Dans cet entretien, Jean-Baptiste de Foucauld explique que  » la crise de l’emploi n’est pas une question qui a été vraiment prise au sérieux par nos responsables politiques et chefs d’entreprise. Pour sortir du chômage, souligne-t-il, il y a deux exigences : la cohérence et la continuité. »

Quelle est la situation du chômage en France ?

Disons les choses simplement : On ne s’est jamais mis autour de la table pour discuter du travail et de l’emploi, comme l’ont fait, par exemple, les partenaires sociaux en Suède. Résultats, la France est un des mauvais élèves européens en matière d’emploi, avec un taux de chômage qui n’a jamais été en dessous de 7,2% et une durée moyenne sans emploi de 14 mois. C’est élevé. Le chômage de longue durée est mal couvert. La situation est particulièrement difficile pour les jeunes et les seniors. Un seul bémol à ce bilan catastrophe : la France est le pays d’Europe où la stabilité moyenne dans l’emploi reste forte (13 ans environ).

Qu’est ce qui caractérise la situation des jeunes ?

Si la baisse des taux d’activité aux âges jeunes n’est pas spécifique à la France, elle y est cependant marquée. La génération des 18-25 ans se distingue des générations précédentes, par une augmentation de la scolarité, un allongement massif de la durée des études et une élévation moyenne du niveau de diplôme. Mais elle se caractérise aussi par des conditions d’accès au marché du travail plus chaotiques, malgré le surcroit de qualification. Ce déclassement accroit la dépendance des jeunes adultes vis-à-vis de leurs familles. Nombre d’entre elles ne peuvent faire face aux besoins de leurs enfants, parce qu’elles sont elles-mêmes fragilisées par le chômage. La difficulté des jeunes à trouver un emploi intervient à un moment difficile de la vie, dans une période de transition, où l’on cherche à construire ses propres repères. Leur taux de chômage est près du double du taux moyen ( plus de 20%). On atteint des taux record de plus de 40% chez les jeunes des cités. L’insertion des jeunes dans un travail stable passe souvent par une suite d’emplois de courte durée . Leur taux d’activité amplifie les variations de la conjoncture économique, d’ailleurs à la baisse comme à la hausse. Il est mal pris en charge par l’assurance chômage, qui suppose des cotisations préalables d’une durée suffisante (4 mois).

Pourquoi le chômage est-il si élevé?

Les sociétés modernes veulent tout : le progrès technique, les gains de productivité, la liberté de l’emploi, de bonnes conditions de travail, la liberté d’entreprendre et de licencier. On a bien sûr raison d’être exigeant, mais il faut reconnaître qu’il n’est pas commode de faire tenir tout cela ensemble. Historiquement, l’évolution des sociétés explique qu’il y a des moments où l’emploi se recompose et d’autres où il se délite. Pendant les 30 Glorieuses, les gens des campagnes allaient vers la ville et les petites structures cédaient le pas aux plus grandes. Mais il y avait peu d’évolution démographique, et l’inflation était acceptée. C’était l’ère du plein emploi. Un changement de paradigme est intervenu au moment du premier choc pétrolier. La hausse du coût de l’énergie a coïncidé avec la montée en puissance de la concurrence mondiale. Dans la société industrielle, l’emploi se créé relativement facilement. L’insertion est plus aisée car ce qui est requis est surtout la force de travail et l’effort physique. Ce n’est pas le cas dans la Société de services d’aujourd’hui qui exige plus de formation, de qualification, et d’abstraction. La nature du travail est plus complexe, le coût du travail a une incidence plus forte. Il est moins évident de s’insérer dans cet environnement restreint. Il y a donc de plus en plus de gens en dehors.

Quels sont les principaux modèles possibles de retour au plein emploi?

Il y a deux stratégies principales. Le modèle libéral anglo-saxon et le modèle nordique.
Le premier privilégie la responsabilité individuelle dans le marché. Pour les tenants de ce modèle, si le chômage est fort, c’est parce que le prix du travail est trop élevé. La solution est de dérégulariser l’embauche et le licenciement tout en responsabilisant les individus. Chacun pour soi.
Le modèle nordique des pays scandinaves nécessite quant à lui une grande discipline collective pour optimiser le fonctionnement du marché. Les partenaires sociaux agissent par le dialogue, et obtiennent des consensus. L’emploi est régulé et organisé. Les chômeurs sont bien indemnisés mais ils ont l’obligation de se former et de respecter strictement les devoirs des demandeurs d’emploi.
La France ne veut pas du modèle libéral qui aboutit dans bien des cas à une dévalorisation des métiers et à des emplois de mauvaise qualité. Elle rêve du système suédois mais à cause de ses excès d’individualisme, elle n’a pas les structures collectives qui rendent possible son adaptation. Notre pays connait de grandes difficultés pour articuler les rôles respectifs de l’individu et de l’Etat, pour mettre d’accord les acteurs économiques et les acteurs sociaux, pour donner leur place aux outsiders, pour définir la place respective de la loi, de la négociation sociale et des mécanismes de marché. Il existe une mauvaise liaison entre le modèle social et la performance économique.

Quelles sont les conséquences de ce défaut de modèle sur la politique du chômage?

Le problème est que nous utilisons des mesures qui tentent de résoudre la crise de l’emploi de manière automatique, mais sans agir en profondeur. Ces mesures jouent sur les chiffres du chômage, pour que les indicateurs aillent mieux, mais ne se préoccupent pas de la qualité des politiques et des réformes à entreprendre. L’argent qu’on dépense n’est jamais suffisant pour obtenir des résultats probants. Ces politiques de réformes ne sont jamais menées jusqu’à leur terme. Les politiques d’insertion, pourtant imaginatives, ont été marquées par la précarité et l’obsession quantitative, là où il fallait de la continuité et de la qualité. Les recherches d’une voie cohérente et innovante à la française ont été détournées de leur sens.

Prenons la CSG. Elle a permis d’augmenter les prestations sociales, alors qu’elle aurait du soulager l’appareil de production et non financer un surcroit de dépenses. Autre exemple : les allègements de charge qui donnent la possibilité d’alléger le coût du travail. C’est une mesure qui a servi à défendre l’emploi existant et à compenser les effets négatifs des hausses du SMIC mais pas à créer des nouveaux emplois. En outre, ces allègements n’ont pas fait l’objet de négociations entre les partenaires sociaux. Quant aux 35 heures. On a créé de l’emploi mais à un coût trop élevé. La RTT n’a pas profité à ceux qui en avaient le plus besoin, et elle a accru l’illisibilité des politiques publiques.

A quelles conditions peut-on aller vers le plein emploi et des emplois de qualité ?

Pour sortir du chômage, il y a deux exigences : la cohérence et la continuité. Il faut changer d’état d’esprit et rompre avec la fatalité. « On a tout essayé. Il faut s’accommoder avec le mal » a dit un jour un président de la République. Ce constat sonne comme un véritable désastre qui en dit long sur nos manières de voir les choses. Comme si le chômage était un mal nécessaire, rituel. Le changement passe d’abord par le développement d’une conscience psychologique. Il faut se dire : « on veut y arriver, on peut y arriver, on va y arriver ». Cette révolution psychologique ne peut être assurée que si on en fait une authentique priorité. Il faudrait un Aimé Jacquet pour assumer ce rôle d’entraîneur. Cela passe aussi par la nécessité d’accepter d’en payer individuellement et collectivement le prix. Dans les politiques d’insertion, on n’a jamais su mettre vraiment le paquet pour sortir les gens définitivement de leurs difficultés. Il est aussi indispensable, par exemple, que le pôle emploi soit bien doté pour qu’il fonctionne convenablement.

Le prix à payer est la stabilité ou l’augmentation des prélèvements obligatoires, mais en les optimisant par rapport à l’emploi, tant dans la manière de prélever (sur les revenus plutôt que sur la production), que de redistribuer : la fonction sociale emploi doit passer avant les autres. Expérimenter des formes plus globales de diversification et de sécurisation des parcours et relancer la politique du temps choisi me semblent être également des priorités. Les modèles suédois et danois représentent une source d’inspiration pour conjuguer cohérence, sécurité et souplesse. Dans ces pays, les jeunes de 18-25 ans connaissent à la fois des taux élevés de scolarisation et une plus forte participation au marché du travail, du fait de la poursuite plus fréquente d’études à temps partiel.

Concrètement, à quoi pensez-vous pour améliorer l’emploi des jeunes?

Il convient de mobiliser davantage de crédits publics aussi bien dans la poursuite des allègements de charges des bas salaires, que dans la formation, la création d’entreprise et les contrats aidés. La couverture chômage des contrats courts à 3 mois au lieu de 4 serait une bonne décision. La formation en alternance offre également des perspectives importantes pour l’emploi des jeunes, si chacun joue le jeu, en particulier l’éducation nationale et les entreprises. De manière générale, une nouvelle régulation salariale est souhaitable. Les salaires moyens doivent être revalorisés.

Pour être plus concret, trois idées me tiennent à cœur.

 La première profiterait directement aux jeunes. Il s’agirait d’instituer une sorte d’obligation d’embauche pour résorber le chômage récurrent ou de longue durée. On pourrait s’en acquitter par le versement d’une taxe qui financerait de manière stable et régulée les contrats aidés. Cela permettrait le recrutement de jeunes en difficulté.

 La deuxième idée consiste à universaliser et étendre l’assurance chômage aux trois fonctions publiques et aux créateurs d’entreprise pour réduire la place devenue excessive des minimas sociaux. Cela permettrait, entre autres, d’étendre les allègements de charges aux cotisations employeurs de l’assurance chômage pour les entreprises ayant signé un accord d’optimisation de l’emploi avec leur personnel.

 La troisième direction est d’élargir le RSA aux jeunes en difficulté qui s’engagent dans un parcours d’insertion structuré avec un accompagnement puissant. Il s’agit de donner le droit à un revenu d’autonomie avec un contrôle fort. La mise en œuvre bien ciblée de ces moyens publics permettraient aux jeunes en difficultés de s’éloigner de la pauvreté et de l’exclusion. L’ autonomie ainsi acquise les pousserait à mieux défendre leurs intérêts qu’ils ne le font aujourd’hui et à peser dans le débat public, ce pourquoi il faut les aider à s’organiser.

(Propos recueillis par Yan de Kerorguen)

* Cet article est paru dans le numéro 94 (avril 2011) du magazine « Jeune dirigeant ».

*Inspecteur général honoraire des finances et ancien commissaire au Plan (1992-1995), Jean-Baptiste de Foucauld est l’auteur de plusieurs rapports sur l’autonomie des jeunes, l’exclusion sociale, l’emploi. Fondateur de «Solidarités Nouvelles Face au Chômage », il est l’auteur de « L’abondance frugale » aux Editions Odile Jacob. 2010

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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GENERATION, Le Magazine

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