La rentrée s’annonce difficile : vote de la loi sur les retraites, recul des libertés et du droit de circuler, montée du chômage et baisse du pouvoir d’achat… Le tout sur fond de reconduites des Roms à la frontière. Avec, en perspective, cette question lancinante : Quel est l’avenir d’une société qui offre comme unique débouché à ses jeunes diplômés des stages plus ou moins rémunérés, des empilements aléatoires de CDD et de petits boulots sous payés ?


A la recherche de l’emploi perdu.

Les moins de 25 ans sont parmi les plus sévèrement touchés par la crise. Un jeune français sur cinq (soit 1,4 million) vit en dessous du seuil de pauvreté (moins de 880 euros par mois). Côté emploi, les chiffres sont sans appel : 23% des jeunes actifs sont au chômage, alors que le taux des 25-49 ans est de 7,7%. Les employeurs ont supprimé en priorité les CDD et l’intérim. Les jeunes étaient les premiers titulaires de ce type de contrats, ils furent donc les premiers licenciés. Que leur a-t-on proposé à la place ?

Des stages, toujours des stages. Des stages, devenus de véritables variables d’ajustement pour les entreprises petites ou grandes : Dans l’édition, la communication et l’informatique on a transformé les emplois jeunes, les contrats saisonniers, les congés de maternité en stages proposés à des jeunes bardés de diplômes. Et le système gagne d’autres secteurs d’activités, jadis réservés aux jeunes moins qualifiés comme la vente, le télémarketing, l’accueil, le secrétariat.

Aubaine pour les employeurs, la rétribution de stage de 417 euros mensuels n’est due qu’au delà de 2 mois. Et pour encore précariser un peu plus le marché de l’emploi, certaines branches, comme les orthophonistes et depuis peu, le social, échappent à toute obligation de paiement. En outre, il n’est pas rare de voir certains RH de grands groupes « oublier » de rémunérer leurs stagiaires. Face à cette situation intolérable, la « génération sacrifiée » se bat pour obtenir la place à laquelle elle a droit dans la société.
Ainsi le mouvement Génération Précaire (1) milite depuis 2005 pour obtenir un statut du stagiaire intégré au droit du travail.

Super stagiaires surdiplômés.

Ophélie Latil, l’une des portes parole du mouvement connaît bien ce processus. Détentrice d’un master en droit et d’un master en management, cette ancienne élève de l’IEP d’Aix Provence a vu fin 2008 après un premier CDD comme juriste dans l’édition, « les mêmes employeurs potentiels me proposer le même poste qu’un an auparavant, non plus en CDD, mais en stage». Pleine d’allant, la jeune femme, parlant couramment le russe, s’est dit qu’en attendant de trouver mieux, elle allait chercher un poste dans la vente. Là encore, on ne lui a proposé que… des stages. Elle a même vu une agence de pub passer l’annonce suivante : « … Cherche une stagiaire senior » !

Ce problème n’est pas nouveau, il date d’avant la crise. En 2008 déjà, Alexandre des Isnards et Thomas Zuber avaient parfaitement décrit le système des stages abusifs dans leur petit livre de souvenirs épiques, « L’open space m’a tuer » (2) : comment une super stagiaire embauchée en speed recruiting par l’agence multimédia d’une SSII (Société de service en ingénierie informatique) abat le boulot d’un chef de projet, dimanches et soirées inclus, sans en avoir le statut ni la rémunération. Six mois plus tard, elle est remerciée, après avoir formé son remplaçant stagiaire. « Forte de cette première expérience « enrichissante » sauf financièrement, elle se retrouve… à chercher du boulot ».

Payer pour travailler ou partir.

La boucle est ainsi bouclée. Et ils sont plus de 1,2 millions étudiants à passer par cette fameuse case « stage ». Et pour certains, à devoir payer pour travailler ! En effet, la loi du 24 novembre 2009 qui oblige les jeunes à suivre une formation pour pouvoir effectuer un stage en entreprise a été immédiatement contournée par de nombreuses officines spécialisées (elles fleurissent sur internet) qui vendent aux jeunes diplômés des conventions de stages bidon. Il en coûte entre 450 et 850 euros pour pouvoir ajouter une expérience professionnelle à son CV. Certains, qui espèrent augmenter ainsi leurs chances de trouver un emploi dans un marché hyper tendu, n’hésitent pas à payer. Encore faut-il en avoir les moyens. « Dans l’humanitaire et le notariat notamment, les cas sont légion » explique Ophélie Latil.

Payer pour pouvoir travailler, sans doute atteint-on là le summum du libéralisme ? En tout cas c’est à désespérer d’être jeune et diplômé en France. Surtout quand on sait dans quelle estime la présidente du MEDEF porte la jeunesse : « L’état de jeune, c’est un passage, une maladie dont on guérit », a décrété Laurence Parisot (2).

Génération précaire: sur le front de l’emploi

Heureusement, certaines maladies sont contagieuses. « À Génération Précaire, à travers notre lutte pour le statut des stagiaires, on se bat plus largement contre notre système de formation qui abuse de ses élèves, qui les brade. On travaille sur ces problèmes de compétence entre l’état et les régions qui entrent en conflit, on dénonce ces écoles qui développent toutes les mêmes masters, comme ceux de la propriété industrielle par exemple, et qui jouent des partenariats entreprises pour augmenter leur visibilité au détriment de leurs élèves … ».

Cela se concrétise par un travail de lobbying, et une pression permanente exercée sur les partenaires sociaux, sur les élus et sur le gouvernement, le tout rythmé par des opérations « coup de poing » bien médiatisées. Exemples : ces « descentes en entreprises », à la BNP, élue entreprise la plus cynique de l’année 2010, ou chez Danone qui s’est vu décerner le « grand prix de l’exploitation » pour son effort remarqué en vue de généraliser les stages (à découvrir sur www.generation-precaire.org ) ou chez la marque de luxe Céline.

Pas de doute, ces jeunes activistes masqués de blanc font preuve d’ énergie. L’énergie du désespoir ? En décembre dernier, Le Monde publiait la lettre ouverte qu’un directeur d’Université italien adressait à son fils : « Mon cher fils, commençait-il, tu es sur le point de terminer l’université. (…) C’est pour cela que je te parle avec amertume, pensant à l’avenir qui t’attend. Ce pays, ton pays, n’est plus un endroit où il est possible de rester avec fierté. (…) Dans ce pays, si tout va bien, tu commenceras par gagner un dixième du salaire de n’importe quel porte-serviettes, le centième de ce que gagne une starlette de la télévision. Pars. Prends le chemin de l’étranger, choisis d’aller là où la loyauté, le respect et la reconnaissance du mérite sont encore des valeurs ».

C’est cette jeunesse désenchantée qui est aujourd’hui en première ligne sur le front de l’emploi, seule face au patronat. Il serait grand temps de la soutenir, si l’on veut éviter que la fracture générationnelle devienne irréductible.

Photo: copyright: audreyminart 2009

1. Le mouvement génération précaire est né d’un appel à la grève spontané et diffusé sur internet début septembre 2005, destiné à dénoncer l’existence d’un véritable sous-salariat toujours disponible, sans cesse renouvelé et sans aucun droit.

2. Livre de Poche, 2009.

3. Le 16 janvier 2006 dans La Tribune.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

GENERATION, Le Magazine

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