Au-delà de l’émotion qu’elle provoque, l’effroyable épreuve que traverse le Japon, depuis le 11 mars 2011, ébranle nos consciences et interroge chacun d’entre nous sur les choix énergétiques du futur

La violence du tremblement de terre et la désolation engendrée par le tsunami n’a d’égal que la terreur qu’inspire la catastrophe nucléaire de grande ampleur qui s’est produite dans la centrale de Fukushima. Le caractère définitif des conséquences que cela aura sur l’environnement nous interroge sur l’avenir de cette énergie si controversée.

La défaillance des trois réacteurs nucléaires et des cinq piscines de combustible de Fukushima tend à nous montrer que là où on atteste un niveau de risque improbable, la sécurité n’est jamais garantie. Au Japon comme dans d’autres pays. Ainsi l’enceinte de confinement des réacteurs nucléaires occidentaux actuels n’est pas conçue pour résister à l’impact d’un avion commercial gros porteur. Et pourtant il faudrait qu’il en soit ainsi. Aux inquiétudes sur la sécurité se superposent les inquiétudes sur les interventions post accident. Le désarroi des ingénieurs nippons pour tenter de limiter les dégâts nous laisse perplexes sur le niveau de maîtrise des interventions et nous amène à douter de la fiabilité des solutions pour contenir les catastrophes. Enfin, le caractère définitif des conséquences que l’accident nucléaire a sur l’environnement inquiète. Tchernobyl en a montré l’ampleur. On évalue à 500 milliards de dollars le coût de l’accident survenu en 1986 à la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine) qui a rendu impropre à la vie une zone de 30 kilomètres. Il est difficile de chiffrer les conséquences sanitaires et humaines que l’accident a provoqué. Le nombre de décès directement imputables à la radioactivité varie entre 9 000, selon le rapport élaboré en 2006 par plusieurs agences de l’ONU sous la houlette de l’AIEA, et 90 000 selon Greenpeace.

Il y a désormais un « avant » et un « après » Fukushima. Chaque pays doit prendre la mesure du problème qui est aujourd’hui posé : faut-il sortir du nucléaire et si oui, quand?
Avec ses 58 réacteurs et 1100 sites renfermant des déchets nucléaires, la France détient le record du pays le plus nucléarisé au monde par rapport au nombre d’habitants. 78% de la consommation électrique nationale vient du nucléaire .
La question du nucléaire qui divise les Français sur le rapport entre ses bienfaits et ses dangers doit aujourd’hui les réunir au sein d’un débat public que nombre de grands pays ont décidé d’avoir sur l’avenir de cette énergie. Qu’il s’agisse de la prévention des catastrophes, des problèmes de l’approvisionnement en combustible, c’est-à-dire en matières fissibles, qu’il s’agisse de la question du traitement des déchets, pouvant avoir une longévité de plusieurs milliers d’années, du risque terroriste ou encore de la menace liée à la prolifération de l’armement nucléaire, l’information et la transparence s’imposent. Quand bien même, il est peu probable qu’en France nous connaissions des scénarios semblables à celui qui s’est produit au Japon, il n’empêche. Même l’improbable doit sérieusement être envisagé.

Pour autant, un débat qui reposerait sur la peur serait contreproductif. Si l’on veut être optimiste, on admettra volontiers qu’en 50 ans de nucléaire, il n’y a pas eu d’accident majeur en France. Tout compte fait, le pétrole et le charbon ont fait bien plus de victimes. On admettra aussi que l’impact du nucléaire sur le réchauffement climatique est faible. Il ne rejette pas de polluants atmosphériques. Grâce à ses réacteurs, la France fait partie des pays qui émettent le moins de gaz à effet par habitant. On sait aussi que les nouvelles générations de EPR sont conçues pour diminuer par 10 la probabilité de risque d’accident. Ces nouveaux réacteurs sont donc plus sûrs et aussi plus économes en uranium. En outre le nucléaire est l’industrie la plus surveillée qui soit. Le moindre incident fait l’objet d’une analyse méticuleuse. On estime la probabilité d’un accident à un tous les 2000 ans.

Les « contre », les « pour », mais surtout les échéances pour l’avenir, tout cela doit être discuté. Pourtant, à la différence de bon nombre de gouvernements voisins, pour qui se passer de l’énergie nucléaire fait partie du champ des possibles mentaux de leurs concitoyens, le gouvernement français n’est pas prêt à lancer un débat national sur le nucléaire. Quand en Allemagne le débat public bat son plein su les grands enjeux de société comme le nucléaire, la France s’échine sur une montée du FN, et met en avant l’identité nationale. De manière expéditive, le Président de la république a réaffirmé la «pertinence» du choix de l’énergie nucléaire en France, un «élément essentiel» de son indépendance énergétique. C’est aller un peu vite en besogne. Nous sommes en effet dépendants de l’uranium produite par d’autres pays comme le Niger. De plus, l’uranium tout comme le pétrole ou le charbon n’est pas en quantité infinie. Nicolas Sarkozy a également souligné «l’excellence» du dispositif de sûreté du parc nucléaire français. Ces affirmations ne servent pas la réflexion sur l’avenir énergétique. D’abord parce que le risque zéro n’existe pas. A la différence des autres énergies, il suffit d’un seul accident pour que le désastre soit complet. Le scénario du pire ne peut jamais être écarté. On sait aussi que ce sont nos enfants et nos petits enfants qui, d’ici trente ans, auront à gérer les conséquences de nos négligences. La première des négligences est de ne pas miser sur les énergies renouvelables. Fort de notre minitel nucléaire, que nous croyons éternel, nous ne voyons pas l’internet des énergies renouvelables se tisser chez nos voisins, en Espagne, en Allemagne, en Grande Bretagne…. Aussi bien quels que soient les choix fait, il est imprudent de faire l’impasse du mix énergétique. Enfin, le nucléaire coute terriblement cher. Il absorbe les 90% de nos budgets énergétiques, autant d’argent qui pourrait être mieux réparti.

Le problème dépasse les frontières de l’hexagone. Les dangers que représentent certaines vieilles centrales en Europe orientale sont avérés. Ces menaces concernent l’ensemble des Européens. Aussi bien le débat public doit-il être pensé à l’échelon international. La tenue prochaine d’une conférence internationale sur la sûreté nucléaire qui implique les gouvernements est un premier pas. Et les audits que compte lancer le gouvernement français sur la sécurité des centrales est un minimum. Le débat citoyen doit être aussi pensé non pas au prorata des peurs mais à l’aune de la connaissance et des recherches qui sans cesse améliorent les technologies liées aux énergies. Les technologies ne manqueront pas pour assurer la relève du charbon et du pétrole.

Ne serait-ce que parce qu’il pousse les industriels à améliorer sans cesse les degrés de sureté, un débat contradictoire et citoyen est le meilleur révélateur de notre niveau de démocratie. Il est temps d’anticiper les difficultés à venir et de changer progressivement nos habitudes. L’humanité a montré qu’elle pouvait surmonter le pire. Par respect et amitié pour le peuple japonais, c’est un devoir que de nous y résoudre.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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