P-H. Gouyon est un chercheur qui s’implique dans les débats science/société. C’est autour de la question des OGM et de la biodiversité que Pierre-Henri Gouyon a le plus mouillé sa chemise.

On connait le sexe des anges, mais on connait beaucoup moins bien le sexe du thym. Pierre-Henri-Gouyon, lui, sait. Le croisement des plantes est un sujet difficile. Il est un des rares chercheurs en biologie à s’occuper de leur sexualité.

Son cadre de référence : la génétique des populations. « J’ai toujours voulu lier la démarche d’observation et d’expérimentation à la modélisation mathématique pour pouvoir concrétiser les grandes fonctions intervenant dans l’évolution des espèces, telles que le sexe, les mutations, les migrations. Mais ce n’est pas tant pour ses travaux que pour son franc parler que Pierre-Henri Gouyon s’est taillé sa réputation de scientifique engagé.

Admis à l’Agro (Institut National Agronomique) – « un endroit rare où les profs s’intéressent aux élèves » -, son parcours l’amène à l’Université de Montpellier où il obtient un doctorat de troisième cycle en écologie. A l’époque en sortant des études supérieures, il n’avait pas grand espoir de trouver un poste dans ce domaine. Plus tard, il entreprend le projet de constituer une carte écologique de la France. La greffe est difficile à prendre avec le milieu. Trop tôt ! L’écologie et la génétique ne font pas bon ménage. En bon généticien, quand il explique que les gènes ont une grande importance dans l’évolution, il se voit taxer de « droitier » par ses amis écologistes. Il n’est pas non plus bien vu par les généticiens qui, à l’époque, jugent peu sérieuse la question environnementale. « Un sujet très politique, dit-il en riant. Le gène, c’est de droite. L’environnement, c’est de gauche ».

Mais les « avatars du gène » ne lui suffisent pas. Refusant les systèmes existants, il s’intéresse à la philosophie de la biologie. De retour à Paris en 1987, c’est l’histoire des sciences qui lui apprte des réponses. La question de l’eugénisme qui se proposait de stériliser des individus pour cause de mauvais gènes est pour lui un choc. Comment la communauté scientifique a-t-elle pu se fourvoyer dans cette impasse ?

Aujourd’hui, Pierre-Henri-Gouyon est professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle, à l’AgroParisTech et à Sciences Po (Paris). Il est aussi responsable de l’équipe de recherche CNRS en « Botanique » au sein du laboratoire OSEB (Origine, Structure & Évolution de la Biodiversité),

On l’aura compris, P-H. Gouyon est un chercheur qui s’implique dans les débats sur science/société. Il se plait à en souligner les paradoxes. Par exemple, le fait que la notion de patrimoine, de propriété du vivant, qui est une valeur plutôt de droite, devient sympathique à cause de la nécessité écologique de préserver le patrimoine de la nature. A l’inverse, la notion de progrès qui est plutôt perçue comme une valeur de gauche est utilisée à des fins de destruction. « La foi dans le progrès a produit de nombreux dégâts. Les scientifiques sont bons quand il s’agit d’expliquer le comment et le pourquoi des choses. Ils sont beaucoup moins bons pour dire dans quelle direction il convient d’aller », souligne-t-il.

Pour lui, les besoins de financement ont eu raison de l’exigence intellectuelle. Nombre de directeurs de recherche perdent de vue l’objectif de la connaissance et ne font plus que de la technoscience à court terme. « Ils n’ont que le mot « compétition » à la bouche, regrette-t-il. Et d’affirmer que la science n’est pas une activité économique ni un élément de la compétition, mais un travail de coopération. « Le monde du laboratoire est un des rares espaces ou l’on partage et on échange. Il faut le préserver. C’est aussi une activité de création qui requiert beaucoup d’investissements intellectuels. Mais le mot intellectuel est aujourd’hui une insulte. En témoigne les faibles salaires pratiqués dans la recherche en France ».

C’est autour de la question des OGM et de la biodiversité que Pierre-Henri Gouyon a le plus mouillé sa chemise. « Ma conviction est que si les brevets OGM se développent au rythme actuel, on court vers la catastrophe. Les paysans, par exemple, n’auront plus le droit de recultiver du colza. Ils se verront privés de la propriété de leurs semences par les grandes exploitations comme Monsanto. Que des scientifiques défendent une firme à mon sens criminelle est incompréhensible. Le système économique basé sur le profit, dans lequel nous sommes, ne peut pas gérer correctement la nature. Il l’épuise. Dans ces conditions, pour un scientifique, travailler avec les entreprises n’est pas simple ».

Beaucoup l’accusent d’être un obscurantiste. « Parce je n’accepte pas qu’on dise que les OGM sont sans risques, qu’ils améliorent l’espèce humaine et la production agricole». D’autres voient en lui, au contraire, un défenseur de la doctrine, « parce que je suis néodarwinien pur et dur. En fait, je ne fais que défendre la science rationnelle. Et ce n’est pas réductible à la foi aveugle dans le progrès technologique. L’autre danger est l’élimination progressive de la biodiversité dans les plantes cultivées. Par exemple : la dégradation des sols par la monoculture, à grande échelle, du soja transgénique au Brésil, se traduit déjà par des pertes considérables de biodiversité dans la forêt amazonienne. « Les populations végétales, animales ou humaines ne sont pas éternelles. Ce qui nous menace, c’est la panne possible de la dynamique de reproduction »

Aussi bien, le retrouve-t-on membre du Comité scientifique de la Fondation Nicolas Hulot et vice-président de Vivagora, une association de dialogue social qui se bat pour que les applications de la technologie et les décisions politiques sur l’innovation soient soumises à l’examen éthique permanent de la société civile. « Je n’ai jamais refusé mon aide à une association ou une ONG qui défend les valeurs citoyennes ». Mais pas question de s’engager dans un parti. L’expertise scientifique doit rester au-delà des enjeux partisans.

Comme tout bon généticien qui se respecte, Gouyon est également impliqué dans le débat sur le créationnisme, doctrine fondée sur la croyance selon laquelle la Terre, et par extension l’Univers, ont été créés par Dieu. « En France , le débat est moins virulent qu’aux Etats-Unis. Il est présent chez les jeunes musulmans intégristes. Ce débat l’amène à se poser la question : « Comment peut-on fonder une morale dans un monde sans Dieu ? Certains pensent que c’est par la science qu’on y arrive. Je pense plutôt que c’est du ressort de la philosophie ».

De philosophie, il est aussi question dans l’ouvrage collectif qu’il a dirigé « Aux origines de la sexualité »*, livre dans lequel les différents contributeurs présentent la diversité des formes que l’activité sexuelle prend dans la vie intime des plantes, des bactéries, des animaux et des hommes.
Toutes sortes de questions auxquelles on ne pense pas sont posées: le sexe a-t-il toujours existé ? Pourquoi certaines espèces l’ont-elles perdu? Quelles sont, dans la nature, les modalités de reproduction qui ne font pas appel au sexe? Sommes-nous les seuls animaux à tomber amoureux? à choisir volontairement l’abstinence? à pratiquer le viol, l’inceste? Nous sommes en tout cas les seuls pour qui la sexualité soit un objet de questionnement.

Pierre-Henri Gouyon en est le meilleur interprète.

*Editions Fayard. Octobre 2009

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

Le Magazine, Sciences et société

Etiquette(s)

, , ,