Jamais l’irresponsabilité des dirigeants n’a été aussi virulente. Depuis la fin de l’année 2006, et même avant, si l’on intègre les produits à haut risque qui ont proliféré depuis plus de dix ans, les financiers jouent avec l’argent des autres, conscients des menaces qu’ils font peser sur l’économie. Pas aveugles, non, juste fous ! La plupart d’entre eux savaient qu’ils jouaient avec le feu, trichant avec les règles de contrôle, multipliant des martingales de produits vaseux dont les « subprimes » (crédits hypothécaires) sont le symbole le plus parlant. Ainsi des courtiers en crédit hypothécaires ont prêté aux pauvres sans leur dire que les taux d’intérêt pouvaient doubler en deux ans. Puis les banques d’investissement ont racheté ces crédits et ainsi de suite. A cette époque là, un rapport publié en collaboration avec Citigroup, Marsh and McLennan, Swiss re et le Wharton School Risk Center, présenté à Davos le 24 janvier 2007, indiquait que 15 des 23 principaux risques économiques mondiaux s’étaient accrus en 2006 et que la capacité à les gérer stagnait.

Voilà aujourd’hui qu’on joue les surpris. Comme si tout cela tombait du ciel. Hypocrisie ! Nos gouvernants ont beau jeu maintenant de faire semblant de découvrir le pot de confiture, de dénoncer ceux qui ont mis les doigts dedans, et de vilipender « la toute puissance du marché ». La faillite est aussi la leur. Gouverner, n’est ce pas prévoir ? Il y a une certaine indécence populiste aujourd’hui à chercher des boucs émissaires pour se dédouaner de ses propres responsabilités. En 2007, alors candidat à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy qui prônait une France de propriétaires estimait, dans son programme électoral, que les français n’étaient “pas suffisamment endettés”. Il proposait de transposer en France, le crédit hypothécaire (les fameux subprimes) en direction des « revenus modestes », comme aux Etats-Unis au moment où ces subprimes étaient en plein boum. Tout le monde spéculait sur les pauvres et sur la hausse du prix de l’immobilier. Il recommandait de baser le prêt “moins sur la capacité personnelle de remboursement de l’emprunteur et plus sur la valeur du bien hypothéqué”. C’est exactement cette déréglementation qui a fait plonger les banques. Et si l’on remonte plus loin dans le temps, on pouvait déjà s’interroger sur la « perversité » d’un système qui depuis des années a fait de la « valeur pour l’actionnaire » le crédo de la bonne économie. Selon le dogme de la valeur pour l’actionnaire, le taux de rendement interne des entreprises exigé par les actionnaires doit se situer autour de 15% alors que la croissance est dans une moyenne de 3%. Cet écart énorme, un peu révisé à la baisse, ne pouvait qu’aboutir à des dérives comptables, et des tensions intolérables dans la vie des entreprises et de l’économie. On parlait alors de gouvernance d’entreprise !

Soyons clairs : la faute est donc collective. Celle des financiers cyniques, des actionnaires gloutons, des états qui laissent faire et de la plupart des experts économiques qui n’ont pas su prendre la mesure de cette « vaste escroquerie » (selon Michel Rocard) que sont les subprimes. La dérive est celle d’un système du marché qui repose sur l’individualisation des gains et la socialisation des pertes. Dès qu’il ya des problèmes, on appelle à l’aide l’état, dès qu’il ya des profits on crie à l’interventionnisme de l’état. Système commode pour certains mais injuste pour les autres. Au-delà des incompétences et des passions cupides, ce qui est en cause dans la tourmente que nous traversons, c’est l’incapacité du monde des affaires à penser plus loin que son intérêt immédiat, son inaptitude à investir dans l’avenir.

Le marché est comme l’homme. Quand il ne prend pas le temps, il court à la dépression. Depuis des années, nous vivons à l’heure du court terme financier et des profits rapides. Un défaut d’anticipation proportionnel à son arrogance dogmatique. Celui qui hier, doutait de la capacité du monde de la finance et des marchés à s’autoréguler était aussitôt pris pour un imbécile ou un gauchiste. Le principe cher à Adam Smith selon lequel les mécanismes du marché constituent les remèdes automatiques aux outrances du capitalisme débridé ne fera désormais plus autorité. La crise financière est une crise de la confiance. Dans le monde du profit facile et rapide, plus personne n’a confiance en personne. Les banquiers entre eux, les salariés et les dirigeants, les gouvernants et les gouvernés.

A quelque chose malheur est bon. Sans doute cette maxime est-elle un peu brutale. Pourtant… La gravité de la crise financière n’est-elle pas l’occasion de remettre les pendules à l’heure ou de réviser ses tablettes. Dans cet alzheimerisation de l’organisation, où nous sommes condamnés à une « pensée criblée de trous » comme le dit Edgar Morin (lire  « La pensée complexe »), nous sommes incités à réconcilier le temps avec la durée, à ouvrir de nouveaux chantiers. C’est l’occasion ou jamais de se creuser la tête pour inventer quelque chose de nouveau. Les conséquences des turbulences financières sur  la vie économique, sur la consommation, sont encore à venir. Les interrogations pour l’avenir sont énormes : Comment va se comporter le déséquilibre nord-sud ? Y aura-t-il un rattrapage ou une accentuation des écarts de développement ? La société de l’information va-t-elle continuer à accélérer sa course vers le virtuel ? La planète va-t-elle à ce point se réchauffer qu’elle va complètement modifier la géographie humaine ? Et quel sera l’impact des nanotechnologies dont la National Science Foundation annonce qu’ « elles vont entraîner un changement de civilisation » ? Enfin, quels effets la montée en puissance de la Chine et de l’Inde, va-t-elle provoquer ? Sans oublier le déclin des ressources en eau ? Enormes questions… Nous devrons vivre avec cette réalité pendant un moment. Il faudra beaucoup de pédagogie pour expliquer comment regagner la confiance et donner de l’optimisme.

Un autre monde est possible. Il va falloir se creuser les méninges, apporter des nouvelles idées. La crise est telle qu’elle ne souffre plus de simples aménagements à coup de fiscalité ou de structures juridiques ad hoc. Il faut aller plus loin en se disant que c’est souvent dans les périodes difficiles que naissent les grandes idées, que se développent les innovations, que se multiplient les initiatives, que se façonnent de nouveaux comportements. Le rôle de Place-Publique est de fournir un espace à ces dynamiques et d’informer les citoyens sur ce qu’elles produisent. Les chantiers sont multiples : le développement durable, l’internet citoyen, les nouvelles énergies, le gratuit/le payant, la revalorisation de l’entrepreneur/innovateur, la relocalisation de l’économie, l’innovation sociale, la refondation d’une Europe économique solidaire.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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ECONOMIE

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