Mi-avril, sur le site du Figaro.fr, je tombe sur cette information : aux États-Unis, dans un aéroport de Louisiane, plus précisément, si mon souvenir est bon, une petite fille de 6 ans est fouillée à corps par une employée, au moment du passage des désormais traditionnels portiques de détection de métaux.

Cela se pratique régulièrement, semble-t-il, au pays de la libre entreprise, au nom du fait que les terroristes peuvent parfois se servir des enfants pour accomplir leur besogne de mort. On choisit donc au hasard des jeunes comme des adultes pour pratiquer cette palpation intime à la recherche d’hypothétiques explosifs. Mais, en général, précise l’article, on ne s’attaque pas à des enfants de moins de 13 ans.

On peut s’interroger sur cette paranoïa qui s’est emparée des Américains, après le 11 septembre, et qui aboutit à ce genre de dérive : chaque individu, quel que soit son âge et sa nationalité (ici il s’agit d’une petite fille blonde tout ce qu’il y a de plus américaine) est considéré par les autorités contrôleuses comme un terroriste potentiel. On peut aussi être révolté de voir qu’une fillette impubère doit subir des attouchements à l’intérieur de sa ceinture de pantalon et à l’entrejambe. Ce n’est pas le moindre des paradoxes dans un pays puritain extrêmement pudibond et particulièrement sourcilleux quant aux agressions sexuelles envers les enfants. On peut encore constater que l’obsession sécuritaire conduit inexorablement à une diminution des libertés individuelles, notamment celle de voyager, et, en cela, fait le jeu des extrémistes, liberticides par nature autant que par idéologie.

Juste une image

Mais, dans ce journal, là n’est pas mon propos. Je me demande pourquoi, cet « événement », certes choquant, mais qui doit se reproduire des centaines, voire des milliers de fois par jour, aux États-Unis, est porté à notre connaissance à la Une du site d’un grand quotidien français. La réponse est simple : le père de la fillette a filmé la scène et l’a diffusée sur Internet. Il y a donc à voir, et, comme disait Mao, qui s’y connaissait en propagande, une image vaut mieux que mille mots : ce pour quoi il se faisait photographier en train de traverser le Yang-tsé-Kiang à la nage pour montrer sa grande forme physique de vieux dictateur noceur (photographie sans doute truquée).

En réalité, il n’y a pas grand-chose à voir : la pauvre employée d’aéroport s’acquitte de sa tâche sans trop insister, sans gestes inconvenants, mais avec l’allure toute professionnelle et autoritaire qui est l’apanage des fonctionnaires américains. Les images n’ajoutent donc rien à l’absurdité de la situation déjà décrite par les mots : la fouille hasardeuse d’une gamine apeurée.

Et pourtant, sans ces images, cette situation somme toute banale et de peu d’importance, même si elle malséante, n’aurait pas fait le tour du monde, n’aurait jamais eu un tel écho auprès des responsables politiques américains qui s’en sont alarmés, ne serait pas devenue une « information » digne d’être lue et commentée par des millions de personnes.

Et pas des images justes

Une fois encore, la célèbre sentence du regretté Marshall McLuhan (c’est tout ce qu’on a retenu de lui, mais au moins il a laissé cette trace indélébile dans nos mémoires) : « Le médium est le message » se trouve vérifiée. La nature du canal qui transmet le message est plus importante que le message lui-même. Il disait cela pour la télévision, qui, à son époque (les années 1960), commençait à régner en maître. Mais cette dernière étant sur le déclin, ce sont aujourd’hui les YouTube et autres Dailymotion qui ont pris la relève et sont devenus des « médias-messages », autrement des vidéoscopes (leur rôle est au départ de permettre de regarder des vidéos) transformés en « vidéoscoops », des faiseurs d’information, dont se nourrissent en permanence les médias journalistiques officiels et patentés, renforçant ainsi leur pouvoir.

On ne se connecte pas à ces distributeurs de vidéos en tout genre, à ces bazars d’images pour chercher une information précise et approfondie sur un sujet qui nous intéresse, car ils ne traitent pas l’information, c’est chacun d’entre nous qui les alimentons en vrac et à la tonne d’images, sans aucun classement, ni hiérarchisation, ni vérification des sources (et ils ne prétendent aucunement être des sites d’information). On s’y rend parce qu’on sait qu’on va bien trouver, dans la masse, en se baladant, un objet visuel qui deviendra une information du simple fait qu’il se trouve là, à disposition, parce qu’on le sélectionne et que l’on peut le réutiliser et le faire circuler, comme dans une brocante, une vieille table reprend sens du fait qu’en l’achetant nous allons lui redonner un usage.

Le seul « travail » d’information est d’aller à la pêche et de ramener du fond de cette foirefouille numérique n’importe quoi, pourvu que ça ait l’air drôle, surprenant, provocateur, décalé, choquant, inquiétant. Ensuite, par la force du réseau et la rapidité des connexions, auxquelles s’ajoute le comportement mimétique des médias, un fait quasi insignifiant peut devenir une information mondiale.

 Lire la chronique précédente : Parlez-moi de moi

Au sujet de Bruno Tilliette

Bruno Tilliette est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef des revues Autrement, Management et conjoncture sociale et Dirigeant. Il tient une chronique régulière sur place-publique.fr depuis plusieurs années. Il est également auteur ou coauteur d’une dizaine d’ouvrages portant sur la communication et le management en entreprise, l’éducation et la formation ainsi que sur l’évolution de la société française.

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Le Magazine, Médias et démocratie

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