La meilleure façon de s’initier à l’océan, c’est aussi par la littérature. En lisant…par exemple, sur la plage!

Bien qu’ils représentent plus de 70% de la planète, les océans demeurent inconnus. L’homme n’en a exploré que 5%. Ils restent encore pleins de secrets et de mystères. Eh oui, la mer est la grande absente des systèmes éducatifs. « La mer pour les français, c’est ce qu’ils ont dans le dos lorsqu’ils regardent la plage » disait le navigateur Eric Tabarly. Ce « monde du silence », cher à Cousteau « le Français le plus célèbre du monde » fascine par sa démesure mais ne se laisse pas facilement « aborder ». Pour Jules Michelet, (« La mer ». Editions Hachette), « c’est par la mer qu’il convient de commencer toute géographie ».

« La plus belle façon de s’initier à l’océan, c’est par la littérature. Chaque jour, on regardait ça : la mer écrite » dit Marguerite Duras. La « mer écrite », je la perçois comme une forme d’initiation au savoir, comme une invitation au voyage, une formation à la curiosité. La mer mène souvent vers les premiers livres. Et ces livres sont souvent initiatiques. Ulysse (Homère), Gordon Pym (Edgar Poe), Pêcheurs d’Islande (Pierre Loti), L’île au trésor (Robert L. Stevenson), Robinson Crusoe (Daniel Defoe), Vingt mille lieux sous les mers (Jules Verne), tous donnent à la mer sa grandeur. « Je n’aime que la liberté, la musique et la mer », disait Jules Verne.

La mer et les premiers frissons, la mer et les premières amours, la mer et les premières aventures. Naviguer au loin vers les îles fortunées ou encore le voyage d’Orient auquel sacrifièrent Baudelaire, Flaubert ou encore Delacroix. J’aime ces vers de Pierre de Marboeuf (1596-1635) : « Et la mer et l’amour ont l’amer en partage. L’on s’abîme en amour aussi bien qu’en la mer. Car la mer et l’amour ne sont point sans orage. Celui qui craint les eaux, qu’il demeure au rivage. Celui qui craint les maux qu’on souffre pour aimer, qu’il ne se laisse pas à l’amour enflammer. Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage ». Alexandre Dumas avouait aimer la mer comme une maîtresse. Tout comme Byron écrivant : « O mer, le seul amour auquel je fus fidèle ».

Rimbaud ne connaissait pas l’océan. C’est Jules Verne qui le lui a présenté, avec Vingt mille lieux sous les mers. Mais il savait en évoquer la présence (« Le bateau ivre ») :« La tempête a béni mes éveils maritimes. Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes, Dix nuits, sans regretter l’oeil niais des falots ». « Michelet (aussi) ne connaissait la mer que du rivage », disait Pierre Loti, qui, lui, était un vrai marin. Mais il en a écrit les plus belles pages dans son livre éponyme.

Gustave Flaubert dans une correspondance avec l’historien en reste retourné : « Vous nous donnez des rêveries immenses, avec l’atome, la fleur de sang, les faiseurs de mondes! Il faudrait tout citer! Vous faites aimer les phoques, on se trouve ému et on a de la reconnaissance pour vous. Quelle merveille d’art et de sentiment que votre page sur les perles, les mers polaires, la baleine; « l’homme et l’ours fuyaient épouvantés de leurs soupirs… » On dirait que vous avez fait le tour du monde sur l’aile des condors, et que vous revenez d’un voyage dans les forêts sous-marines; on entend le murmure des grèves, c’est comme si l’eau salée vous cinglait à la figure, partout on se sent porté sur une grande houle ».

Quant à Paul Valéry, il évoque le visage d’une mer « toujours recommencée » souriante et féconde à celui de la mer déchaînée et dévastatrice.

Chaque écrivain projette sur la mer ses bontés ou ses frayeurs essentielles. Tel Victor Hugo qui s’effraie de l’hostilité menaçante des océans tout en étant fasciné par leur immensité animale. L’immensité fluide  » respire ainsi qu’une poitrine / S’enflant et s’abaissant « . « Vieil Océan, les hommes malgré l’excellence de leurs méthodes, ne sont pas encore parvenus, aidés par les moyens d’investigation de la science à mesurer la profondeur vertigineuse de tes abîmes », écrit Lautréamont dans « les Chants de Madoror » qui en fait un monde inhumain et épouvantable.

C’est ainsi que, dans le paysage changeant de la création littéraire, souffle le murmure envoûtant de l’océan. On a besoin de l’océan pour vivre ou pour donner du sens à la vie. Olivier de Kersauson, navigateur solitaire, rêve de redevenir au fil des vagues ce premier homme. Et de citer Socrate : « Il y a les vivants, les morts et ceux qui vont sur la mer ».

Le mot « défi » est bien un vocabulaire de navigateur. On défie les éléments. Pour les uns, il s’agit de rivaliser avec les ancêtres qui les ont précédés sur les chemins de l’inconnu, de mesurer ses propres capacités. On se donne des preuves. La traversée de l’Atlantique à la rame. On souffre, on gèle on brûle, on expérimente ses résistances. Etre comme un poisson dans l’eau. On conquiert l’inutile. Mais au-delà des efforts qui viennent sanctionner la distinction, il y a toujours cette secrète aspiration à écouter la rumeur des siècles dans le roulement des vagues et la profondeur des abysses. Pas seulement pour ce que la mer recèle comme richesses matérielles, énergétiques, alimentaires… mais aussi ce qu’elle nous apporte de poésie, de lointain, de mystère.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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