La perspective d’une 5e branche de la Sécurité sociale s’estompe derrière l’hypothèse d’une assurance obligatoire individuelle. Ce qui n’a pas la même signification politique, et hypothèque une prise de décision avant les prochaines élections présidentielles.

« Ce défi [de la dépendance], nous devons le relever ensemble », réaffirmait Nicolas Sarkozy en janvier dernier. Un an plus tard, le discours est le même. Mais l’agenda est plus incertain. Car dans l’intervalle, le gouvernement a bataillé six mois pour faire aboutir une réforme des retraites qui laissera des cicatrices. En cause, dans la mise en place de cette réforme : le mode opératoire. Aussi, il n’est pas question pour l’Elysée de risquer de braquer à nouveau les partenaires sociaux. Même si, dans l’agenda initial du gouvernement, le dossier de la dépendance devait suivre celui des retraites, il est repoussé à la fin 2011… dans le meilleur des cas.

Une priorité reconnue par tous

Certes, les enjeux sont politiquement moins lourds et il existe un consensus social pour mettre en place les conditions de prise en charge de personnes touchées notamment par des maladies neurodégénératives du tissu cérébral. L’allongement de l’espérance de vie augmente le nombre de malades actuellement pris en charge par le milieu familial sans véritables soutiens matériels. Et ce nombre est appelé à croître avant que des traitements appropriés ne soient découverts.

Selon le bilan démographique de l’Insee, le nombre de personnes de 75 ans et plus en France – environ 5,7 millions en 2010 – a presque triplé en 50 ans. Et la population de personnes de 85 ans et plus – environ 1,5 million – a été multipliée par cinq ! L’allongement de l’espérance de vie se poursuit à raison d’un trimestre tous les quinze mois. De sorte qu’en 2050, près d’un Français sur trois aura plus de 60 ans, contre moins d’un sur cinq en 2010. Et par rapport à aujourd’hui, selon une étude européenne, le nombre de personnes dépendantes pourraient être plus élevé en France de 52% en 2030. Dans ces conditions, la prise en charge de la dépendance constitue une priorité que personne ne nie.

Sécurité sociale ou assurance individuelle à 50 ans

Mais comment l’assurer ? C’est là que les dérapages sont possibles. Il y a quatre ans, on évoquait à l’UMP une 5ème branche de la Sécurité sociale « qui serait chargée de financer et de mettre en œuvre une politique globale axée sur le maintien à domicile, la remise à niveau des établissements d’hébergement et l’appui aux familles ». Mais la crise est passée par là : à cause de moindres rentrées de cotisations sociales, le déficit de la Sécurité sociale a atteint 20,3 milliards d’euros en 2009, et devrait approcher les 27 milliards d’euros en 2010 (sur un total de dépenses de 377 milliards d’euros). Il n’est plus question à la tête de l’Etat de créer une nouvelle branche qui risquerait de creuser encore plus le trou de la Sécu. Or la solution ne peut consister en une augmentation des cotisations sociales : la hausse des prélèvements sociaux n’est pas à l’ordre du jour.

Faudrait-il alors externaliser la prise en charge de la dépendance en recourant à l’assurance privée ? Il s’agirait d’un coup de canif dans le système de protection sociale français. Et c’est bien là que le dossier de la dépendance, s’il aboutit à un changement de logique privilégiant le privé, peut devenir un nouveau brûlot. C’est pourtant bien la voie préconisée par le rapport de la mission parlementaire présidée par Valérie Rosso-Debord, députée UMP de Meurthe et Moselle, qui trace un cadre en 17 points pour mener la réforme.

Les préconisations de la mission Rosso-Debord font table rase de l’existant en instaurant un dispositif alimenté par une assurance obligatoire « perte d’autonomie » à contracter dès l’âge de 50 ans auprès des professionnels de l’assurance. Les mutuelles, les sociétés de prévoyance et compagnies d’assurance seraient parties prenantes du dispositif et devraient s’engager à prendre en charge toute personne frappée de perte d’autonomie quelle qu’ait été la durée de cotisation. Une sorte de mutualisation facilement réalisable : il suffit pour cela de créer un fonds alimenté par un prélèvement sur les cotisations. Et le tout constitue une forme de privatisation de la protection sociale.

Ce transfert au privé pourrait être, financièrement, une bonne affaire pour la Sécurité sociale. Actuellement, le dispositif public pour la compensation de la perte d’autonomie des personnes âgées représente environ 22 milliards d’euros, dont 13,5 milliards d’euros proviennent des organismes de sécurité sociale, indique le rapport Rosso-Debord. Ces sommes sont partiellement couvertes par les départements dans le cadre de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) créée en 2001 par le gouvernement Jospin, et une contribution de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) créée par le gouvernement Raffarin après la canicule de 2003. Un gros potentiel d’économies, notamment pour la Sécu ! Même en imaginant une formule qui associerait l’action publique et l’intervention privée dans la prise en charge de la dépendance – une troisième voie évoquée par Nicolas Sarkozy – les comptes de la Sécurité sociale en seraient soulagés.

Hausse de la CSG sur les retraites ?

Cette prise en charge pourrait aussi mettre à contribution les retraités… qui ne l’ont pas été dans le cadre de la réforme des retraites. Une hypothèse avait été avancée par le gouvernement au moment de la présentation de la réforme, selon laquelle le financement de la perte d’autonomie serait en partie assuré par un relèvement de la CSG sur les pensions de retraite. Le taux pourrait être porté à 7,5% indique le rapport de la mission parlementaire, alors que la ponction va actuellement de l’exonération totale jusqu’à 6,6%. Il s’agirait dans cette hypothèse de la contribution publique de cette prise en charge au côté des assurances et autres mutuelles.

D’autres dispositions pourraient être introduites. Ainsi, la mission Rosso-Debord propose d’instaurer un prélèvement sur les successions pour les personnes bénéficiant d’une allocation personnalisée d’autonomie et disposant d’un certain patrimoine.

Décision fin 2011… ou plus tard

Tous ces points devraient être débattus dans le cadre d’un débat national prévu au premier semestre de l’année prochaine, pour une prise de décision fin 2011. Cette fois, pas de passage en force mais une grande concertation. Et, aussi, une grande interrogation : la prise en charge de la dépendance sera-t-elle véritablement traitée avant la fin de ce quinquennat ? C’était une promesse du candidat Nicolas Sarkozy en 2007 pendant sa campagne présidentielle. Mais le dossier est régulièrement repoussé.

Une décision sera-t-elle prise avant les prochaines présidentielles ? Rien de moins sûr : une solution qui tendrait à privilégier le secteur privé en instaurant une assurance individuelle obligatoire et à relever le CSG sur les retraites, aurait toutes les chances d’être reportée au quinquennat suivant pour ne pas gêner le candidat sortant… quelles que fussent ses promesses. L’urgence d’hier pourrait bien être la victime de l’agenda parlementaire de l’automne 2011. Affaire à suivre.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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