Quand un institut d’études s’invite dans les processus de débat public. Explications de Damien Philippot, du département opinion et
stratégies d’entreprise de l’Ifop.

Comment un institut d’études trouve-t-il sa place dans un dispositif comme la conférence de citoyen ?

La première conférence de citoyens en France, portant sur les OGM, date de 1998. A l’époque, un appel d’offre avait été lancé pour le recrutement d’un panel de citoyens. L’IFOP avait été sélectionné. Depuis, l’institut a régulièrement été consulté pour constituer des panels en vue de consultations citoyennes. De même que d’autres sociétés d’études, comme TNS Sofres ou CSA.

En 2003, nous avons remporté l’appel d’offres lancé par le ministère de l’Ecologie en vue d’une conférence de citoyens sur les boues d’épuration. Cette fois-ci, il ne s’agissait pas seulement de recruter un panel, mais d’animer la conférence. La réussite et l’intérêt de l’opération ont conduit l’IFOP à faire de cette démarche un mode de recueil de l’opinion à part entière, mobilisable sur des sujets pointus où les sondages et les approches qualitatives classiques s’avèrent inopérants.

Il s’agit d’un outil qui peut solliciter des citoyens sans appétence spécifique pour des débats très techniques et leur donner des armes pour donner leur avis.

D’un point de vue méthodologique, comment abordez-vous la conférence de citoyen ?

Nous avons progressivement affiné le dispositif méthodologique, en préconisant le maximum de transparence. Pour résumer, ce dispositif s’articule autour de trois grandes phases : un temps de formation qui permet aux participants de se familiariser avec le sujet, un temps d’interpellation à l’occasion d’un débat public entre les citoyens désormais “éclairés” et des experts et porteurs d’intérêt qu’ils convoquent, un temps de réflexion et de rédaction d’un avis collectif par les citoyens réunis à huis clos.

Nous recrutons un groupe de 15 à 20 personnes – de tous profils, horizons, nivaux sociaux et d’éducation – qui sont formées durant deux à trois week-end, soit jusqu’à six jours au total.

Sont-elles rémunérées ?

Les panélistes sont transportés, logés, nourris et rémunérés à hauteur d’environ 100 euros par week-end. Il s’agit davantage d’une compensation que d’une rémunération.

Quel est l’objectif de cette “formation” ?

Rendre le groupe le plus autonome possible, le mettre en capacité de poser avec discernement des questions sur le sujet. Pour le choix des formateurs, nous privilégions les pédagogues aux porteurs d’intérêt – qui interviendront eux lors de la conférence.

Au terme de la formation, nous préconisons une rencontre entre le groupe et le comité de pilotage désigné par le commanditaire. L’idée étant de laisser le groupe prendre la main sur la définition de l’ordre du jour de la conférence et le choix des intervenants. A ce stade, dans les faits, on constate généralement une réelle prise d’indépendance du groupe.

Puis vient le jour de la conférence -une demi journée à une journée de débat. Il s’agit d’instaurer un débat entre le groupe de citoyens et des porteurs d’intérêt, des militants, des observateurs, des experts. Ce, autour de quelques tables rondes thématiques.

Dans la foulée, le groupe travaille, avec notre appui, et en sous-groupes, à la rédaction de son avis. Ce qui est frappant, c’est que l’on parvient toujours à identifier les grandes lignes-frontières du débat, celles que la société n’est pas prête à dépasser.

Quel sort le commanditaire réserve-t-il à cet avis ?

Il doit a minima s’engager à y répondre, point par point, de manière argumentée et à porter cet avis à la connaissance publique, au législateur.

Peut-on considérer que la conférence de citoyen fait partie des outils privilégiés par l’Etat en matière de laboratoire de l’opinion ?

Entre 2003 et 2009, la commande publique a essentiellement relevé des collectivités et institutions locales, plutôt dirigées par la gauche, autour de problématiques diverses : aménagement des transports, gestion de l’eau, nanotechnologies, technologies hertziennes…

En 2009, le modèle de la conférence a été à nouveau sollicité à l’échelle nationale, dans le cadre des états généraux de la bioéthique, à l’initiative du ministère de la Santé.

Historiquement, la culture du débat public est plutôt portée par la gauche. Si l’on regarde stricto sensu la conférence de citoyen, il faut bien constater que les dernières initiatives témoignent, au niveau national tout au moins, d’une réappropriation par la droite. Néanmoins, je ne vois pas de réflexion réellement structurée à droite autour de la démocratie participative.

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