En matière de santé, les campagnes de prévention destinées au grand public ont souvent permis une prise de conscience mais elles ne parviennent toujours à modifier les comportements à risque. Et si l’utilisation des neurosciences permettait d’envisager de nouvelles approches.

Les campagnes de prévention en matière de santé ne font pas toujours mouche. On l’a vu avec le tabagisme, ou plus récemment avec le problème de l’obésité qui est en train de devenir un problème de santé très préoccupant : 15 % des enfants entre 5 et 11 ans sont aujourd’hui en surpoids. C’est aussi vrai des intoxications par produits ménagers qui sont accidentelles dans plus de 80 % des cas.

Le Centre d’analyse stratégique a décidé de s’intéresser à l’apport des sciences comportementales et des neurosciences dans les stratégies de prévention en matière de santé, ce qui a donné lieu à un rapport (1) sur lequel ont planché des experts internationaux, psychologues sociaux, économistes comportementaux, et qui s’inscrit dans le cadre du programme « Neurosciences et politiques publiques ».

Il s’agit d’envisager des approches innovantes en matière de prévention santé, prenant davantage les ressorts émotionnels En étudiant le fonctionnement cérébral du consommateur conjointement aux travaux sur son comportement, il est possible de mieux comprendre comment un individu réagit à un message d’une campagne de prévention. Et ainsi de trouver des messages plus efficaces pour dissuader les comportements à risque.

Des limites à ne pas oublier


Faire appel à la raison, la peur, la surprise, la responsabilité, le plaisir ou le dégoût n’a pas la même efficacité selon qu’on s’adresse à des fumeurs ou des personnes en surpoids. Comme le soulignent dans ce rapport Olivier Oullier , enseignant-chercheur en neurosciences à l’université de Provence , au Center for Complex Systems and Brain Sciences (Florida Atlantic University) et Sarah Sauneron , Co-responsable du programme « Neurosciences et politiques publiques » au sein du Centre d’analyse stratégique, qui en ont coordonné les travaux, les spécialistes de la publicité et du marketing ne se privent pas d’utiliser de plus en plus les neurosciences .

Et d’ailleurs d’en rappeler les limites. « Les travaux de neurosciences pour espérer constituer un apport significatif doivent être menés conjointement à des expériences comportementales rigoureuses. Il conviendra toutefois de ne jamais oublier qu’étudier le cerveau isolément de ses environnements physiques et sociaux, ne pourra pas fournir de résultats probants ». Reste que face à l’utilisation sans cesse croissante des neurosciences par le secteur privé, pourquoi ne pas en considérer l’utilisation en matière de prévention en santé publique.

Les techniques d’imagerie cérébrale sont utilisées pour étudier les mécanismes cérébraux participant à la perception visuelle, olfactive, gustative, etc., mais également pour essayer de mieux appréhender comment le cerveau répond aux signaux environnementaux auquel il est exposé, des biais cognitifs et émotionnels intervenant dans les prises de décision.

Et ce rapport de citer plusieurs études qui pourraient inspirer des politiques de prévention. Récemment une équipe de chercheurs de l’université de Stanford a étudié des personnes placées dans un contexte proche de celui d’un achat en ligne, qui pouvaient ou non acquérir un ensemble de produits qui défilaient sur un écran. Les chercheurs ont réussi à « prédire », par l’observation d’un réseau cérébral, les décisions d’achat . En extrapolant on pourrait ainsi mieux comprendre les circonstances qui poussent certaines personnes à refuser d’acheter des médicaments génériques.

Tabac , Obésité, mieux comprendre les comportements

D’autres récentes études ont montré comment les facteurs environnementaux biaisent le traitement sensoriel lorsqu’on mange ou qu’on boit . Une équipe du Baylor College of Medicine de Houston a montré que « pour deux boissons gazeuses de composition chimique relativement équivalente mais de marques différentes, la préférence ne se traduisait pas seulement en un traitement sensoriel au niveau cérébral. À la simple vision de la marque de la boisson leader sur le marché mondial, les chercheurs constatèrent une activation plus élevée de l’hippocampe, une zone du cerveau associée à la mémorisation et aux biais émotionnels ».

On voit donc comment les informations contenues dans la publicité d’un produit alimentaire peuvent modifier l’appréciation de son goût. Ce qui présente un intérêt pour l’élaboration des campagnes par exemple de lutte contre l’obésité.
Une autre étude a mis en évidence un système neural qui participe au
« calcul d’utilité » dans les décisions alimentaires. Ce qui permet de mieux appréhender le comportement du consommateur. « Si d’aventure, il venait à « mal calculer » l’utilité, entant que mesure de bien-être et de satisfaction, cela pourrait le conduire à prendre des décisions allant à l’encontre de ses intérêts. Cela peut être le cas pour certaines personnes souffrant d’obésité, qui se trouvent amenées à donner une valeur d’utilité excessive à certains aliments et donc à trop vouloir en consommer » soulignent les deux spécialistes, qui s’interrogent : reste à savoir si « on peut enseigner aux gens à contrôler la valeur d’utilité qu’ils donnent aux aliments ».

En matière de lutte contre tabagisme, l’étude la plus récente ayant utilisé les neurosciences pour tester l’efficacité des messages de prévention par des scientifiques de l’université de Pennsylvanie a montré que choquer le fumeur éveille son attention mais l’informer « sans trop le choquer » pourrait faire en sorte qu’il retienne mieux le message.
De son coté, la HarvardMedical School , a étudié des personnes ayant fait part de leur décision d’arrêter de fumer . Elles ont visionné des images évoquant l’univers du tabac, tandis que leur cerveau était scanné par IRM fonctionnelle. La conjonction des données comportementales et des données de neurosciences a permis aux chercheurs de prédire avec un taux de réussite de 79 % qui allait rechuter.

Questions éthiques, problème de liberté individuelle

Aussi intéressants que s’avèrent ces derniers résultats, on arrive bien au point le plus sensible. Dès qu’on aborde les sujets liés aux neurosciences, les questionnements éthiques sont inévitables.
A-t-on le droit de prédire puis d’orienter le comportement des citoyens ?
« Il faut rester vigilant à ce que les volontés d’inciter pour le bien de chacun ne se transforment pas en désirs de contrainte » souligne Olivier Oulier et Sarah Sauneron.
Avec l’utilisation des neurosciences dans la prévention en matière de santé, il s’agit de mesurer les risques de glissement d’une prévention à caractère incitatif à des mesures plus intrusives et contraignantes.
Sous couvert d’une quête de l’amélioration de la santé des individus, le danger est de s’immiscer dans des décisions personnelles, et de libre arbitre. Sans oublier qu’au-delà de l’importance donnée à l’amélioration de la santé tout un chacun, se trouve surtout l’objectif d’une meilleure maîtrise des dépenses de santé.

(1) « Nouvelles approches de la prévention en santé publique », travaux coordonnés par Olivier Oullier et Sarah Sauneron

Au sujet de Estelle Leroy

Estelle Leroy-Debiasi est journaliste professionnelle, Diplômée en Economie, ex rédactrice en chef du quotidien économique La Tribune. Elle contribue régulièrement au site ElCorreo, site de la diaspora latinoamericaine.

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