Guy Loinger est professeur à l’Université de Paris I, directeur de l’Observatoire international de prospective régionale (OIPR)

-Place Publique : La périurbanisation, l’étalement urbain fut une tendance lourde des trente dernières années, qu’en sera t-il pour les 30 prochaines ?

Guy Loinger : D’abord il faut s’entendre sur les mots. La périurbanisation, c’est la forme de développement urbain qui se produit à l’extérieur des aires urbaines des pôles centraux. C’est une urbanisation qui a donc lieu dans des aires rurales, mais sous influence d’aires urbaines. Le critère, c’est moins de 40% d’actifs résidants qui vont quotidiennement travailler dans un pôle central. La tendance sur un gros quart de siècle s’est traduite par un double processus: la concentration urbaine polarisée sur un nombre sans cesse plus réduit de grandes agglomérations, et la diffusion de la croissance urbaine de ces pôles agglomérés sur des périphéries de plus en plus éloignés des cœur historiques. Peu à peu, les emplois ont suivi et des pôles d’emplois périphériques se sont crées accroissant la tendance à la périurbanisation, devenue de plus en plus massive.

-Place publique: Y a t-il des facteurs qui vont freiner ce processus d’ultra périphérisation?

Guy Loinger :Il y a des tendances contraires simultanées. Le processus de concentration-diffusion métropolitain devrait se poursuivre sur sa lancée, car la population a besoin d’espaces caractérisés par une forte densité en équipements collectifs (publics et privés) rares. Par ailleurs, la France est l’un des rares pays européen à avoir une croissance démographique relativement importante. Il faut loger les jeunes ménages en nombre croissant. Ensuite, il y a une évolution des modes de vie, décohabitation, réduction de la taille des ménages et constructions pour compenser la destruction des logements vétustes. La diffusion périphérique apparaît comme inévitable, d’autant plus que les ressources des ménages ont tendances à stagner voir à baisser, qui leur interdit l’accès aux cœurs de villes.

-Place publique : Qu’est-ce qui va peser?

Guy Loinger: En particulier le coût croissant des hydrocarbures. Le retour vers les cœurs d’agglomération est ainsi inscrit dans une contre-tendance lourde, accentuée par le vieillissement de la pyramide des âges. Par ailleurs, l’effet de la lutte contre les Gaz à Effet de Serre, qui devient une priorité, va dans le sens d’une élévation de la densité des cœurs au détriment de l’étendue croissante des villes.
Entre tendance et contre-tendance, qui va l’emporter ? Il est possible que la crise actuelle joue un rôle structurant des comportements, même en cas de retour d’expansion. Si c’est le cas, la contre-tendance (retour vers les cœurs, y compris les banlieues) devrait prendre le dessus avec pour effet l’émergence d’un nouveau modèle de ville.

Des combinaisons centre-périphéries très variées

-Place Publique : Cela va t-il se faire au profit de pôles plus concentrés mais ancrés dans leur territoire ?

Guy Loinger : Cela pourrait alors prendre la forme de combinaisons centre-périphéries très variées, qui dépendront largement de plusieurs facteurs: – la plus ou moins bonne tenue de l’économie locale dans un contexte concurrentiel entre les espaces croissants ; – les politiques urbaines des collectivités et la culture, les modes de vie ; – la plus ou moins grande acceptation des principes du développement durable par les sociétés civiles locales.

Dans certains cas, une forme urbaine en grappe ou en peau de léopard, le long d’axes de transports collectifs lourds pourraient voir le jour, sous la forme de petits pôles denses en chapelets de villes moyennes, chacune ayant un certain ancrage dans une biodiversité plus ou moins bien maîtrisée.

La diffusion généralisée des technologies de l’information pourrait alors conforter ces petits pôles, à la fois éloignés (en terme d’espace) et proches (en terme de temps) des grands pôles, qui resteront les grands « centres serveurs » de ces espaces en chapelets. L’ancrage dans une nature relativement préservée, mais sous dominante urbaine, serait alors possible, si les politiques publiques locales sont capables d’encadrer les processus et les tendances contraires.

Favoriser le retour à une certaine vie locale

-Place Publique : Les questions de mobilité, de transports et de communication viendront-elles rebattre les cartes, au point de créer des nouveaux types d’espace de vie et de travail ?

Guy Loinger : Dans l’hypothèse d’un renchérissement à peu près inéluctable des sources d’énergies non renouvelables, le crépuscule du « tout voiture » est devant nous. D’un autre côté, il est peu probable que la société accepte de réduire ses attentes en terme de mobilité. C’est donc vers une nouvelle combinaison que l’on s’achemine, basé sur un hybride entre un retour à une dominante des transports collectifs et au renforcement des formes de travail à domicile via les systèmes Internet, ce qui devrait favoriser un retour à une certaine vie locale, mais « ouverte » vers les horizons les plus lointains, et une permanence des grands pôles métropolitain de proximité.

-Place Publique : Comment les concilier avec des objectifs de développement durable ?

Guy Loinger : Le développement durable est une problématique de conciliation entre des contraires, qui dépend largement des injonctions collectives globales, mais aussi des formes qu’elles peuvent emprunter au niveau local. Paradoxalement, la crise actuelle peut favoriser l’éclosion des formes alternatives d’organisation de l’espace, en mettant la société locale devant l’expression de nouveaux impératifs et de nouveaux choix stratégiques.

Comment alors « prendre le virage » de la durabilité effective. Les systèmes urbains sont des systèmes à « fréquence longue » si l’on peut dire. Le basculement d’une logique à une autre logique prendra des dizaines d’années. Le développement durable doit ainsi s’entendre dans le sens de la re-construction des formes urbaines sur des bases différentes sur des horizons de long terme. Ainsi, l’un des enjeux du développement durable, c’est de savoir comment opérer la transition entre l’ancien mode qui imprime sa marque et le nouveau mode qui peu à peu prend le relais.

-Place Publique : Y aura-t-il une forme d’habitat privilégiée ?

Guy Loinger : La tendance la plus forte est celle de la multi résidentialité, soit au même moment du temps, soit successivement, selon la trajectoire économique sociale et humaine, en terme d’âge. Il peut y avoir un habitat privilégié à un moment donné de la vie et un autre à un autre moment. A ce sujet, une tendance lourde, c’est la mobilité résidentielle. Il est probable que ce phénomène perdure dans le temps. La mobilité, qui est une grande conquête du 20 eme siècle devrait se renforcer, mais dans les formes adaptées à une nouvelle rationalité et à un nouvel équilibre entre sédentarisation et nomadisme.

Au sujet de Estelle Leroy

Estelle Leroy-Debiasi est journaliste professionnelle, Diplômée en Economie, ex rédactrice en chef du quotidien économique La Tribune. Elle contribue régulièrement au site ElCorreo, site de la diaspora latinoamericaine.

Catégorie(s)

ENVIRONNEMENT

Etiquette(s)

, , ,