La planète manque d’eau. Une des solutions est de désaler l’eau de mer. En quelques années, les améliorations technologiques du desalement ont rendu l’eau plus accessible et mieux adaptée aux exigences écologiques des populations et de l’environnement.

Le paradoxe est cruel ! La planète manque d’eau et pourtant 72% de la surface totale de la terre est recouverte d’eau. Seulement voilà, 97,2% de cette eau est salée. Donc non potable. Elle contient entre 20 et 50 grammes de sel par litre, soit 1000 fois plus que la limite fixée par l’OMS pour pouvoir être utilisée sans problème.

L’eau est, sans doute, de toutes les ressources non vivantes de la mer, celle qu’il est le plus urgent d’exploiter. Selon l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, plus d’ 1 milliard de personnes vivent dans des contrées où l’eau est rare. Chaque jour, entre 10 000 et 20 000 personnes meurent de diarrhées, causées par la déshydratation. 4500 enfants meurent par jour, faute d’hygiène, par manque d’eau. Chaque année, ce ne sont pas moins de 40 milliards d’heures qui sont passées à aller chercher de l’eau par tous ceux dont la demeure est sans eau. Avant 2024, 2/3 de la population mondiale vont vivre dans des régions qui connaîtront des pénuries d’eau.

Certains experts avancent que, d’ici quelques dizaines d’années, l’eau pourrait être aussi chère que le pétrole ou que le vin si l’on ne trouve pas un moyen d’élargir et d’équilibrer sa distribution sur la planète. Seules les populations riches peuvent se payer l’eau. A Las Vegas, par exemple, dans la région la plus aride des Etats-Unis d’Amérique, le désert des Mojave, on dépense de l’eau sans compter. En moyenne deux fois plus par tête qu’ailleurs aux Etats-Unis.

L’avenir des ressources en eau et les conflits existants ou latents concernant le partage de cette ressource essentielle à la vie humaine, constituent un enjeu majeur des prochaines décennies. La rareté et la pollution de l’eau représente, aux yeux de mille scientifiques interrogés dans le cadre d’une étude internationale (GEP-Credoc-Ass. Descartes-CPVS-CSI. 1996), le troisième problème mondial le plus important à gérer après l’explosion démographique et le changement climatique. L’eau est la seule ressource rare qui ne peut être remplacée, tandis que les besoins sont énormes.

La fondatrice du Blue Planet Project, l’écrivain canadien Maude Barlow, ( « L’Alliance bleue : la crise mondiale de l’eau et la future bataille pour le droit à l’eau ». New Press. Mars 2008), tire le signal d’alarme : « Je crains que la crise mondiale de l’eau ne balaie la vie de la surface de la Terre si nous ne nous en préoccupons pas très vite ». Pour Riccardo Petrella, secrétaire général de l’Association « Pour un Contrat mondial de l’eau » (« Le manifeste de l’eau ». Editions Labor. 1998), c’est le scandale le plus significatif de la civilisation actuelle. Ce dernier milite pour que le droit à l’eau soit reconnu dans la Charte des droits de l’homme. « L’eau appartient aux habitants de la Terre. Ce n’est pas une marchandise. Elle doit être gratuite car c’est l’expression de la vie ». Il a lancé avec le concours de la Fondation Soares (crée par l’ancien président de la république portugais Mario Soares), une initiative européenne, fondée sur une double exigence : l’accès de base à l’eau pour tous et sa gestion solidaire et durable, impliquant des devoirs de solidarité, de cohérence pour ne pas mettre en péril les libertés et les droits des générations futures et de protection et de respect envers l’écosystème Terre.

Kofi Anan, ex-secrétaire général de l’ONU, déclarait lui-même en 2001 : « si nous n’y prenons pas garde, les guerres du futur pourraient se faire à propos de l’eau et non plus au sujet du pétrole ». « Pour qu’un Etat entreprenne une guerre, il faut qu’il soit déficitaire, en eau, situé en aval et plus puissant que les pays d’amont », note Pierre Blanc, un chercheur du CIHEAM. Dans un article récent de la Revue Futuribles («Les violences hydrauliques au Proche-Orient. n°339. mars 2008), ce dernier évoque la pénurie hydraulique de certains pays, notamment des pays des rives méridionales et orientales de la Méditerranée. Dans le cadre des discussions pour la création d’un état palestinien, la ressource hydraulique est la question majeure entre Palestiniens et Israéliens.

De l’avis de Pierre Blanc, (op.cit. Les violences hydrauliques.) « l’eau est l’un des grands défis politiques que doit relever le monde et en particulier la Méditerranée, qui ne peut faire l’économie d’une révolution hydraulique basée notamment sur une gestion économe de la demande ». L’obligation est là : au lieu de faire de l’eau un motif de conflits, la maîtrise des ressources est au contraire l’occasion d’être un catalyseur pour la coopération.

Quelles sont les solutions ? Les 2,8% d’eau douce que l’on trouve sur la planète ne suffisent-ils pas à couvrir les besoins de la planète? Non, affirment les spécialistes. Pour la simple raison, comme on vient de le voir avec le cas du Moyen-Orient, que l’eau douce est inégalement répartie sur le plan géographique. Moins de 10 pays se partagent 60% des réserves en eau naturelle (Brésil, Russie, Chine, Canada…) alors que 29 autres (en Afrique et au Moyen Orient) font face à des pénuries chroniques. Les précipitations sont en certains endroits trop faibles, ailleurs trop rares ou trop intenses. La rareté de la ressource en eau douce se perçoit encore plus nettement quand il apparaît que ces 2,8% se ventilent entre les glaciers et les calottes polaires (2.2 %) et les nappes souterraines (0.6 %). Les rivières et les lacs ne représentent qu’une quantité infime (environ 0.01 %).

«Si nous pouvions, à bas prix, obtenir de l’eau potable à partir de l’eau de mer, faisait observer le président John Kennedy, il y a à peine 50 ans, cela serait une des plus grandes avancées de l’humanité ». Cette idée a fait son chemin. Le dessalement de l’eau de mer (ou désalinisation) apparaît aujourd’hui comme la solution la plus radicale et la plus prometteuse, malgré les inconvénients qu’elle présente. Cela permettrait d’augmenter la ressource en eau douce disponible, de fournir une solution en cas de sécheresse et de faire face aux situations de crises alimentaires dans de nombreux pays mal lotis. Utiliser l’eau de mer dessalée résoudrait toutes les difficultés de pénurie d’eau rencontrées par de nombreux pays. La plupart d’entre eux ont un accès aux océans ou disposent d’un littoral maritime conséquent. 40% de la population mondiale habite à moins de 70 km des côtes.

De 18 millions de m3/jour en 1993, la capacité mondiale de dessalement, tous procédés confondus, atteint aujourd’hui 30 millions de m3 par jour, soit environ 3% de l’approvisionnement au robinet, à usage domestique. La désalinisation n’est plus une option exceptionnelle La capacité installée dans le monde augmente en moyenne de plus de 10% par an. D’après les chiffres de l’IDA, il existe 13 080 usines de dessalement en activité dans le monde. Selon le cabinet spécialisé Global Water intelligence, la capacité mondiale de dessalement devrait pratiquement doubler d’ici à 2015.
Le dessalement ne présente pas que des avantages. Le premier inconvénient est l’éloignement de la mer. Les pays pauvres en ressources hydriques, trop loin des cotes maritimes, ne peuvent que difficilement miser sur un tel développement. En second, vient le prix à payer. Quelle que soit la technique utilisée, le dessalement requiert de grandes quantités d’énergie, ce qui implique un coût que seuls des pays nantis peuvent pour le moment acquitter. En l’état actuel des techniques, dessaler est plus coûteux qu’exploiter les rivières ou les eaux souterraines, conviennent les spécialistes. Encore faut-il que ces dernières ne soient pas asséchées pour pouvoir les utiliser. En moyenne, dessaler revient à 3 ou 4 fois plus cher en investissement que l’approvisionnement en ressources naturelles.

La facture écologique n’est pas moins douloureuse que la facture énergétique estiment des associations de défense de l’environnement. Le dessalement n’est absolument pas une solution raisonnable à la crise mondiale de l’eau», s’emporte Maude Barlow (op.cit. L’alliance bleue.). Dans un rapport consacré aux usines de dessalement d’eau de mer dans le monde, le WWF ne cache pas son inquiétude et s’effraie que l’industrie du dessalement semble s’orienter vers la création d’usines toujours plus grandes. L’ONG craint en outre que les nouvelles usines de dessalement d’eau de mer n’entraînent le déploiement d’installations de production d’énergie nucléaire et/ou issues de combustibles fossiles. « Extraire le sel de l’eau de mer cause le rejet dans l’atmosphère des tonnes de gaz à effet de serre », déplore le WWF. Cela ne fera qu’aggraver les changements climatiques ». Le rapport indique que les activités intensives de dessalement peuvent provoquer le développement de saumures et entraîner la destruction de précieuses régions côtières, et ainsi contaminer la vie marine, les cours d’eau, les zones humides, les eaux souterraines et plus généralement les écosystèmes qui assurent l’épuration de l’eau et la protègent contre les catastrophes.

En quelques années, les améliorations technologiques du dessalement couplées au manque de fiabilité et au coût croissant des approvisionnements en eau traditionnels ont rendu l’eau dessalée plus accessible et mieux adaptée aux contraintes des populations et de l’environnement. L’innovation technologique avance à grand pas dans ces domaines. Certains équipements utilisent de l’énergie renouvelable. Des nouveaux procédés bon marché, à basse consommation énergétique, devraient donner à certains pays pauvres la possibilité d’acquérir une indépendance en ressource d’eau potable, tout en respectant des standards environnementaux. Ces systèmes sont modulables, simples à monter, à entretenir, et capables de produire de 20 à 30 litres d’eau douce à partir de 100 litres d’eau de mer.

Pour les ingénieurs spécialisés, un des premiers objectifs est d’éliminer les gâchis thermiques causés par l’utilisation d’une faible partie de l’énergie mise en jeu lors de l’évaporation de l’eau de mer. Une nouvelle génération d’évaporateurs dits « multiples effets » a vu le jour. Cette méthode qui utilise plusieurs unités successives d’évaporation et de condensation, avec des pressions décroissantes, permet de limiter les consommations énergétiques.

A titre d’exemple, au Centre international de l’eau de Nancy, un nouveau procédé de distillation a été développé par deux chercheurs du LSGC, Viviane Renaudin, Jean-Marie Hornut. Cette équipe a mis au point un évaporateur multiple effets de petite dimension. La consommation d’énergie spécifique décroît considérablement avec le nombre d’évaporateurs mis en série. Le flux de chaleur introduit pour le premier effet étant réutilisé plusieurs fois de suite. Le système présente en outre une modularité et une facilité d’assemblage, grâce à l’utilisation de pièces moulées en usine, qui lui permettent d’être utilisable, dans les régions en voie de développement, par des ouvriers non qualifiés. Ses performances et sa simplicité cadrent parfaitement avec la demande des pays qui veulent s’affranchir d’une alimentation par les pays voisins. (Les deux chercheurs ont reçu le Grand Prix européen de la Fondation Altran en 1999. Lire CNRS Info. Septembre 1999).

De leur côté, des chercheurs hollandais de l’Université de Delft, près de Rotterdam, ont mis au point la première éolienne de désalinisation. Elle actionne une pompe qui injecte l’eau de mer sous pression à travers une membrane. Cette dernière permet alors de séparer le sel de l’eau, selon le principe d’osmose inverse. Simple, facile à installer, le procédé est adapté aux zones peu économiquement développées. Le soleil du désert représente aussi un potentiel immense. Un récent colloque a mis en lumière cette question (Desertec. Parlement européen. Bruxelles. 28 novembre 2007).

Un ingénieur allemand, Gerhard Knies, a fait le calcul: «si 1% de la surface des déserts était couvert de panneaux solaires, cela suffirait à produire l’électricité nécessaire à l’ensemble de l’humanité ». Indirectement, cela permettrait d’arrêter l’avancée du désert et de contribuer à la paix dans le monde. Par extension, cela permettrait de résoudre les problèmes d’eau dans le monde. Concrètement, cette idée trouve son début d’application dans le projet de coopération transméditerranée d’énergie renouvelable (TREC). Le TREC prévoit la construction d’installations à concentration disposant d’un système de miroirs faisant converger la lumière du soleil et de centrales à cogénération permettant de dessaler l’eau de mer. Les spécialistes qui se penchent sur cette question estiment que le coût du transport de l’énergie resterait rentable, grâce à la force de l’irradiation solaire du désert.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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