15 septembre 2008

 » Aimer « 

Aimer, dormir, manger, habiter, circuler, penser… Chaque mois, Place-Publique vous donne rendez-vous avec une esquisse illustrée de votre vie quotidienne future.
Extraits du livre «Vivre en 2028. Notre futur en 50 mots clés » (Avec l’aimable autorisation des Editions Lignes de Repères)

Il s’appelle David Levy, il est britannique et spécialiste de l’intelligence artificielle. Dans un avenir pas si lointain, prévoit-il, «les robots auront la capacité de tomber amoureux d’êtres humains et de se rendre romantiquement attirants et sexuellement désirables auprès des humains ». Et l’expert d’ajouter que cela permettra à beaucoup de gens de sortir de leur solitude : «Je ne vois rien de mal dans le fait que des gens aient des rapports sexuels avec des robots. Une activité parfaitement saine, comme la masturbation – que les médecins et les psychiatres pensaient être à une époque à l’origine de tous les maux sanitaires – est de nos jours considérée comme une activité parfaitement saine ». D’après lui, les avancées technologiques considérables qui seront accomplies dans les années à venir rendront le phénomène inévitable. Dans une conversation en ligne avec les abonnés au magazine New Scientist, David Levy soutient que les robots seront nos compagnons de vie et partenaires sexuels. Les humains feront coïncider leurs préférences avec celles de leur « moitié » numérique en sélectionnant leurs paramètres – personnalité, centres d’intérêts, etc : « Nous les programmerons pour qu’ils veulent de nous », que l’on soit gros ou mince, laid ou beau, précise-t-il. Du fait de leur niveau d’intelligence, les robots devront rester sous le contrôle total des humains. L’auteur parle même d’une relation de type maître à esclave. Il juge donc probable que les robots dotés de fonctions sexuelles ou les robots-prostitués seront interdits dans certaines juridictions. Mais, d’après lui, leur usage finira par être reconnu légalement.

Un professeur du Laboratoire d’Informatique Avancée de Saint-Denis (LIASD), Arab Ali Chérif, n’est pas loin de cet avis. Il estime cette évolution tout à fait possible. L’avenir laisse présager une vie sexuelle de plus en plus bousculée par la technologie. Grâce à la miniaturisation de l’électronique. On pourra reproduire les structures cérébrales et faire communiquer les organes dans le corps humain, dit-t-il : «Ces informations qui circulent via ces signaux électriques, comme l’adrénaline ou la douleur, les robots pourront les reproduire. » Ce dernier est convaincu que « les robots seront tellement sophistiqués qu’à 10 mètres de distance, il sera difficile de les distinguer des humains ».

Total délire ? Pas tant que ça. Les deux chercheurs en veulent pour preuves l’explosion des robots d’accompagnements au Japon. Ces Tamagotchi, Furby, Aibo et autres Robosapiens sympathiques conçus pour interagir avec les humains, devenir leurs partenaires et développer des émotions. Serons nous voués à aimer des objets. L’augmentation technologique de l’homme et l’humanisation des robots ira-t-elle jusqu’à créer du sentiment amoureux ?Comment vont évoluer nos mœurs sexuelles ?

Pour des prospectivistes hollandais réunis autour du Club d’Amsterdam, une chose est sûre, nos façons d’aimer vont considérablement se modifier sous l’influence des univers virtuels. La vie sexuelle sera de plus en plus stimulée par le toucher « distant », ce que les chercheurs appellent « les interfaces haptiques ». A savoir des informations sensorielles qui stimulent des excitations de la peau et englobe des modalités très variées comme la température, la texture ou le contact. Bientôt, grâce à un gobelet sans fil, doté d’électronique, les amoureux transis pourront flirter à distance et partager des sentiments inédits. Tels Jackie Lee, le concepteur d’un verre magique, la «Lovers cup » et sa copine, Hyemin Chung. Ainsi ces tourtereaux plein d’imagination, qui voyagent souvent l’un sans l’autre pour leur travail, ne trouveront plus le temps si long. « D’habitude, pour moins ressentir l’absence, on se téléphone ou on s’envoie un mail. On peut aussi se voir par vidéo-conférence. Mais avec le gobelet d’amour, la présence de l’autre devient troublante » expliquent-ils. L’inventeur parle de « baiser virtuel ». Lorsque l’un des deux soulève sa coupe de champagne pour trinquer, l’autre voit la sienne rougir. Lorsqu’ils boivent ensemble, les verres brillent d’une même couleur. Entre temps, les capteurs, vibreurs et diodes lumineuses intégrés dans la « lovers cup » se sont mis en action par connexion Wi-Fi.

Selon Michaël Anissimov, un prospectiviste, tenant de « l’homme augmentée par la machine », nous pourrons certainement stimuler directement le cerveau plutôt que nos organes sexuels ou nos zones érogène. Ce qui pourrait aussi contribuer à changer notre rapport au sexe. Avec les recherches sur la peau, les progrès des technologies d’implants et les avancées des nanotechnologies on sera en mesure de créer des peaux synthétiques presque naturelles. Deux chercheurs américains, Ravi Saraf et Vivak Maheshwari, ont récemment mis au point un film électroluminescent, fait à partir de nanoparticules d’or et de sulfure de cadmium, permettant de reproduire la sensation de toucher humain chez les robots.

Plusieurs phénomènes participent de ce nouveau désordre amoureux: outre l’explosion du marché des gadgets érotiques, la banalisation pornographique sur internet, ou le développement de nouvelles formes de sexualité plus assumées ( transexualité, bisexualité, homosexualités..) des nouvelles formes de fantasmes virtuels vont aussi se multiplier, tels que ceux qu’on peut trouver sur Second Life. Ce site communautaire permet de vivre une « seconde vie » sous la forme d’un avatar que l’on peut partager avec de vraies personnes. Avec mariage virtuel à la clé ! Le vieillissement de la société associé à la prolifération des techniques du bien être, annonce aussi la fin du tabou de la sexualité des personnes âgées. Les environnements virtuels actuels qui annoncent la transparence des échanges de demain seront moins regardants sur des questions de différence sociale ou catégorielle. Les bouleversements de la vie personnelle seront assumés de plus en plus ouvertement via internet. Cette évolution prévisible des comportements aura des effets profonds sur la vie intime des individus et des couples. Les analystes du cabinet américain Gartner prédisent que 2 % des américains ne s’étant jamais rencontrées, seront mariés dans un monde virtuel d’ici une dizaine d’années avec légalité du mariage reconnue dans la vie réelle. Pour Adam Sarner, le responsable de l’étude : “ les connexions en ligne deviennent suffisamment puissantes pour voir naître des mariages en ligne légaux. L’émotion liée à leur connexion sera demain suffisamment forte pour vouloir la rendre éternelle ». Et ce dernier d’expliquer que cette transition va être le fait de la “génération virtuelle” qui est en train de naître sous nos yeux. Une génération capable de faire s’écrouler la segmentation des âges par la force de la communication et de l’échange : “Pour la génération V, les environnements virtuels fournissent des conditions de concurrence équitables où l’âge, le sexe, la classe sociale ou le revenu de chacun sont moins importants et moins récompensés que la compétence, la motivation et l’effort”.

Que produiront ces effusions ? Un phénomène durable ou un simple effet d’époque ? Difficile de répondre. « L’amour sera toujours l’amour, n’hésitent pas à dire les jeunes quand on les interroge. Rien d’incompatible à leurs yeux entre l’exposition virtuelle de leur ego narcissique avec des avatars ou devant des inconnus et leur vie amoureuse dans laquelle le couple fait toujours bonne figure. La question est plutôt de savoir comment l’intimité des données personnelles peut résister à ce panoptique de la transparence généralisée. Comment concilier le désir de reconnaissance individuelle des êtres avec la tentation nauséabonde de l’identification par les pouvoirs quelqu’ils soient?

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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