Ringarde pendant les années de l’argent fou, l’industrie redevient tendance en sortie de crise.

Les déclarations de Nicolas Sarkozy à Marignane, reprenant les conclusions des Etats généraux de l’industrie, semblent avoir sonné la fin du purgatoire. Du côté des chefs d’entreprise, les langues se délient aussi : on condamne les objectifs de retour sur investissements à deux chiffres imposés par les financiers, et pour lesquels les entreprises se sont saignées et ont perdu leur substance afin de séduire les investisseurs. Mais les résultats sont là. En laissant son industrie dépérir, l’économie française s’est privée d’appréciables cordes de rappel pour sortir d’une crise déclenchée par… l’exubérance financière.

Retour sur les idées reçues

Les 35 heures ont beaucoup été montrées du doigt pour justifier les délocalisations des investissements et des usines. Si on considère le temps de travail, la France avec 1.559 heures travaillées par an en moyenne est en-dessous de la moyenne des pays industriels (1.620 heures). Mais elle n’est pas retard sur l’Allemagne (1.432 heures), rapporte l’Insee. Quant au coût mensuel de la main d’œuvre, souvent jugé rédhibitoire, il serait en France de 3.883 euros en 2008 contre 3.892 euros en Allemagne selon Eurostat, pour une moyenne de 3.495 euros dans l’Europe des 15. Côté fiscalité, le taux d’imposition de 41,3% en France est plus élevé qu’en Allemagne (39%), mais moins qu’en Italie (44%) et en Suède (43%), révèle Eurostat.

Voilà de quoi recadrer certaines idées reçues. D’autant que les comparaisons ne sont pas toujours au détriment de l’Hexagone. Lorsqu’on se réfère à la productivité, l’indice en France est de 115 contre 111 en Allemagne pour la productivité par heure travaillée en 2008 ; 124 contre 104 pour la productivité par personne occupée en 2009. Certes, il ne s’agit que de moyennes, mais elles sont significatives.

L’écart se creuse avec l’Allemagne

Mais malgré ces similitudes, le secteur manufacturier ne représente plus que 16% de la valeur ajoutée en France, alors que la moyenne en Europe est à 22%, et même à 30% en Allemagne – près du double, a insisté le président. Les exportations françaises de produits manufacturés qui ont représenté en 2000 un montant équivalent à 56% des exportations allemandes, n’en pèsent plus en 2008 que 37%. L’écart se creuse, alors que les deux pays s’appuient sur la même monnaie. Ce qui n’a pas empêché l’Allemagne de se rester jusqu’à 2009 le premier exportateur mondial. La surévaluation de l’euro ne peut donc être invoquée. En France pour les seuls produits manufacturés (hors produits pétroliers), le déficit commercial a atteint 18,5 milliards d’euros en 2009.

Un volet social à remettre à plat

Au cours de la dernière décennie, plus de 500.000 emplois ont été perdus dans l’industrie française qui ne fournit plus de travail qu’à 13% de la population active, contre 16% en 2000. Avec une spécificité bien française : le licenciement anticipé des seniors pour réduire les coûts : alors que la moyenne européenne du taux d’emploi des salariés de 55 à 64 ans est de 45% dans l’Union à 15, elle tombe en France à 37%, loin derrière l’Allemagne (48%), le Royaume-Uni (57%), sans parler du Danemark (61%) selon les statistiques de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle. Cette situation permet de relativiser les débats souvent stériles pour repousser l’âge de la retraite : en France, à cause des licenciements, l’âge moyen de sortie du travail est de 59 ans. En outre, les 60 ans actuels ne sont pas un couperet… d’autant moins que, depuis la réforme Balladur, les indemnités sont calculées en fonction du nombre de trimestres cotisés. Pour une carrière qui ne comprend pas aujourd’hui les 161 trimestres requis, le retraité ne peut profiter d’une liquidation à 100%. Autant dire que les 60 ans sont très théoriques et que, avant de repousser l’âge à partir duquel il est possible de faire valoir ses droits, la priorité devrait être au maintien en poste des salariés jusqu’à 60 ans et au-delà.

Relancer la R&D dans l’Hexagone

Sur ce plan, les entreprises doivent reconnaître leurs responsabilités. En matière de recherche et développement (R&D), l’industrie française y consacrait 6,6% de sa valeur ajoutée en 2007, contre 9,9% en Allemagne et 11% en Suède. L’effort est insuffisant, surtout si on le compare à certains pays d’Asie : en 2008, d’après la Commission européenne, les dépenses de R&D ont progressé de 0,7% en France, contre… 40% en Chine ! L’investissement privé est montré du doigt alors que l’investissement public en France est l’un des plus importants des pays de l’OCDE. Mais souvent, les centres de recherche des grandes entreprises ont fini par suivre les productions après leurs délocalisations.

Retrouver la vision et les filières

Pour enrayer le déclin de l’industrie, le gouvernement doit plancher sur la reconstitution de filières. Si l’on se souvient de l’échec du « plan calcul » dans l’informatique ou de l’extinction du textile pourtant organisé en filière, il en est d’autres qui ont porté leurs fruits. Ainsi dans l’aéronautique, l’espace et le nucléaire : les grands succès d’aujourd’hui sont l’héritage de politiques menées dans les années 70 sous la présidence de Georges Pompidou. Bien que l’Etat fût souvent raillé pour ses soi-disant mauvaises qualités de gestionnaire, on voit aujourd’hui qu’il savait insuffler une vision que n’ont pas eue après lui les entreprises trop proches des marchés financiers.

Les télécom sont aussi une belle réussite de filières. Mais la désaffection d’un leader comme Alcatel-Lucent (ex-Compagnie générale d’électricité devenue Alcatel), qui a perdu les deux tiers de ses effectifs en France pour mieux se concentrer sur l’Asie, est un problème pour le tissu industriel dans l’Hexagone. De même dans l’automobile lorsque Renault développe ses productions et approvisionnements à l’international. Ou lorsque – dans la métallurgie – l’ancien Usinor fut dissout dans le groupe ArcelorMittal dix ans après sa privatisation, et Péchiney absorbé par le canadien Alcan puis dépecé huit ans après son retour au privé.

Des filières entières doivent être reconstruites. Le chantier est immense, dans un contexte libéral qui ne se prête pas à l’interventionnisme d’Etat. Les « locomotives » de l’industrie française – grosses entreprises qui entrainent une multitude de sous-traitants dans leur sillage – joueront-elles leur rôle ? C’est maintenant le défi français pour enrayer la destruction des emplois du secteur secondaire. Il impliquera une volonté politique à la fois sans faille et sur le très long terme.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

ECONOMIE

Etiquette(s)

, , , ,