Les attaques contre l’euro traduisent la fragilité de l’Europe. La spéculation qui a abouti à la crise économique s’en prend aux Etats à cause des dettes souscrites pour corriger ses propres excès.

Rien ne justifiait que la monnaie européenne, qui rassemble 16 des 27 pays de l’Union européenne, vaille 1,5 fois la monnaie américaine début février.

Le PIB de la zone euro a connu cinq trimestres de baisse consécutive avant de se stabiliser au troisième trimestre 2009, la dette publique s’est envolée, le taux de chômage de l’Union atteint 10%. La croissance économique devrait être limitée à 1% en Europe alors qu’elle devrait être deux fois plus forte aux Etats-Unis (entre 2 et 2,5%) et huit à dix fois en Inde et en Chine. Et le gouvernement américain prend des décisions claires (par exemple, la fiscalité sur les banques) pour redresser les finances publiques, alors les pays de la zone euro présentent des programmes de redressement qui manquent de crédibilité.

C’est le cas par exemple pour le retour à l’équilibre budgétaire en France en 2013, alors qu’il fut inaccessible même pendant les années de croissance. Or, les marchés ne comprennent que les démonstrations fortes qui s’accompagnent de décisions appropriées.

L’Union prise en défaut, l’euro perd de sa crédibilité

Le chantier européen, pour poursuivre la construction de l’Union, est en panne. Lorsque la crise s’est déclarée, on attendait beaucoup une action concertée des pays de l’Union européenne, et notamment des membres de l’euro. On n’eut droit qu’à une coordination des politiques nationales. Les membres de l’Union ont eu tendance à se retrancher à l’intérieur de leurs frontières, sans stratégie commune dans la conduite des affaires. L’Europe affichait ses divergences. Or, à chaque fois que l’Europe s’est montrée désunie ou indécise, sa monnaie en a payé le prix. Car la valeur de toute monnaie est basée sur la confiance. Or, qu’est-ce qui en garantit la vigueur de l’euro? Le Pacte de stabilité.

Pour que l’euro convainque, il impose en théorie aux Etats qui adoptent cette monnaie, de limiter leur déficit budgétaire à 3% du PIB et de contenir leur dette publique sous la barre des 60% du PIB. Qu’on accepte ces ratios ou qu’on les critique, ils garantissent la stabilité de l’euro, et donc sa valeur dans le temps. Avec la crise, ces ratios ont été enfoncés. Mais si l’euro perd ses fondamentaux, sur quelles bases repose-t-il alors ?

C’est la question qu’ont posé les marchés en attaquent la Grèce en pleine dérive financière. Elle est, pour les opérateurs financiers, le maillon faible de la zone euro… d’autant moins crédible que, afin d’intégrer la zone euro en 2001, la Grèce avait triché sur ses statistiques pour les rendre compatibles avec les critères d’éligibilité.

L’idée européenne serait-elle en péril ? En réalité, tout sauvetage qui consisterait à renflouer les caisses de la Grèce serait une véritable prime au laxisme, et aurait bien du mal à se mettre en place. D’autant que d’autres membres (l’Espagne et le Portugal, l’Italie et même la France) ne sont pas forcément plus vertueux.

Les spéculateurs attaquent les Etats… qui leur ont évité le naufrage

La crise n’est pas terminée que les opérateurs financiers ont déjà tourné la page du sauvetage des banques et retrouvent leurs réflexes de prédateurs. Les hedge funds, affaiblis par la crise mais qui ont reconstitué leurs forces l’an dernier, ont vite oublié qu’ils n’ont survécu que grâce aux flots de liquidités injectés par les Etats pour empêcher le blocage des économies. D’où l’accumulation de la dette publique. C’est précisément cette dette qui se retourne aujourd’hui contre ces Etats, à cause de la pression exercée par les mêmes spéculateurs.

Ces Etats sont abusés, et les contribuables – particuliers et entreprises – avec eux. Car il faudra bien tirer les conséquences de l’accumulation de dette, ne serait-ce que pour rembourser les intérêts générés par les emprunts souscrits d’abord pour sortir de la crise et ensuite pour soutenir la monnaie. Ce sont les mêmes qui spéculent, et la démission des dirigeants politiques n’en est que plus flagrante.

Que feront-ils pour que les opinions publiques qui vont devoir faire face à plus de rigueur (dans la protection sociale, les retraites, etc…) n’aient pas l’impression de payer pour les excès de complaisance?

Certes, les tenants de stratégies économiques complexes pourront expliquer que la spéculation n’existe que pour recréer des équilibres. C’est juste. L’Union européenne ne va pas au bout de son projet, la spéculation en tire les conclusions. C’est pourquoi, dans l’urgence, l’Europe avec en tête le tandem franco-allemand, a voulu manifester une certaine détermination politique.

Une « gouvernance économique » européenne toujours dans les limbes

Vue sous cet angle, la spéculation en tant que prédateur aura joué son rôle en obligeant les autorités politiques à faire avancer l’Europe, et à consolider la monnaie unique en même temps.

Herman Van Rompuy, président de l’Union européenne depuis le 1er décembre dernier, inconnu du grand public auparavant et muet depuis, a évoqué la création d’un « gouvernement économique » des 27 membres de l’Union, afin de mieux coordonner leurs politiques en la matière. L’absence de gouvernance commune des pays de la zone euro, face à l’amoncellement des déficits publics et à la fragilité de certains économies étant à l’origine de la spéculation qui a fait reculer la monnaie unique, il était urgent d’envoyer un signal un peu politique aux marchés.

Mais au sommet européen du 12 février, les gouvernements européens se sont bien gardés de préciser quelle forme pourrait prendre cette gouvernance. Ils craignent les réactions souverainistes à l’intérieur de leurs opinions publiques. Et veulent éviter de conférer de nouveaux pouvoirs à un exécutif européen condamnée à la transparence – ce qui a valu au président de la Commission d’être reconduit, un comble ! L’Europe avoue son absence de vision, les marchés en profitent.

Combien de temps encore les gouvernements resteront-ils dans le sillage des marchés pour que rien ne change? Ou refuseront-ils de faire le jeu des spéculateurs en inventant de nouvelles règles ? Derrière la crédibilité de l’euro, c’est l’avenir de l’Union européenne qui est en jeu.

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