La presse estivale s’est largement répandue sur les méfaits des algues vertes « tueuses » qui polluent les plages. Si l’invasion de quelques sites est bien réelle, se soldant par la mort de quelques sangliers (sic), le danger s’est révélé somme toute minime. Au passage, derrière ce qui a été présenté comme une urgence nationale, on a oublié de montrer les extraordinaires bienfaits que peut apporter le plancton marin à l’humanité.

Ainsi les algues sont non seulement utiles pour concevoir des médicaments et pour l’alimentation, elles pourraient aussi, dans un avenir proche, prendre la relève des céréales comme biocarburants. Et cela devrait en toute logique satisfaire les nombreuses voix qui dénoncent les conséquences sociales et environnementales des carburants fabriqués à partir de produits agricoles, comme le maïs.

En couvrant seulement 1 % de la surface de la France avec du plancton marin, les besoins énergétiques du pays seraient totalement pourvus, avancent les experts. Les micro-algues qui, par photosynthèse, transforment l’énergie solaire en énergie chimique, offrent de gros avantages. Elles se cultivent facilement en bassin ou dans les bioréacteurs avec de l’eau de mer. Cela évite de puiser dans les réserves d’eau douce. Elles prolifèrent rapidement et peuvent fournir une récolte en continu. Leur rendement de production d’huile à l’hectare est bien supérieur à celui de toutes les autres plantes. Les bassins d’algues peuvent produire la consommation annuelle mondiale de carburant s’ils sont déployés sur 400 000 hectares (4 000 km²), soit un tiers de l’Île de France. À l’instar des espèces oléagineuses, les algues ont la propriété de contenir jusqu’à 60 % de leur masse en lipides. La

productivité des végétaux marins est donc une carte maîtresse pour répondre à la menace que font peser les agrocarburants sur la biodiversité. La force du phytoplancton ? La quantité. Un exemple : la « laitue de mer13 » qui est très répandue dans le monde. Avec une telle plante, il est envisageable de produire 700 fois plus de biomasse14 par hectare que sur un champ de blé. Contenant un pourcentage significatif d’hydrates de carbone, cette dernière a une croissance rapide.

Depuis 2006, les chercheurs du LOV, à Villefranche-sur-Mer, concoctent un produit énergétique capable de faire tourner un moteur à partir des micro-algues. Avec un litre de micro-algues, on peut obtenir cent grammes d’huile. Le rendement à l’hectare serait ainsi trente fois supérieur à celui du colza ou du tournesol. Produire du biodiesel à partir d’algues microscopiques, tel est précisément l’objectif du projet Shamash coordonné par l’Inria.

Sept équipes de recherche et un partenaire industriel travaillent sur le projet, dont Jean-Paul Cadoret, chef du laboratoire de physiologie et biotechnologie des algues de l’Ifremer, à Nantes. À l’écouter parler, les micro-algues, c’est l’eldorado de demain. Inépuisable ! D’après lui , « tout ce que l’on fait avec les plantes terrestres, nous le ferons mieux avec les micro-algues, un monde à découvrir….  »

La crise énergétique des années 1970 a révélé au monde le formidable potentiel de la biomasse micro-alguale comme carburant renouvelables. Dix ans plus tard, près de 40 usines asiatiques produisaient une dizaine de tonnes de microalgues, des chlorelles en majorité. Les années 1980 voient aussi débuter la production à grande échelle de nouvelles micro-algues, Dunaliella salina et les cyanobactéries.; Source de b-carotène, D. salina est aujourd’hui la troisième micro-algue la plus vendue.

Avec l’explosion des énergies renouvelables dans les années 2000, la production de biofuel à partir de micro-algues se retrouve sur le devant de la scène. Leur teneur élevée en lipides et leur forte productivité drainent plusieurs centaines de millions d’euros d’investissements depuis 2007 dans des sociétés développant des biocarburants dits de « 3e génération ».

Seule une dizaine de micro-algues est aujourd’hui sur le marché : spirulines, chlorelles et algues des genres Crypthecodinium, Dunaliella, Haematococcus, Ulkenia. L’industrie les exploite sous forme de biomasse sèche (micro-algue entière) ou d’extrait, dans des segments de marché aussi variés que l’alimentation humaine et animale, la cosmétique ou la recherche. Plusieurs dizaines de milliers de tonnes de biomasse sèche sont produites chaque année dans le monde

Une autre voie possible de valorisation énergétique des algues est l’hydrogène. En 1875, dans L’Île mystérieuse, Jules Verne parle de l’hydrogène comme du « combustible de l’avenir ». Il faut reconnaître que ce gaz réunit beaucoup d’atouts, au point de paraître, aux yeux de certains comme le moyen énergétique idéal. 100 % propre ! Bon marché, il constitue un vecteur d’énergie en quantité illimitée sur Terre, réparti équitablement sur toute la planète.

Selon l’AFH, le H2 est la molécule la plus énergétique (2,2 fois le gaz naturel). C’est aussi le plus léger des gaz. C’est en outre un excellent moyen de stocker de l’énergie. Mais son économie bute sur des problèmes technologiques et de production de masse. L’hydrogène pur n’existe pas dans la nature. Il faut donc le produire soit par électrolyse de l’eau, soit par le reformatage du gaz naturel, soit par l’intermédiaire d’algues. La production d’hydrogène par les algues est un domaine d’exploration pris très au sérieux. Marinant dans leur bouillon acide, verdâtre et acide, les micro-algues « stressent », faute d’oxygène. Pour décompresser, il leur faut utiliser leur stock d’amidon. La décomposition de l’amidon libère alors les molécules d’hydrogène. Ce qui est nouveau, c’est qu’on entrevoit aujourd’hui les perspectives industrielles d’une production de masse.

Certaines algues vertes sont capables, à partir d’eau et de lumière, de produire de l’hydrogène moléculaire qui pourra faire rouler des voitures à l’eau de mer. Des chercheurs de l’Institut de botanique de l’Université de Bonn sont parvenus à isoler le gène à l’origine de la production d’hydrogène chez l’algue verte et ont réussi à modifier génétiquement une variété de cette plante afin qu’elle augmente de manière significative sa production d’hydrogène17. En collaboration avec la société californienne Melis Energy, le Dr Happe et son équipe ont modifié, grâce à un régime « sans soufre » le comportement des algues, faisant passer leur métabolisme en mode « stockage d’énergie ». En fait, n’étant plus en mesure de synthétiser un grand nombre de protéines, ces dernières stockent les surplus d’énergie résultant de la photosynthèse sous forme d’hydrogène.

L’équipe de Bonn a pu individualiser l’enzyme responsable du processus de fabrication de l’hydrogène chez l’algue verte. Ils étudient actuellement le moyen de fixer ces enzymes sur des membranes artificielles pour créer des sortes de « batteries biochimiques » permettant la production d’hydrogène à partir de la lumière du soleil.

L’exploitation des plantes marines n’en est qu’à ses balbutiements. Des bassins d’algues et des usines sont en train de naître. Un travail gigantesque de défrichage et décryptage est à entreprendre qui devrait bientôt se concrétiser par la création d’un Institut des micro-algues. Il existerait entre 200 000 et un million d’algues offrant des particularités différentes. Elles possèdent des nitrates et des phosphates utiles pour la valorisation des déchets. « De véritables machines à avaler le C02 ! Cela permet de piéger les métaux lourds et de restituer l’ensemble sous forme de biomasse saine. Elles le captent pour restituer de l’oxygène15.» Une vraie aubaine ! Les micro-algues peuvent donc à la fois produire un carburant « vert » tout en luttant contre la pollution.

Les Américains qui, depuis plusieurs années, testent l’industrialisation des bioénergies dans des bioréacteurs installées à Hawaï et en Californie, estiment que l’huile d’algue produira à terme l’équivalent d’un quart des carburants fossiles.

En 2010, la compagnie EADS a fait voler chaque jour un Diamond DA42NG (nouvelle génération) avec un biocarburant algual. 100 kilos d’algues avaient été nécessaires pour extraire 22 litres d’huile d’algues et fournir 21 litres de biocarburant. Pendant sa phase de développement cette quantité d’algue aurait absorbé 182 kg de CO2 et le biocarburant obtenu contiendrait huit fois moins d’hydrocarbures fossiles que le kérosène dérivé du pétrole. Ces essais ont permis d’économiser de 5 à 10% de carburant. EADS a ainsi estimé que les biocarburants pourraient représenter jusqu’à 30% des carburants avions utilisés d’ici 2030. Cet exemple suffit à montrer l‘avenir prometteur de l’énergie des algues

Un Livre Turquoise proposant une synthèse des connaissances sur cette filière (acteurs, projets, atouts, verrous, perspectives) et définissant une feuille de route stratégique concrète permet d’y voir plus clair sur le développement des filières Algues françaises, aussi bien dans les domaines de l’alimentation, la santé, la cosmétique, l’environnement, la chimie verte, que dans les biocarburants… Plusieurs acteur sont à la base de cette initiative, parmi lesquels Adebiotech et ses partenaires, les pôles de compétitivité Pôles Mer Bretagne, Mer PACA (partenaire du blog des énergies de la mer), Industries & Agro-Ressources (IAR) et Trimatec; les clusters Atlanpole Blue Cluster et Algasud, le CEA, Veolia Environnement et Fermentalg.

Mais ce potentiel des macro et micro-organismes végétaux non alimentaires se heurte, pour le moment, à des difficultés techniques et économiques de rentabilité. À l’heure actuelle, le litre de carburant d’algue coûte plus cher que le pétrole. Selon les auteurs du rapport, l’exploitation des algues n’aura de sens que si elle rentre dans le cadre d’une chaîne industrielle qui ne se limite pas à l’énergie mais intègre les médicaments, les cosmétiques et les procédés de dépollution des eaux. On conçoit aussi aujourd’hui des piles à combustible microbiennes marines qui transforment directement et rapidement la biomasse en énergie électrique. Lire aussi: « les algues: un eldorado médical, alimentaire et énergétique »

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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