La crise de l’énergie est bien réelle, car les ressources dont la consommation a nourri le développement des pays industrialisés s’épuisent. Pourtant, cette crise pourrait se révéler une chance, en nous libérant de la dépendance aux combustibles fossiles.

Christian Ngô, physicien, physicien, Ancien directeur scientifique au Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) et délégué général de l’association Ecrin (Échange et coordination recherche-industrie).

Propos recueillis par Guy-Patrick Azémar.*

Pourrons-nous assurer demain l’accès de tous à l’énergie ?

Avec le charbon, le gaz et le pétrole, depuis deux siècles, notre société de consommation s’est gavée d’une énergie qui semblait intarissable. On s’aperçoit aujourd’hui qu’il n’en est rien. Les ressources de la planète, dans le modèle énergétique actuel, ne pourront satisfaire l’ensemble des besoins de l’humanité.

Cependant le modèle d’aujourd’hui n’est pas celui de demain. Il faut compter sur la recherche, qui prépare l’avenir. Les pistes ne manquent pas pour assurer la relève des combustibles fossiles. Outre les filières déjà en développement (nucléaire, éolien, solaire thermique et photovoltaïque, biomasse, géothermie, énergies de la mer, hydrogène, etc.), dans lesquelles se préparent de nouvelles percées technologiques, on ne peut exclure la découverte de nouvelles sources encore inconnues aujourd’hui, susceptibles de bouleverser totalement le paysage. À l’autre bout de la chaîne, il est nécessaire de mieux maîtriser la consommation d’énergie.

Le problème est complexe, car il touche aux modes de vie, aux rapports entre les êtres humains et à l’économie en général. Dans nos pays développés, nous avons les moyens de maintenir notre niveau de vie, et même de continuer à l’améliorer, tout en allégeant la facture énergétique. Les progrès technologiques permettent de réduire la consommation de nos équipements, sans perdre en confort ni en qualité de service. Mais cela ne suffit pas.

Il faut également changer la manière dont nous-mêmes consommons l’énergie.

Avons-nous vraiment besoin de manger cent kilos de viande par an pour nous nourrir ? D’acheter un écran plasma dont la consommation d’énergie équivaut à celle de six téléviseurs traditionnels ? De posséder deux ou trois voitures par ménage ? Certes, il est souvent utile, et parfois nécessaire de rouler en voiture. Mais n’avons-nous davantage besoin encore d’une atmosphère respirable ? S’interroger sur les usages de l’énergie, c’est aussi s’interroger sur la nature de nos « besoins ».

Dans les pays développés, à gros potentiel d’économies d’énergie, on peut vivre mieux en consommant moins.

L’énergie, comme la plupart des autres ressources, fait l’objet d’un partage inégal de la ressource sur la planète…

L’énergie est l’un des moteurs du développement. L’accès à une énergie abondante, peu chère et d’usage facile, a permis d’augmenter spectaculairement la richesse économique, le niveau de vie et par voie de conséquence, l’espérance de vie dans les pays industrialisés. La richesse moyenne d’un Français a été ainsi multipliée par deux entre 1950 et 1975, soit en l’espace vingt-cinq ans. Il avait fallu quatre siècles à nos ancêtres, entre 1400 et 1800, pour doubler leurs richesses !

Pourtant, aujourd’hui, deux milliards d’humains n’ont pas encore l’électricité. Leur interdire l’accès à l’énergie, ce serait leur barrer tout espoir d’améliorer un jour leur niveau de bien-être, leur confort matériel et leur instruction. Et peut-on empêcher les milliards d’habitants des nouveaux pays industrialisés d’acheter les voitures, télévisions et autres biens de consommation dont nous ne savons plus nous-mêmes nous passer ? Pourtant, à continuer sur la même pente, c’est sûr, nous allons dans le mur. Nous ne parviendrons pas à satisfaire durablement les besoins de l’humanité, tout en préservant l’écosystème, sans changer à la fois nos façons de produire et de consommer l’énergie.

Mais dans les pays en voie de développement, il s’agit moins de maîtriser ou de réduire la consommation que d’assurer à chacun un accès minimum à la ressource. Comme cela s’est vu pour le téléphone mobile, on peut espérer que le rattrapage se fera en passant directement aux technologies les plus récentes. La priorité va donc au développement de moyens de production décentralisés, économes et respectueux de l’environnement, tels que les énergies solaire. Pour réduire la fracture énergétique mondiale, les énergies renouvelables prennent tout leur sens.

L’urgence climatique nous conduit à donner une priorité aux énergies peu émettrices de carbone. Faut-il miser plutôt sur le nucléaire, ou plutôt sur les énergies renouvelables ?

Ni l’un ni l’autre. Car demain nous devrons faire feu de tout bois. La production de pétrole devrait, d’ici dix à vingt ans, culminer puis décroître. Le temps passant, les autres combustibles fossiles s’épuiseront à leur tour. Face à des besoins mondiaux d’énergie qui, eux, iront inéluctablement en augmentant malgré tous les efforts de maîtrise de la demande, la question sera de savoir comment remplacer les ressources disparues par des sources d’énergie durables.

Or, pour résoudre ce problème, nous ne pourrons pas compter sur une solution unique. Il faut cesser de raisonner en termes de « tout pétrole », « tout nucléaire » ou « tout renouvelable », comme s’il existait une formule miracle. Et d’opposer les formes d’énergie comme si elles étaient incompatibles entre elles. L’ampleur des besoins exige de faire appel à toutes les ressources disponibles, pour les exploiter au mieux de leurs avantages respectifs et de leurs complémentarités. En d’autres termes, la règle du « panachage énergétique » va s’imposer.

Avec une différence de taille par rapport à aujourd’hui : nous avons vécu dans un monde dominé par le souci d’obtenir l’énergie la moins chère possible ; pour nos enfants, la contrainte majeure sera l’avenir de la planète. Il devront utiliser chaque énergie là où elle est le mieux adaptée, tout en réduisant au maximum la pression exercée sur l’environnement.

Au fond, la perspective de la fin du pétrole est-elle une chance ?

Pour que tous les humains puissent vivre comme nous, les Européens, il faudrait les ressources de trois planètes. S’ils aspiraient à consommer autant que les Américains, cinq Terres suffiraient à peine à couvrir les besoins d’énergie. Or, nous n’en possédons qu’une, dont nous nous sommes employés à dilapider les richesses, sans souci du lendemain. Maintenant que le pétrole s’épuise, nous ne pouvons plus fermer les yeux ou nous contenter d’attendre l’énergie miracle.

Nous avons devant nous deux ou trois décennies, pour anticiper les vraies difficultés, changer progressivement nos habitudes, basculer vers des modes de consommation plus respectueux de l’environnement et des équilibres humains. Il existe des solutions pour résoudre le problème de l’énergie.

L’éducation, le progrès technologique et, surtout, le bon sens sont indispensables pour évoluer en douceur. L’humanité a traversé de nombreuses périodes critiques au cours de son histoire. Elle a su les surmonter et y trouver l’élan pour continuer à progresser. Il n’y a aucune de raison de penser qu’il n’en ira pas de même cette fois-ci. Alors oui, la crise énergétique pourrait bien être une chance, si elle nous aide à prendre conscience des limites de notre planète.

*Texte extrait de l’ouvrage :

Quelles énergies pour demain ? 94 questions à Christian Ngô,

Spécifique éditions, 2007.

Au sujet de Claire Marzin

Claire est coordinatrice de projet pour Place Publique, rédactrice et documentaliste pour Canal Plus, Télérama, Les Echos et Place-Publique. Claire Marzin est la webmaster des sites Place-Publique.fr et Place-Publique Edition. Spécialiste de la gestion de contenus, elle conseille et accompagne les petites entreprises et les associations dans la création ou la refonte de leur site internet. Sa formation de documentaliste et la gestion des services de Documentation du Nouvel Economiste, de Management et de La Tribune, l'ont naturellement conduite à la production de contenus pour site internet.

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