1 novembre 2011

Temps de parole

Vendredi 21 octobre 2011

Le CSA vient de tancer des chaînes de télévision et de radio pour avoir donné trop de temps de parole au parti socialiste à l’occasion des primaires. Mais le principe, a priori louable, de l’égalité d’accès aux médias pour les partis politiques, n’atteint-il pas, à cette occasion, ses limites. N’entre-t-il pas en conflit avec la règle de base du journalisme qui est de traiter de l’actualité ?

C’est en tout cas le problème spécifique qu’ont posé ces primaires socialistes. Elles ont créé une actualité politique qui ne concernait qu’un parti, contrairement aux élections « officielles ». Comme il s’agissait, de plus, d’une nouveauté, cela ne pouvait qu’intéresser les médias. Il est donc normal qu’ils aient largement relayé cet événement, contribuant ainsi à son succès. Peut-on le leur reprocher ? Ils ont fait leur travail. Et un public étonnamment nombreux a suivi les débats, preuve que les télévisions ne se trompaient pas en les diffusant.

Actualité

Dans ce contexte particulier, donner un temps de parole équivalent à la majorité qui s’est sentie frustrée ainsi qu’aux autres formations politiques a-t-il un sens ? Libres à ces formations d’organiser, elles aussi, des primaires, ou une manifestation du même genre, et donc de trouver là le moyen de faire parler d’elles en s’inscrivant dans l’actualité. Le principe d’égalité peut-il tenir lorsqu’arrive un événement particulier ? Supposons que l’UMP se divise, en pleine période électorale, et éclate en trois partis différents. Les réactions forcément nourries des uns et des autres devront-elles être comptabilisées dans le temps de parole autorisé ? Et à qui ce temps sera décompté ? A l’UMP ? Aux trois nouveaux partis ? Ou bien considère-t-on que c’est un événement qui ne relève pas des débats électoraux ? Imaginons encore, à dieu ne plaise, le décès d’un membre important du gouvernement. On fait son éloge, on rappelle ses faits et gestes, son action politique, sa fidélité à son parti et cette mort occupe donc le terrain politique. Cela relève-t-il du temps de parole officiel ? Que ferait le CSA ?

Artifice

Ne l’incriminons pas quand il fait ses remontrances aux chaînes. Il est dans son rôle qui est de faire respecter la règle. Mais c’est la règle, ici, qui n’était pas adaptée, car elle s’est retrouvée devant une situation inédite. Si, dans cinq ans, tout le monde reprend l’idée des primaires, il n’y aura plus de problème.
En attendant, les mises en demeure de la Haute Autorité ont plutôt abouti à des contreparties ridicules, comme la Convention UMP sur le programme socialiste, entièrement retransmise sur LCP (la chaîne parlementaire). Rien ne justifiait, journalistiquement cette retransmission, ni la manifestation en elle-même, ni la qualité des débats (il n’y avait d’ailleurs pas débat, puisque pas de contradicteurs). « L’information », qui se résumait à l’idée forte et originale que le programme du PS allait coûter très cher, méritait au plus un compte rendu de 2 ou 3 minutes. Mais il fallait trouver un moyen de rééquilibrer le temps de parole, fût-il artificiel. Les autres chaînes « fautives » vont ainsi devoir, elles aussi, prêter généreusement leurs micros et caméras aux partis « déficitaires », même s’ils n’ont pas grand-chose à dire d’intéressant et, dans le même temps, réduire la présence des socialistes à l’antenne, même s’ils ont quelque chose d’intéressant à exprimer.

Absurde

Un fois encore, on voit que les journalistes sont piégés par une règle un peu absurde quand elle est appliquée à la lettre – ou au chiffre, devrait-on dire – sans tenir compte des réalités de l’actualité.
Le comble de l’absurde est atteint, d’ailleurs, lorsque certains veulent compter le temps de parole journalistique d’Audrey Pulvar comme du « temps socialiste », au prétexte qu’elle est la compagne d’Arnaud Montebourg, dirigeant socialiste. Tous les journalistes, que je sache, ont des opinions politiques et beaucoup d’entre eux les affichent clairement dans les médias où ils travaillent ou sur les plateaux où ils acceptent de débattre ouvertement comme journalistes de gauche ou de droite. Faut-il mesurer leurs interventions ?
Faut-il aussi déclencher le chronomètre politique quand Madame Chirac recueille des pièces jaunes pour sa fondation et vient en parler à la télévision ? Quand Carla Bruni-Sarkozy accouche du bébé présidentiel ou sort un album de chansons fluettes ? Quand DSK est pour la énième fois cité dans des affaires de sexe ? Quand Michel Sardou critique le président de la République dont il était l’ami (et ici, c’est du temps de droite ou de gauche) ? Quand un imitateur prend la voix des présidentiables ?

Affairisme
Que l’on veille à un certain équilibre entre les présences médiatiques des différents courants politiques est certainement nécessaire. Mais est-il besoin de le faire avec tant de précision mathématique et cette obsession égalitaire, très française, qui conduit à donner la parole à des gens qui, dans l’instant, n’ont rien de particulier à dire, quitte à les en priver au moment où ils veulent s’exprimer, parce qu’ils auront trop parlé ? Ne pourrait-on avoir de cet équilibre une vision un peu moins comptable et pusillanime ? La garantie de cet équilibre n’est-elle pas avant tout donnée par le pluralisme de la presse ? Et n’est-ce pas sur lui, d’abord, qu’il faudrait veiller, alors qu’il est mis en danger par des regroupements et des rachats affairistes ?

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Faisons la grève du micro !

Au sujet de Bruno Tilliette

Bruno Tilliette est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef des revues Autrement, Management et conjoncture sociale et Dirigeant. Il tient une chronique régulière sur place-publique.fr depuis plusieurs années. Il est également auteur ou coauteur d’une dizaine d’ouvrages portant sur la communication et le management en entreprise, l’éducation et la formation ainsi que sur l’évolution de la société française.

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