La journaliste et ancienne porte-parole du procureur du TPIY dénonce un verdict contraire aux règles internationalement reconnues et à la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Par cette décision, le TPIY a montré qu’il ne renonce pas à recourir à la censure pour empêcher toute forme de critique à l’encontre des juges internationaux.

Le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie a, mercredi 20 juillet 2011, confirmé en appel la condamnation pour outrage au Tribunal de Florence Hartmann, assortie d’une amende de 7 000 euros comme en première instance.

En condamnant ainsi Florence Hartmann sans même une audience, par un jugement rendu à la sauvette à quelques jours des vacances judiciaires, le TPIY vient de confirmer les craintes de ses plus fervents défenseurs et de justifier les critiques de ses adversaires les plus acharnés : OUI, la Justice Internationale obéit à des intérêts politiques bien étrangers aux missions qui lui ont été assignées, NON, elle n’a pas pour seul objectif d’établir la vérité afin que les conditions d’une paix durable soient établies.

Nous ne pouvons accepter ce jugement et il s’agit dès maintenant de le contester devant toutes les autorités compétentes. Florence Hartmann définira sa stratégie avec ses conseils. De notre côté , nous ne pouvons que lui réaffirmer notre soutien inconditionnel dans les actions qu’elle entreprendra.

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Rappel

Fin août 2008, Florence Hartmann avait été inculpée par le TPIY d’outrage au Tribunal, c’est à dire d’entrave à la justice (contempt of court). Elle était accusée d’avoir révélé non pas l’existence d’un accord entre le Tribunal et la Serbie, dévoilé avant elle par d’autres journalistes, – et dont l’objet était de placer sous le sceau du secret les passages les plus compromettante des archives de guerre de Belgrade des années 90 -, mais d’avoir précisé, contrairement aux autres journalistes, les dates et les conditions de cet accord et identifié ses signataires.

Cet accord conclu entre les juges du TPI et les représentants de la Serbie devait rester secret. Son existence avait cependant été rapidement mentionnée dans plusieurs décisions publiques du TPIY. Et au printemps 2007, la presse internationale avait dénoncé cet accord qui rendait non seulement inaccessible la vérité historique contenue dans les archives de guerre du Conseil Suprême de Défense mais, qui plus est, privait les victimes de toute possibilité de citer ces documents pour faire valoir auprès de la Serbie leur droit à des réparations.

Quelques mois plus tard, dans son ouvrage sur les Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Rwanda (TPIR), Paix et Châtiment, les guerres secrètes entre la justice et la politique internationales, publié chez Flammarion en septembre 2007, puis dans un article en anglais (Vital genocide documents concealed, publié en janvier 2008 par le Bosnian Institute de Londres), Florence Hartmann était revenue sur le sujet et avait reconstitué les différentes étapes de l’accord contesté.

Elle démontrait tout d’abord que les Juges du TPIY avaient abusé de leur pouvoir discrétionnaire lorsqu’ils avaient privilégié de manière infondée et disproportionnée les intérêts d’un Etat, la Serbie, aux dépens des droits fondamentaux du public et des victimes. Elle indiquait par ailleurs que malgré la reconnaissance par les juges de cet abus, la Chambre d’appel avait décidé de fermer les yeux afin de satisfaire aux exigences de la Serbie qui s’opposait alors à ce que les preuves de son implication dans la guerre et les crimes en Bosnie-Herzégovine tombent dans le domaine public.

Le 14 septembre 2009, Florence Hartmann était condamnée au pénal à 7 000 euros d’amende. Elle avait fait immédiatement appel de ce jugement qui contestait l’indispensable publicité de toute procédure pénale ainsi que la protection spéciale et accrue, garantie par la législation internationale en matière de liberté d’expression, de discuter de sujets d’intérêt public ou d’intérêt général.

Le jugement reconnaissait que l’accord secret conclu entre les juges du TPIY et l’Etat serbe avait été préalablement dévoilé par la presse internationale, qu’aucun journaliste n’avait été pénalisé pour en avoir révélé l’existence mais condamnait Florence Hartmann pour avoir apporté « certaines informations qui n’étaient pas tombées dans le domaine public » (paragraphe 33 du jugement de première instance) sans pour autant les énumérer.

Dans le cadre de la procédure d’appel, l’ONG internationale Article 19, spécialisée dans la législation internationale en matière de liberté d’informer, avait agi en tant qu’ami de la Cour (Amicus Curiae) et soumis à la Chambre d’appel un aide-mémoire des principes généralement reconnus par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et par la législation internationale relative aux Droits de l’Homme dans ce domaine.

En première instance, Florence Hartmann n’a pas été condamnée en tant qu’ancienne porte-parole du procureur du TPIY (2000-2006) mais bien en tant qu’auteur des écrits incriminés, et donc en tant que journaliste et écrivain d’investigation. Elle n’a jamais été poursuivie pour violation du devoir de réserve. Le TPIY n’a jamais nié que les informations avaient été obtenues de façon légitime en dehors du Tribunal et après que Florence Hartmann a quitté le Tribunal.
Près de deux ans se sont écoulés entre le jugement de première instance et la notification du jugement en appel, période inhabituellement longue pendant laquelle Florence Hartmann, condamnée au pénal, n’a pu jouir de son droit à la présomption d’innocence. Dans l’intervalle, l’accord entre la Serbie et les juges du Tribunal était devenu caduc après que Belgrade a renoncé à exiger que soient maintenus sous le sceau du secret les passages les plus compromettants de ses archives du Conseil Suprême de Défense. Au printemps 2011, les juges du Tribunal avaient rendu publiques ces archives.

Ancienne journaliste du Monde, Florence Hartmann avait couvert dans les années 90 la guerre dans les Balkans et signé un premier ouvrage sur Milosevic en 1999 (Milosevic, la diagonale du fou, chez Denoël). En 2006, elle avait été témoin de l’accusation à l’encontre de Veselin Sljivancanin, condamné par le TPIY à 10 ans de prison pour sa responsabilité dans le massacre de Ovcara, après la chute de Vukovar en 1991.

Le respect de la jurisprudence internationale aurait voulu que Madame Hartmann ne soit pas mise en accusation pour avoir exercé son droit le plus strict d’informer, notamment sur le fonctionnement du système judiciaire pénal, droit qui l’autorise à divulguer des informations d’intérêt général quand bien même confidentielles à l’origine, dès lors qu’elles sont déjà connues en partie du public. Florence Hartmann avait reçu le soutien de nombreuses personnalités à travers le monde.

Les jurisprudences européennes et américaines s’accordent sur le fait que les journalistes ne peuvent pas être tenus de taire des informations qu’une institution considère confidentielles si ces informations sont déjà, en partie ou en totalité, dans le domaine public. En condamnant Florence Hartmann en appel, le Tribunal a donc en toute connaissance de cause choisi de créer un précédent qui contredit les lois applicables dans le monde démocratique. Par la nature de son statut d’autorité internationale, le TPIY a en ce jour créé un précédent juridique ayant valeur normative qui peut, dès lors, être légitimement invoqué pour restreindre la liberté d’expression en lieu et place des standards internationaux jusqu’ici en vigueur. En conséquence, il y aura désormais un conflit entre cette nouvelle jurisprudence internationale et les règles établies notamment par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) concernant l’article 10 [de la Convention Européenne des Droits de l’Homme].

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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