Alors que la réforme du système de prise en charge de la dépendance est au cœur de l’agenda politique en France, comment les personnes âgées ayant des pertes d’autonomie sont-elles accompagnées dans les autres pays. Vincent Chriqui, Directeur du Centre d’analyse stratégique a récemment rendu public un rapport sur cette question. Extraits.

Le rapport sur les Défis de l’accompagnement du grand âge propose une analyse comparée des systèmes de prise en charge de la dépendance dans six pays de l’Union européenne (Allemagne, Danemark, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède), ainsi qu’aux États-Unis et au Japon. Il s’agit de resituer le débat national sur la dépendance dans un contexte international en mouvement, de nombreux pays ayant déjà amorcé des réformes ou étant sur le point de le faire.

1 – Au-delà de l’hétérogénéité des systèmes nationaux de prise en charge de la dépendance, quelles tendances communes ?

L’exercice de comparaison met en évidence une grande hétérogénéité des systèmes de prise en charge. En témoignent les multiples termes utilisés pour désigner la “perte d’autonomie”. Si on parle de “dépendance” en France pour spécifier la perte d’autonomie des personnes âgées, de nombreux pays ne retiennent pas de critère d’âge et n’opèrent pas de coupure avec le champ du handicap. Ainsi, dans les pays anglo-saxons et d’Europe du Nord, l’entrée se fait plutôt par le besoin de soins et d’aide des personnes : c’est la notion de “soins de longue durée” (long-term care) qui est alors utilisée (ou un équivalent). Cette hétérogénéité forte tient également au rôle majeur joué par les collectivités territoriales en matière d’organisation ou de financement des services liés à la prise en charge de la dépendance, ce qui introduit des disparités remarquables entre régions ou municipalités au sein d’un même pays.

Alors que les pays précurseurs disposent de systèmes de prise en charge des personnes dépendantes depuis la fin des années 1960 (Danemark, Suède et Pays-Bas), la plupart des autres pays ne s’en sont dotés qu’au cours de la décennie 1990. Récents, ces dispositifs sont relativement peu stabilisés et font l’objet de nombreuses réformes
depuis une quinzaine d’années. Au-delà de l’hétérogénéité des systèmes, plusieurs tendances convergentes sont observables dans la plupart des pays. L’objectif de réduction des coûts est globalement partagé et conduit à privilégier le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes aussi longtemps que possible. Les aidants
familiaux font ainsi l’objet d’une attention accrue de la part des pouvoirs publics. Dans quasiment l’ensemble des pays se développent des dispositifs de prestations financières, de manière à desserrer les contraintes inhérentes à la fourniture de services en nature, à favoriser le libre choix de l’usager et à permettre une forme de rémunération pour les aidants familiaux. On note également des formes de mise en concurrence entre services de soins et d’aides.

2 – Le vieillissement des populations : quels défis pour les systèmes de prise en charge de la dépendance ?

Dans les années à venir, le vieillissement des populations mettra à l’épreuve les systèmes de prise en charge. La part des individus de plus de 80 ans augmentera dans l’ensemble des pays de l’OCDE, même si ceux-ci se différencient par le rythme et la nature du vieillissement de leur population. Aujourd’hui, la moitié des usagers des
services de soins de longue durée ont plus de 80 ans et un usager sur cinq a moins de 65 ans : la dépendance n’est donc pas uniquement un problème lié au grand
âge, même si sa prévalence augmente nettement avec celui-ci. En dépit de la difficulté d’établir des projections démographiques, l’accroissement de la demande d’aide
et de services ne fait quasiment aucun doute : les incertitudes portent plutôt sur son intensité et sur le moment auquel ce besoin se fera sentir. Parallèlement, l’offre assurée par les aidants familiaux et professionnels est amenée à diminuer : moindre disponibilité des aidants familiaux (pourtant potentiellement plus nombreux), difficultés de recrutement et de fidélisation de la main-d’œuvre, d’ores et déjà notables dans certains pays et susceptibles de s’accentuer dans les années à venir.

L’ensemble des systèmes de prise en charge devront alors faire face à deux défis majeurs. Le premier est financier : il s’agit de concilier l’objectif de maîtrise des dépenses publiques avec les exigences de protection auxquelles aspirent les personnes âgées en perte d’autonomie. Le second défi est organisationnel : permettre une meilleure
couverture des besoins de soins des personnes âgées dépendantes, en leur assurant une prise en charge de qualité, selon leurs souhaits, soit à domicile, soit dans une structure adaptée, notamment par un soutien aux différents intervenants (professionnels ou familiaux).

3 – Comment les systèmes nationaux de prise en charge sont-il financés ?

Dans la majorité des pays de l’OCDE, le financement public est largement prédominant. En 2008, les dépenses publiques s’élèvent en moyenne à 1,2 % du PIB dans un
ensemble de 25 pays de l’OCDE. Au-delà de l’hétérogénéité des systèmes de prise en charge de la dépendance, on peut distinguer trois types de couverture publique :

 i) un système de couverture universelle qui offre des services à tous les individus qui en ont besoin et qui est organisée au sein d’un programme unique (assurance sociale dépendance en Allemagne, au Japon ou aux Pays-Bas, services financés par l’impôt au Danemark ou en Suède, etc.) ;

 ii) un système de couverture qui fait office de filet de sécurité pour les plus démunis, où l’accès aux prestations est soumis à des conditions de ressources (Royaume-Uni, États-Unis) ;

 iii) un système mixte qui combine ces différents dispositifs et financements (Italie, France).
Dans l’ensemble des pays, l’assurance privée joue un rôle mineur, y compris dans les pays qui ont tenté de favoriser son développement. Une part des dépenses reste à la
charge de la personne âgée ou de sa famille : très variable d’un pays à l’autre, cette participation est parfois plafonnée (Pays-Bas). Depuis quelques années, on observe une
tendance à l’élargissement des bases de financement des systèmes de prise en charge et une tendance à cibler davantage les personnes qui ont les besoins les plus importants tout en universalisant l’accès aux prestations.

4 – Comment la perte d’autonomie est-elle évaluée, compensée et prévenue ?

L’entrée dans tous les systèmes de prise en charge est conditionnée par l’évaluation de la perte d’autonomie. Deux principales méthodes d’évaluation sont mobilisées selon les pays : une approche instrumentale qui établit une liste d’activités qui ne peuvent être réalisées sans l’aide ou le soutien d’un tiers, et une approche qui s’appuie sur la notion de “besoins de soins” et qui prend mieux en compte l’environnement social et physique de la personne âgée. Cette pratique de l’évaluation est toujours réalisée à un niveau décentralisé, même si le poids des collectivités locales diffère d’un pays à l’autre. Il est ainsi important en Suède, au Japon, au Royaume-Uni, tandis que certains pays développent des schémas nationaux d’évaluation afin de réduire les disparités des pratiques (Allemagne, Pays-Bas).

Dans quelques pays, des prestations sont directement délivrées à l’issue de cette évaluation (Allemagne, Danemark, Italie). Dans d’autres, des critères supplémentaires – comme l’âge de la personne (France, Suède, Royaume-Uni) et/ou le niveau de ressources (France, Pays-Bas, Royaume-Uni) – sont mobilisés pour l’attribution des prestations ou la définition de leur montant. Ces prestations sont délivrées en nature ou en monnaie. Pour des raisons de coûts et de respect du libre choix de l’usager, la plupart des pays ont opté pour des prestations monétaires, sous la forme de “budgets personnalisés”. Leur usage peut être contrôlé (France) ou pas (Allemagne, Italie). Les niveaux de prestation sont en général définis selon des niveaux de dépendance (à l’exception de l’Italie) et varient fortement d’un pays à l’autre, renvoyant à des conceptions de prise en charge et à des modes d’organisation fortement distincts. La palette d’offre de services est également très variable d’un pays à l’autre, mais aussi au sein d’un
même pays. De manière plus générale, on note de très fortes disparités entre régions, voire entre municipalités au sein d’un même pays, du fait du rôle majeur des collectivités territoriales dans le domaine de la prise en charge des personnes dépendantes.

Si l’objectif de prévention de la perte d’autonomie apparaît aujourd’hui consensuel dans l’ensemble des pays développés, sa mise en oeuvre est relativement récente et reste délicate. Sont adoptées dans de nombreux pays des mesures spécifiques (comme des programmes de prévention de chutes qui ont montré leur efficacité). Par ailleurs, certains pays tentent d’introduire une démarche globale de prévention dans les schémas organisationnels de prise en charge (par exemple au Royaume-Uni et en Allemagne, pour éviter le recours à des hospitalisations classiques peu adaptées).

5. Comment la prise en charge des personnes âgées est-elle organisée, à domicile ou dans des structures adaptées ?

Le maintien à domicile est un objectif prioritaire dans tous les pays étudiés, pour des raisons de coûts au niveau collectif et pour mieux répondre aux préférences des usagers. Sa mise en oeuvre concrète varie toutefois considérablement d’un pays à l’autre en fonction des acteurs responsables du financement et de l’organisation, en fonction du degré de développement des services d’aide à domicile, etc. La famille (aidants familiaux) joue un rôle prépondérant dans la majorité des pays. Là où l’offre de
services à domicile est peu développée, la famille est en première ligne. Elle peut être amenée à recourir aux travailleurs immigrés pour assurer une surveillance en continu des personnes âgées les plus dépendantes. Dans les pays où l’offre de services est bien structurée, la famille intervient de façon complémentaire aux pouvoirs publics. Le rôle de coordination de l’intervention des différents professionnels est ainsi assumé soit par la famille (Italie), soit par un care manager (Allemagne, Danemark, Royaume-Uni, Suède, etc.), qui assure toutefois des fonctions variables selon les pays.

Les lieux de vie et d’accompagnement des personnes âgées dépendantes se sont fortement diversifiés. Tandis que l’établissement médicalisé de long séjour fait figure de solution de dernier recours et que le maintien à domicile est la priorité dans l’ensemble des pays étudiés, les disparités entre pays apparaissent cependant très nettement selon que la question du lieu de vie est plus ou moins intégrée à une politique globale de maintien à domicile.

Des mesures spécifiques d’aides à l’adaptation des logements individuels ont été adoptées dans la plupart des pays. De plus, on observe une forte diversification des lieux de vie intermédiaires entre le domicile stricto sensu et l’établissement médicalisé : habitats en communauté afin de conserver une vie sociale (Pays-Bas, Royaume-Uni, Allemagne), formes de logements individuels connectés à
des offres de services pour des personnes ayant déjà des pertes d’autonomie importantes (Danemark), etc. Les formes de prise en charge médicalisées se sont elles aussi diversifiées, s’orientant vers des prises en charge temporaires pour des publics ayant un niveau faible ou moyen de dépendance (structures dites de “court séjour”, hospitalisation à domicile, etc.).

Dans certains pays s’observe une certaine spécialisation des structures d’accueil par public (notamment pour les personnes atteintes de formes de démence). Souvent, le manque de places dans les structures adéquates conduit à des situations sous-optimales (prise en charge inadéquate eu égard au degré de dépendance des personnes).
Depuis une dizaine d’années, des politiques de la qualité tendent à se structurer : elles concernent pour l’instant essentiellement la prise en charge en établissement.

Dans
les pays les plus avancés, l’usager et sa famille sont de plus en plus associés à ces démarches. C’est dans le cadre de ces réflexions sur la qualité de la prise en charge au grand âge que l’intervention des aidants familiaux doit être envisagée, en complémentarité avec celle des intervenants professionnels.

6 – Comment les systèmes de prise en charge soutiennent-ils les aidants familiaux ?

Le soutien aux aidants familiaux devient, depuis quelques années, une des dimensions majeures des politiques de prise en charge de la dépendance. Les aidants familiaux,
parmi lesquels on compte deux tiers de femmes, assurent près de 80 % des heures d’aide et de soins délivrés aux personnes âgées dépendantes. On note un recours plus
marqué à ces aidants informels dans des contextes nationaux de restrictions budgétaires, y compris dans les pays où la prise en charge formelle est la plus développée (pays nordiques, Pays-Bas). Plus ou moins étayés selon les pays, les dispositifs de soutien sont très variés : formes de compensation monétaire de pertes de revenus (prestation spécifique ou part de la prestation versée à la personne aidée), congés (rémunérés ou non, de courte ou longue durée), guichet unique d’information, interlocuteur unique (care manager), formations, structures de répit, etc. L’ensemble de ces mesures s’inscrit dans des logiques de prévention des situations d’épuisement des aidants et de mauvaise prise en charge des personnes âgées, voire de maltraitance.

Que retenir de cette comparaison internationale ?

De manière synthétique, plusieurs tendances peuvent être globalement observées dans la plupart des pays :

• les systèmes de prise en charge délivrent des prestations qui sont de plus en plus souvent universelles et ciblées sur les personnes ayant les besoins les plus élevés;

• la priorité est donnée au maintien à domicile par le biais de politiques de structuration de l’offre de services à domicile, d’adaptation des logements, de diversification des lieux de vie et de soutien aux aidants familiaux ;

• la coordination des acteurs reste un enjeu majeur des politiques de prise en charge du grand âge ;

• l’importance des politiques de prévention de la perte d’autonomie est partout reconnue. Toutefois, en dépit de résultats probants, ces programmes sont encore peu développés.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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