Coopération, responsabilisation, éthique, dynamique collective… Antonella Noya, analyste principale des politiques, au sein du programme Leed (OCDE) , décrypte pour Place Publique les grands enjeux d’une économie revisitée.

A la lumière de votre expertise internationale, quelle définition faites-vous de l’économie sociale ?

La notion d’économie sociale est apparue en France au 19ème siècle pour designer un ensemble d’entités (les associations, les mutuelles, les coopératives, et plus tard les fondations) qui sont en quelque sorte l’expression moderne de formes de regroupement datant déjà du moyen-âge, comme les confréries, les guildes, les « misericordie » en Italie, nées dans un but d’entraide face aux besoins et aux calamités.

Aujourd’hui les frontières de l’économie sociale s’élargissent à la faveur de nouvelles formes d’entreprises, comme les entreprises sociales, par exemple, qui s’inspirent des mêmes valeurs revendiquées par les entités de l’économie sociale. Pareillement, elles mettent l’homme au centre de l’activité économique pour ré-imbriquer l’économie dans le social.

Les organisations de l’économie sociale sont présentes dans quels secteurs de la société ?

Dans beaucoup d’entre eux : comme les services de proximité, les services sociaux et la santé, l’énergie, le services bancaires et d’assurance, ainsi que la culture et le tourisme, sans oublier la production industrielle, le logement et l’habitat… Leur finalité est d’associer l’intérêt général, la performance économique et fonctionnement démocratiques par une façon différente d’entreprendre. Le profit n’est donc pas le but de ces entités, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne doivent pas réaliser des bénéfices, essentiels pour assurer la stabilité financière et donc la pérennisation de la structure.

L’économie sociale est-elle génératrice d’emplois nouveaux ?

Dans quelques pays, comme l’Italie par exemple, de récentes données montrent que le secteur des coopératives enregistre une bonne croissance et que c’est l’un des secteur les plus créateurs d’emplois. L’économie sociale est répandue dans tous les pays de l’OCDE, où elle partage les même valeurs de justice sociale et d’efficacité économique, bien qu’elle se décline de manière différente suivant la culture nationale et le contexte socio-politique. Acteur local par excellence, elle contribue à créer et a renouveler le capital social des territoires. Il est important d’observer que nombre d’opportunités et d’obstacles que rencontrent les entreprises sociales se réfèrent a celles des pays de l’europe centrale et de l’est.

L’économie sociale peut aussi être un véhicule intéressant d’innovation sociale…

Il n’est pas le seul. Car l’innovation n’est pas le monopole d’un seul acteur. Au contraire, c’est sur la base d’une concertation et d’un partenariat que des idées fertiles et nouvelles peuvent se développer. Mais, de par leurs objectifs, les entreprises de l’économie sociale sont sans doute un véhicule puissant d’innovation. Le bien être des communautés et des individus sont des objectifs recherchés et explicites et non pas des externalités positives, c’est-à-dire des conséquences inattendues d’une action économique.. Il reste important toutefois d’évaluer l’impact de l’économie sociale et sa contribution à nos économies.

La réalité de l’économie sociale est-elle uniforme en Europe ?
Dans certains pays, l’implantation des entreprises sociales est moins facile que dans d’autres car les familles traditionnelles de l’économie sociale manifestent quelques résistances vers ces nouvelles formes d’entreprise, en dépit du fait qu’elle représentent, à mon avis, une évolution naturelle du champ de l’économie sociale, et qui ne remettent pas en cause la nécessité et la pertinence des autres entités de l’économie sociale. C’est, je crois, le cas de la France où la grande tradition historique de l’économie sociale représente peut-être un obstacle à une réflexion sereine sur l’entreprenariat social. D’autres pays, comme l’Italie, apparaissent plus ouverts sur ce thème, notamment parce que depuis une vingtaine d’années des entreprises sociales comme les coopératives existent. De nouvelles législations sur les entreprises sociales ont fait leur apparition ces dernières années dans des pays comme l’Italie ou le Royaume-Uni.

L’économie sociale remet-elle en cause le rôle de l’Etat ?

L’Etat reste garant de la justice sociale et économique. Il ne s’agit pas de le remplacer, mais de trouver de nouvelles modalités pour travailler avec lui et de parvenir à une meilleure articulation entre Etat et société civile.

Quels sont les nouveaux courants?

Il existe en gros deux courants. L’européen qui développe une vision d’un l’entreprenariat plus collectif, plus acteur, dans des domaines divers et variés, tourisme social et responsable, manufacture, technologie, énergie, public utilities. L’américain, plus rivé sur les services et l’entreprenariat individuel avec un accent davantage porté sur l’entrepreneur que sur les entreprises… Cela dit, l’administration Obama est en train de soutenir l’essor du secteur de l’économie sociale (third sector). Un plan d’action a été présenté le 9 février qui prévoit entre autres des investissements importants pour favoriser la création d’entreprises sociales.

Où se trouvent les expériences les plus innovantes? Les plus exemplaires?

Il y en a partout et beaucoup. En Italie où les coopératives sociales s’investissent désormais avec succès dans des secteurs comme les énergies renouvelables ou la green economy. En France, où des entreprises comme les Jardins de Cocagne ou Bretagne Atelier ont porté depuis longtemps des projets d’innovation sociale et économique et où on trouve aussi des SCIC (sociétés coopératives d’intérêt collectif) qui répondent de manière très efficaces à des demandes de niche auparavant insatisfaites et désormais rentables. On peut penser aussi au Québec, exemplaire pour le contexte institutionnel de partenariat avec l’Etat. Aux USA, avec l’expérience des Community Development Financial Institutions ( CDFI) comme la Shore bank et Self help.

Face à l’ampleur de la crise, les entreprises de l’économie sociale représentent-elles une alternative économique?

Je crois que les entreprises de l’économie sociale peuvent et doivent profiter de cette opportunité qu’offre la crise pour mettre en avant une manière différente de faire de l’action économique en s’appuyant sur d’autres valeurs, qui sont des valeurs qui n’ont rien à voir avec un capitalisme effréné qui cherche seulement des gains illimités et dont on a vu les résultats. Et bien évidemment il est important – et c’est la position aussi de l’OCDE en général sur la manière de répondre à la crise économique et financière (une position qui ne se réfère pas spécialement à l’économie sociale)- de remettre l’éthique au centre de l’action économique.

Les principaux obstacles au développement des entreprises sociales

• Idée peu claire du concept d’entreprise sociale
• Intérêt limité ou décroissant des donateurs à soutenir les entreprises sociales ainsi que manque de durabilité de certains des programmes adoptés
• Carence de financement pour les starts–up et, plus généralement, accès restreint aux ressources
• Fragilité des systèmes politiques, qui empêchent de bâtir des stratégies à moyen et long termes
• implication faible de la communauté des ONG dans le processus de légitimation des entreprises sociales
• Carence de compétences managériales des entrepreneurs sociaux et instabilités financières chroniques de la majorité des entreprises sociales.

Les facteurs favorables

• Forte tradition coopérative pré-communiste, qui a contribué à la revitalisation du mouvement coopératif en nombre de pays (Hongrie; Pologne; République tchèque)
• Niveau élevé de formation des leaders du secteur à but non lucratif dans presque tous les pays de la région
• Intégration européenne (FSE – Hongrie; République tchèque) et le processus d’alignement avec les standards
• Renforcement progressif des relations entre entreprises sociales et autorités locales, stimulé par le processus de décentralisation des compétences publiques (Bulgarie et Pologne)
• Création de cursus universitaires et de masters spécifiquement conçus pour fournir les outils de management nécessaires pour gérer de manière efficace les organisations SBL (Pologne, Hongrie, République tchèque).

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

ECONOMIE

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