Les Besoins de déplacements liés au vieillissement de la population ont fait l’objet d’un rapport récent publié par le Gart (Groupement des autorités responsables de transports) dont nous publions ici le résumé.

Penser à la
mobilité des seniors suppose
d’envisager de
nouvelles formes d’organisation des services, en co-production par
exemple entre les services municipaux,
la population d’un quartier et
une entreprise ou une association
délégataire.

Les générations du baby-boom arrivent
à l’âge de la retraite. Ce phénomène,
lié à l’allongement de l’espérance
de vie, conduit au vieillissement
de la population. Faut-il s’en réjouir ou
s’en alarmer? Les deux, sans doute,
selon que l’on s’intéresse au financement
des retraites ou à la manne
économique qu’apportent avec eux
les seniors aisés dans les régions qu’ils
affectionnent.

L’erreur serait en tout
cas de ne pas tenir compte du phénomène,
ou de le considérer comme un
aspect mineur de l’évolution de notre
société. A l’heure où la crise – ou plutôt
les multiples facettes de la crise –
concentre toutes les attentions, le
vieillissement pourrait devenir un nonsujet,
traité au mieux par le biais du
financement de la dépendance ou du
marché des sonotones. Pourtant, les
besoins des aînés et leur mobilité
influenceront l’organisation des activités
économiques et sociales: système
de soins, adaptation des logements,
rythmes de vie, services
publics… Il est indispensable de se
poser aujourd’hui les bonnes questions,
de réfléchir aux solutions les mieux
adaptées et les plus équitables.

Les premières classes d’âge du babyboom
ont connu et accompagné les
bouleversements majeurs de notre
pays, depuis l’après-guerre: développement
de la société de consommation,
civilisation de l’automobile, travail
féminin, périurbanisation, mais aussi
mondialisation, crises économiques,
désindustrialisation, automatisation,
chômage… A 20 ans, certains rêvaient
de changer le monde. Tous l’ont vu
changer; pas forcément dans le sens
qu’ils souhaitaient.

Les grands-parents d’aujourd’hui,
qui ont grandi dans une France
encore très rurale, où les postes téléphoniques
se comptaient sur les
doigts d’une main, communiquent à
présent par SMS avec leurs petitsenfants.
Ceux qui ont connu les premiers
postes télé noir et blanc, les
magnétoscopes qui pesaient 10 kilos
et les cinémas où l’on diffusait des
actualités avant la séance, fréquentent
les multiplexes ou utilisent la
video on demand (VOD) pour profiter
de leur home cinema. Ceux dont
les parents venaient de découvrir le
plaisir des congés payés ont vu le
développement de l’industrie du
tourisme, leurs horizons se sont
élargis grâce à l’automobile, au
TGV, et à la démocratisation de
l’aviation.

Pour ces générations, l’avancée en
âge n’implique plus forcément le
repli sur soi, le renoncement aux
plaisirs de la vie, le rétrécissement
en attendant la fin. Cela ne signifie
pas pour autant que les seniors
soient égoïstes, décidés à profiter
jusqu’au bout. Au contraire, ils sont
souvent très conscients des excès
d’une société qu’ils ont vue évoluer,
et portent un regard lucide sur leur
mode de vie. C’est le privilège de
l’âge, de l’expérience.

Dans ce contexte, la problématique
des déplacements renvoie à
trois axes majeurs : favoriser une
utilisation maîtrisée de l’automobile
et, le cas échéant, une transition
vers d’autres types de transports
mieux adaptés à leurs besoins ; permettre
à tous, valides ou moins
valides, la possibilité de se déplacer
librement le plus longtemps possible,
à un coût acceptable pour l’individu
comme pour la société ; enfin,
garantir la sécurité des piétons âgés
en leur assurant des cheminements
aisés et confortables. Sur ces questions,
les collectivités territoriales sont en
première ligne.

Communes et intercommunalités
pour l’action sociale,
départements pour l’action sanitaire
et sociale, régions dans l’organisation
du système de soins et acteur
majeur des politiques territoriales.
Etre retraité ne constitue pas une
identité sociale, et le mode de vie
d’un couple de sexagénaires en
pleine forme n’a rien à voir avec
celui d’une femme seule de 92 ans.

Il est indispensable de garder à l’esprit
la diversité des besoins et des
profils, afin d’éviter de traiter les
aînés comme une «minorité visible
» ou du seul point de vue de la
dépendance, qui ne touche
aujourd’hui qu’un quart des plus de
85 ans. Cette prise en compte des
besoins est nécessaire au niveau de
l’offre de transport, autant du point
de vue de l’organisation des services
que de leur nature.

Répondre à la
demande des seniors, c’est rendre le
transport plus accessible et plus
attractif. C’est aussi élaborer des
réponses adaptées aux contextes
exigeants que sont les zones rurales
ou périurbaines.

Aujourd’hui, les transporteurs
considèrent encore la clientèle âgée
comme une catégorie captive.
Pourtant les premiers signes d’un
changement des comportements
sont déjà perceptibles : baisse du
nombre de cartes Senior à la SNCF,
recul de 10% de la fréquentation des
plus de 60 ans à la RATP. L’effet
tramway (qui fait que sur certains
réseaux, les meilleurs clients des
trams sont les retraités, lesquels
voyagent souvent à tarif réduit !) ne
doit pas cacher la forêt des automobilistes
invétérés. I

l est naturel de
préférer le tram, sûr, régulier et
confortable, à un bus que l’on attend
toujours trop longtemps, et où l’on
craint les secousses au démarrage et
au freinage. Il est encore plus naturel
de préférer sa voiture, que l’on
n’attend jamais et qui constitue le
moyen de déplacement souvent le
plus commode et le plus sécurisant
pour les personnes âgées.

Pour autant, la conduite des plus
de 80 ans n’est pas sans poser problèmes
et questions. Faut-il instaurer
des contrôles médicaux ? Revoir
l’ensemble de la voirie et des panneaux
de signalisation ? Comment
sécuriser les tourne-à-gauche ? Et les
ronds-points ? Quelles actions de
communication à destination des
conducteurs âgés ? Et des autres
usagers de la voirie ?

L’arrêt de la conduite automobile
est trop souvent synonyme de mort
sociale pour les personnes âgées. Il
est important d’anticiper ce moment,
et de leur permettre d’accéder aisément
à d’autres modes de déplacement.

Le recours aux transports
collectifs ne peut se faire sans un
minimum de préparation. Le transport
accompagné, aujourd’hui assuré
par les professionnels des services à la
personne, connaît un développement
continu. Quant aux cheminements
piétons, il est indispensable de les
sécuriser, en améliorant notablement
la qualité d’usage des espaces publics.

Ces questions ne touchent pas uniquement
l’organisation des transports
publics, mais elles concernent
les services publics dans leur ensemble,
et de manière transversale. Le
vieillissement dans les espaces
périurbains, par exemple, ne peut
être appréhendé et pris en charge
par la seule action sociale ; la «civilisation
» de l’espace public ne procède
pas uniquement des compétences
de la voirie ; quant aux déplacements,
ils constituent la frontière
commune entre les services de
transports, l’action sanitaire et
sociale, la vie culturelle.

Penser à la
mobilité des seniors et à leur place
dans la collectivité suppose de passer
d’une logique industrielle à une
logique de services, d’envisager de
nouvelles formes d’organisation de
ces services, en co-production par
exemple entre les services municipaux,
la population d’un quartier et
une entreprise ou une association
délégataire.

La Fondation internet
nouvelle génération (FING) a proposé une
série de scénarios mêlant réseaux
sociaux, action intergénérationnelle
et multimédia, qui donnent une idée
de ce que pourraient être ces
démarches servicielles. Les modèles
sont multiples, variables en fonction
des besoins et des contextes locaux,
mais restent à valider. Certaines initiatives
semblent prometteuses.

Du côté du Predit, de la Fondation
de France, de l’OMS, de l’ONU, de
l’Union européenne, des pouvoirs
publics locaux et nationaux… les
réflexions mûrissent et les expérimentations
sont encouragées.

Le mouvement est engagé mais les obstacles
demeurent, qu’ils soient structurels
ou fonctionnels. Dans un essai
récent, le sociologue suisse Vincent
Kaufmann inventait la «motilité », la
mobilité socio-psycho-économico-spatiale.

Cette mobilité au sens large,
cette capacité à s’adapter à un
nouvel environnement ou à un
contexte en évolution, cette motilité
est indispensable.
Pour plus d’informations: www.gart.org

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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