette mutation. Ces clés pour une démocratie d’initiative, élaborées principalement par Thierry Jeantet, constituent un véritable appel à l’engagement.

Pour Jeantet, il s‘agit en premier lieu de définir les nouveaux critères de la gouvernance économique. Le nouveau monde économique ne sera plus seulement économique mais tout autant social, civique, environnemental. La bourse, les critères financiers traditionnels apparaitront peu à peu anachroniques. Les critères d’efficacité seront pluriels. L’économique et le financier devront s’intégrer à des repères sociétaux.

Puis de renforcer l’idée d’entrepreneuriat d’économie sociale. Réussir pour les coopératives, mutuelles, associations, fondations, entreprises collectives à dimension participative et sociale, c’est d’abord gouverner de façon démocratique avec des objectifs d’équité, solidarité, durabilité, de respect des environnements et des partenaires. C’est une forme exigeante et innovante de gouvernance.

Thierry Jeantet réfléchit également à un nouveau code de la propriété : la propriété collective choisie. Diverses formes de propriété peuvent cohabiter. Celle qui est à la fois collective – avec une part ou une totalité impartageable, indivisible donc – et privée constitue un choix qui peut se révéler majeur pour co-construire l’avenir entre entrepreneurs, inventeurs, apporteurs de moyens, consommateurs, tout simplement entre citoyens. Cela va des formes mutualistes, coopératives, à celles plus larges de propriétés collectives « ouvertes » (bien communs).

Autres propositions : un « Baromètre du Progrès humain » ou encore une « Banque des Initiatives Citoyennes à dimension internationale » pour faire circuler les moyens financiers et l’épargne citoyenne vers les projets durables.
L’idée d’une « Démocratie interactive durable » est également mise en avant. Pour Jeantet, « démocratie représentative, démocratie sociale, démocratie directe …. sont des faces différentes et complémentaires d’une seule et même démocratie: celle qui vit, qui interagit, celle des citoyens qui votent et agissent. Il est temps de donner autant de valeur au droit d’initiative qu’au droit de vote ».

Un des défis de notre temps est l’accès de toutes et tous au savoir, indique également T. Jeantet, dans une autre proposition. Défi ancien, mais aussi d’une brûlante modernité. La toile doit être un espace de formation, de pédagogie populaire et se transformer en une sorte d’université libre (comme les logiciels!) populaire.
Un enjeu non moins important serait, selon l’auteur, de lancer l’idée d’une « Conférence des nouveaux engagés ». Les militants des printemps politiques, les indignés, les acteurs de terrain au quotidien sont des « engagés ». Et s’ils se réunissaient ? Si au-delà des forums mondiaux, des rassemblements, des pouvoirs démocratiquement établis, ils tenaient leur conférence mondiale des « engagés », selon des formes à inventer par eux ? Peut-être donneraient-ils aux évènements un cap à la fois plus paisible et plus humain au globe?

Stimulant, ce petit livre, publié en co-édition avec Place Publique, se lit facilement. Il invite au débat public et appelle à la mobilisation des initiatives citoyennes pour ne pas se laisser envahir par l’austérité des esprits, la désespérance et l’inaction.

« Sociétale Démocratie ». Thierry Jeantet, Yan de Kerorguen. Editions Lignes de Repères, collection un monde d’avance.

Au sujet de Muriel Jaouën

Journaliste de formation (ESJ Lille, 1990), Muriel Jaouën publie régulièrement dans le magazine de Place-Publique. Ses spécialités : économie sociale, développement durable, marketing, communication, organisations, management.

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A LA UNE, ENVIRONNEMENT, ETUDE

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