Pour la première fois, une étude mesure la perception de l’entreprenariat social. Image positive, mais à consolider côté grand public. Foi dans leur mission, mais besoin de soutiens côté entrepreneurs.

L’étiolement d’un capitalisme érigé en modèle unique et triomphant peut-il donner crédit à la figure de l’entreprise sociale ? Parce qu’ils militent pour la conciliation effective de l’économique et du social, de l’efficacité et du progrès, parce qu’ils projettent sur les problématiques sociales, sociétales, environnementales des solutions innovantes, les entrepreneurs sociaux défrichent des pistes d’action structurantes dans une logique d’intérêt général. Cependant, à en croire la première étude (*) menée par l’institut Opinion Way sur la perception de l’entreprenariat social auprès du grand public, il reste pas mal de boulot aux promoteurs de l’entreprise sociale. Et pour cause. Les trois quarts des Français n’ont jamais entendu le terme d’entrepreneur social. Quant à ceux à qui il évoque quelque chose, ils ne sont que 3 % à pouvoir citer spontanément le nom d’un entrepreneur social ou de son entreprise. Même Mohammed Yunus, le père du microcrédit, prix Nobel de la paix 2006 et sommité internationale de l’entreprenariat social, reste inconnu de 89 % d’entre eux.

Pourtant, l’entreprise sociale mérite non seulement d’être encouragée pour 87 % des Français, mais elle semble suffisamment porteuse de valeurs pour susciter un phénomène de projection identitaire: alors que trois quarts des Français déclarent n’être engagés dans aucune action citoyenne, 83 % d’entre eux se diraient fier si leur enfant devenait entrepreneur social.

Et lorsqu’on leur demande quel type d’acteur est le plus innovant dans la résolution des problèmes environnementaux et sociaux, 51 % des personnes interrogées citent les entreprises sociales, loin devant les pouvoirs publics (25 %) et le secteur marchand (23 %). «Il y a, au-delà de l’entreprenariat social, une attente quant aux leviers de mutation de nos sociétés», commente Christian Valadou, directeur opérationnel d’Avise (Agence de valorisation des initiatives socio-économiques). Quinté de tête des chantiers les plus urgents : le pouvoir d’achat, la pauvreté, le chômage, le changement climatique et la délinquance. L’entreprenariat social s’avère également utile pour pallier les carences de pouvoirs publics et élever le niveau d’éthique du monde de l’entreprise.

Et les entrepreneurs sociaux eux-mêmes, comment perçoivent-ils leur mission ? 83 % des entrepreneurs se considèrent comme les acteurs les plus innovants du terrain social et environnemental. Quant aux chantiers prioritaires, C’est la lutte contre la pauvreté qui l’emporte devant la problématique climatique et très loin devant le pouvoir d’achat et a fortiori la délinquance.

Pour contribuer à l’essor du modèle, il faut non seulement impulser des changements culturels, mais aussi créer un environnement juridique, administratif et financier favorable. Si 62% des entreprises sociales sont des associations à but non lucratif, 41 % des entrepreneurs disent avoir déjà songé à changer de statut : SARL ou SA pour pouvoir évoluer vers des activités marchandes ou bénéficier de capitaux privés, coopérative pour engager toutes les parties prenantes dans la gestion et le développement des activités, SCOP (société coopérative de production) pour formaliser les idéaux… «Le statut associatif reste un bon cadre de développement de nombreux projet. Mais de nouveaux statuts sont à inventer, passerelles entre la logique associative et le statut commercial. Les frontières entre le business et le social sont vouées à devenir de plus en plus poreuses», note Arnaud Mourot, directeur d’Ashoka, organisation internationale dédiée à la promotion de l’entreprenariat social.

Les limites du statut associatif ? l’accès aux capitaux privés pour 37 % des entrepreneurs, l’échelle des rémunérations des salariés pour 31 %, la gouvernance pour 23 %, la rémunération des actionnaires et dirigeants pour 20 %. Qu’est-ce qui manque à l’entreprenariat social pour réussir à se développer ? Pas mal de choses : des moyens financiers (60 %), la reconnaissance des pouvoirs publics (52 %), les partenariats avec des entreprises (51 %), mais aussi des personnes qualifiées et motivées, de la formation, des outils et des méthodologies.

«Les entrepreneurs ont le besoin d’être accompagnés pour mener à bien les missions qu’ils se sont fixés et faire de l’entreprise social un modèle reconnu, partie prenante des enjeux de nos sociétés», souligne Benjamin Gratton, directeur associé d’Opinion Way. Près de 60 % des entreprises sociales ne disposent d’aucun document présentant leur activité à cinq ans, et 45 % ne sont pas en mesure de proposer un support exposant leur modèle économique. En outre, 55 % des patrons s’avouent incapables de mesurer l’impact social de leur entreprise.

(*) Le “premier baromètre de l’entreprenariat social auprès du grand public et des entrepreneurs sociaux” : étude réalisée en août et septembre 2008 par Opinion Way, pour le compte de l’Avise, auprès d’un échantillon de 1 008 personnes et de 100 entrepreneurs sociaux.

Au sujet de Muriel Jaouën

Journaliste de formation (ESJ Lille, 1990), Muriel Jaouën publie régulièrement dans le magazine de Place-Publique. Ses spécialités : économie sociale, développement durable, marketing, communication, organisations, management.

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