Entre jeunes du Maghreb et jeunes d’Europe, qu’y a-t-il de commun? Est-il envisageable de vivre en Europe un phénomène de révolte comparable à celui de Tunis ou du Caire et une mobilisation d’une telle ampleur ?

1) En Égypte et Tunisie les jeunes furent le moteur du changement. Comment peut-on expliquer sa capacité de mobilisation …?

Le clivage générationnel est très fort dans ces pays entre les jeunes de moins de 20 ans qui représentent près de 50 % de la population et les hommes politiques au pouvoir. Inutile de dire que les jeunes ne se sentent pas représentés. En Tunisie, le taux de chômage des jeunes diplômés est estimé à 40 %. Comment ne pas comprendre le désespoir d’une jeunesse privée de son droit d’expression et dont le seul avenir proposé est l’exil ou la soumission à un régime corrompu. Les jeunes disposent aujourd’hui avec internet des moyens de s’informer et il devient difficile pour un pays totalitaire de masquer la réalité. Ce ne sont pas des doux rêveurs et la mondialisation n’est pas seulement un phénomène économique.

2) Les jeunes arabes font-ils aussi partie de la « Génération Y » ? Quels éléments de ressemblance peut-on trouver entre eux et les jeunes européens ?

Je suis fréquemment dans les pays du Maghreb et je peux vous dire que les aspirations des jeunes marocains ou tunisiens issus de la classe moyenne sont très proches de ce que nous constatons en Europe. Ils expriment le besoin d’être reconnus et respectés pour ce qu’ils sont. Ils baignent dans la culture occidentale et cela génère un vrai choc avec celle de leurs parents. Le fossé générationnel est fort en Europe mais il l’est encore plus dans cette partie du monde où le modèle familial traditionnel est fortement remis en cause. Selon la célèbre formule : les référents sont plus les pairs que le père… et un changement aussi rapide est difficile à vivre. Ce qui est vrai dans la famille, se constate d’une manière comparable dans la société et l’entreprise. Les jeunes diplômés savent négocier et ils refusent la soumission. Fait incroyable dans des pays où la remise en cause de la hiérarchie correspond à un réel changement de paradigme

3) Est-il envisageable de vivre dans notre vieille Europe un phénomène de révolte comparable et une mobilisation d’une telle ampleur ?…

Les jeunes Grecs ont déjà eu l’occasion de se faire entendre et il n’est pas impossible que la situation économique des jeunes espagnols ou portugais facilite prochainement l’émergence d’un mouvement de révolte d’une ampleur comparable.
En mai 68, la révolte avait fait tâche d’huile et l’Italie et la France pourraient ainsi se retrouver dans la rue puisque leur situation économique n’est pas des plus enviables. Le chômage est une poudrière pour nos sociétés. L’Organisation Internationale du Travail considère, dans un rapport publié en novembre 2011, qu’il s’agit d’une « génération perdue ». En France, le taux de chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans est de 23%. Un chiffre qui traduit une réalité inquiétante puisque nous savons qu’une écrasante majorité des personnes de moins de 25 ans poursuivent encore leurs études. L’Insee fournit d’autres chiffres qui permettent d’affiner l’analyse : le taux d’emploi de cette classe d’âge est de 28 % en 2010 contre 51,2% pour l’ensemble de la population française.

4) Est-il vraiment concevable que nos jeunes plutôt individualistes et peu impliqués politiquement soient capables de descendre dans la rue pour faire entendre leurs revendications ?…

Les jeunes montrent qu’ils sont capables de s’organiser lorsque l’enjeu le justifie.
Aux Etats Unis, la victoire d’Obama n’a pas d’autres causes que la mobilisation de cette génération Y . Les réseaux sociaux avaient déjà eu l’occasion de montrer leur efficacité par rapport à la force de frappe des grands medias. Les politiques en France et en Italie ont bien compris ce danger mais il n’est pas facile de récupérer les jeunes car ce sont des consommateurs avertis et ils ne sont pas faciles à berner.
Le scénario le plus probable est que nous allons vivre une révolution silencieuse. Le temps joue en faveur des jeunes : dans 4 ou 5 ans, avec le départ massif à la retraite des baby boomers le rapport de force va s’inverser.

5) Pour quel idéal et dans quel but la « Génération Y » européenne et française est-elle prête à descendre dans les rues ?

Elle a un grand besoin d’équité et de justice sociale. Au-delà du chômage et de la précarité de l’emploi, les jeunes vivent très mal l’accaparement du pouvoir par les autres générations et la dette publique qu’elle va devoir assumer. La jeunesse a une grande méfiance vis-à-vis des appareils politiques. Les professionnels de la politique manquent à leurs yeux de crédibilité. Les discours « langue de bois » sont rapidement critiqués, eux si sensibles à l’authenticité et à la transparence des émotions. Toutefois, il sera intéressant de voir son comportement lors des toutes prochaines consultations électorales. S’ils décident d’y jouer un rôle, nul doute qu’il sera alors décisif.

* Daniel Ollivier est directeur associé THERA Conseil

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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