L’affaire Natixis n’est pas qu’un feu follet allumé par la presse en mal de polémiques. Alors que la première phase du rapprochement Caisse d’Epargne – Banque Populaire est un fiasco d’une rare violence, la deuxième phase pousse l’intégration des deux groupes avec, aux commandes, un collaborateur de l’Elysée. Tout cela dans un contexte de crise qui, pourtant, condamne la stratégie menée jusqu’alors. Synthèse pour mieux comprendre la fureur médiatique

Délire

Le scénario met en scène deux fleurons du secteur financier français, les groupes Caisse d’Epargne et Banque Populaire, que l’on ne suspecterait pas d’affairisme compte tenu de leur histoire respective, mais à qui on attribuerait plutôt une gestion de bon père de famille à l’origine de leur succès. Entraînés dans la spirale de l’argent décomplexé, les voilà qui se lancent comme d’autres dans la course au gigantisme et qui mettent leur statut mutualiste sous leur mouchoir.

En 2006, ils fusionnent leurs activités de banque de financement, d’investissement et de services dans l’assurance crédit et le crédit à la consommation. Bref, tout ce qui touche la « banque de gros ». C’est la fête pour Philippe Dupont à la tête du groupe Banque populaire et pour Charles Milhaud qui, à la manoeuvre au groupe Caisse d’Epargne, franchit une nouvelle étape pour transformer complètement l’Ecureuil.

Créée en novembre 2006, la nouvelle banque est introduite en Bourse un mois plus tard : l’action cote alors 19,55 euros. Aux orties, la désuétude ; vive le risque et la créativité financière ! Et en route pour l’Amérique… bien que la crise immobilière, déjà, menace.

L’Ecureuil ne se reconnaît plus et le groupe Caisse d’Epargne semble être le spectateur incrédule de sa propre mutation plutôt que l’acteur.

Dérive

Mais en juin 2008, seulement un an et demi plus tard et avant même le début de la crise bancaire, le dérapage a commencé pour Natixis. Il est vrai qu’aux Etats-Unis, même si on n’évalue pas encore les ravages que vont causer les « subprimes », la bulle immobilière se dégonfle alors depuis dix-huit mois. Et comme d’habitude, les derniers acteurs à détenir des actifs surévalués sont les premiers touchés par l’explosion d’une bulle. C’est le cas pour Natixis, dont l’action ne cote plus que 4 euros. Cinq fois moins ! Tout le monde déchante, à commencer par les petits porteurs à qui toutes les banques de la place ont vendu du Natixis jusqu’à plus soif. Combien d’épargnants ont-ils vu s’évaporer un part de leurs économies dans ce délire… Puis la crise éclate, et le cauchemar continue : l’action est à 1 euro fin février 2009, lorsque Natixis révèle le gouffre dans lequel la crise l’a entraîné : 2,8 milliards d’euros de pertes sur la seule année 2008 ! La valeur de Natixis a été divisée par 20 en 26 mois : triste performance !

Les architectes de la nouvelle banque avaient créé une structure. Mais avaient-ils pris le temps de mettre en place des éléments de gouvernance et de transmettre des valeurs pour éviter une telle déconfiture ? Certes non. En fait, personne n’a vraiment compris comment fonctionnait cette hydre à deux têtes, cet animal bancaire propulsé sur le devant de la scène sans qu’on puisse bien le cerner ; c’est bien l’un des problèmes de fond auquel auraient dû s’atteler ses fondateurs.

Déroute

Charles Milhaud n’est plus en poste pour s’en expliquer. Suite à une perte de 750 millions d’euros de l’Ecureuil dans des opérations risquées qui n’auraient jamais dû être menées alors que la crise avait éclaté, il a été contraint de démissionner de ses fonctions en octobre 2008. On sait maintenant que son groupe accuse pour l’an dernier 2 milliards d’euros de pertes (les premières de sa longue histoire). A cause, entre autres, de Natixis. La gestion de père de famille avait du bon… Philippe Dupont, un taureau dans la bourrasque, est toujours en place. Son groupe, l’an dernier, a perdu moins de 500 millions d’euros : pas de quoi fouetter un chat, en ces temps de crise. A titre de comparaison, toutefois, BNP Paribas a dégagé 3 milliards d’euros de bénéfices l’an dernier dans le même contexte de crise, et la Société générale 2 milliards. Banque Populaire a été plombée par sa banque d’investissement et de financement, c’est à dire Natixis, répond le groupe mutualiste. Justement, c’est bien le problème.

Reste François Pérol, inspecteur des finances, ancien d’HEC passé par Sciences Po et sorti major de l’ENA avant d’intégrer le Trésor. Après avoir ensuite travaillé avec Francis Mer et Nicolas Sarkozy à Bercy, il va pantoufler de 2005 à 2007 à Rothschild et Cie Banque, d’où il va participer à la construction du grand mécano qui va donner naissance à la fameuse banque Natixis. Un véritable « succès » ! Bien sûr, on pourra rétorquer que l’idée avait du sens, mais que la partition a été mal jouée. Que le relais a été passé, mais mal exploité. Qu’une fois lancée, Natixis a volé de ses propres ailes sans que l’ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée n’ait eu à le contrôler. Peut-être… Est-ce une raison pour continuer dans un processus d’intégration qui a fait voler en éclat l’image de sécurité des Caisses d’épargne (déclarées « d’utilité publique » en… 1835) et le crédit qu’on peut réserver à un groupe mutualiste comme Banque Populaire ? La responsabilité en incombe aux hommes, à une prise de risque excessive (dans les « subprimes » américains), à un engagement trop rapide dans des activités non maîtrisées… Toutes les raisons peuvent être entendues. Il n’en est pas moins vrai que l’activité de Natixis a débouché sur un échec éclair parce que des erreurs ont été commises notamment au niveau des prises de décision et de la définition des stratégies.

Défiance

Dans ces conditions, l’observateur lambda comprend mal que le chantier de rapprochement se poursuive comme prévu (nonobstant l’injection de 5 milliards d’euros par l’Etat français, probablement à titre d’encouragement). Ne faut-il pas détricoter l’ensemble, ou carrément nationaliser ? Il est aussi étonné qu’on retrouve Philippe Dupont à la présidence du conseil de surveillance et François Pérol à la présidence du directoire. Ainsi que Dominique Ferrero, directeur général de Natixis, conforté dans ses fonctions par le nouveau patron de la banque bien que, au micro de BFM, il se « sente une responsabilité » dans la déroute de la banque dont il a dressé la stratégie : n’y est-il pas en place depuis sa création ?

Prendre les mêmes et recommencer… Au titre de l’efficacité, on est en droit de se poser des questions. Pourquoi, s’il faut introduire de la régulation dans le capitalisme comme Nicolas Sarkozy l’affirme, faut-il prendre les libéraux d’hier pour inventer de nouvelles formes de gouvernance bancaire ? La question ne se pose pas que pour Natixis. Mais cette banque cristallise les questions posées par le maintien en poste des tenants d’un mode de fonctionnement de l’économie qui n’ont pas voulu contrôler ses excès. Comme si les élites d’hier, malgré leur manque de vision et leurs échecs, étaient invitées à s’accrocher aux leviers du pouvoir malgré la fracture avec le reste de la population. Et de s’interroger sur le rôle de la Présidence dans une affaire financière privée qui, si elle nécessite l’intervention des pouvoirs publics, serait plus du ressort du Ministère de tutelle que de l’Elysée.

Viennent en plus se greffer d’autres aspects du problème largement débattus dans les médias, aussi bien politiques que juridiques. Au-delà des polémiques justifiées, on notera ici le conflit d’intérêt qui peut naître de la nomination d’un homme qui a eu à traiter du sauvetage des banques françaises dans la crise, qui a participé à la mise en place des remèdes administrés et à venir, qui a eu accès à des éléments confidentiels sur la situation de ses concurrents dans l’Hexagone et qui, sur ce dossier, personnalise le mélange des genres. D’autres solutions existaient, qui auraient mieux exprimé une volonté de sortir d’un bourbier dans lequel trop de personnalités se sont déjà enlisées. Mais au contraire, le 1er mars dernier, la naissance du deuxième groupe bancaire français fut une forme de pied de nez à l’actionnariat populaire de Natixis, et aux citoyens qui n’ont aucune raison d’accorder leur confiance aux pilotes qui les ont entraînés dans le mur.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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