Chaque jour arrive avec son lot de découvertes , on nous explique que l’on approfondit la connaissance de notre fonctionnement cérébral, grâce aux neurosciences mais cela n’est pas sans soulever de nombreuses questions sociétales, éthiques, citoyennes.

L’exploration du cerveau, le fait de mieux décrypter les comportements humains et les usages qu’on peut en faire , tout cela est à la fois porteur d’espoir et en même temps de craintes, et nourrit souvent de nombreux fantasmes. Les enjeux éthiques liés aux nouvelles techniques d’exploration du cerveau et à l’exploitation des images obtenues sont multiples. L’imagerie cérébrale est très prometteuse dans les domaines du diagnostic et du traitement des maladies du cerveau, dans la recherche fondamentale, et contribue à une meilleure compréhension du fonctionnement du cerveau. Elle permet notamment d’identifier un infarctus cérébral et de mieux traiter le patient, mais aussi de retarder l’apparition des symptômes de la maladie d’Alzheimer ou de faire disparaître, grâce à la neurostimulation à haute fréquence émise par des implants cérébraux, des tremblements liés à la maladie de Parkinson. Désormais, on peut voir le cerveau fonctionner,on peut localiser avec précision des réseaux neuronaux impliqués dans l’apprentissage, la mémoire par exemple.

Cependant, certaines recherches qui n’ont pas de lien direct avec la médecine font l’objet de controverses. En effet, l’utilisation des connaissances acquises par le biais de l’imagerie cérébrale dans des domaines comme la pédagogie, le marketing, la justice,… et dans l’étude des performances cognitives peut s’avérer une sorte de boite de pandore. Les nouvelles possibilités d’exploration ont donc des répercussions sur notre vie de tous les jours, et supposent de lancer le débat sur d’éventuelles régulations, voire des adaptations législatives à prévoir. Ce qui nécessite d’y associer les citoyens. Car, les neurosciences, absentes des précédentes lois bioéthiques en France sont devenues en quelques années un vrai sujet de société. « Exploration du cerveau, neurosciences : avancées scientifiques, enjeux éthiques », tel était le sujet d’une journée d’audition organisée le 26 mars dernier par l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST) chargé d’établir une évaluation de la loi de bioéthique de 2004, quatre ans après sa publication à l’initiative de deux députés, Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte. Elle a réuni des sociologues, médecins, neurobiologistes, généticiens, philosophes, responsables d’instances éthiques …

En effet, les neurosciences ne se bornent plus à un usage strictement médical, d’autres usages sont nettement plus contestés. On peut citer, à titre d’exemples, trois domaines de dérives possibles. L’imagerie cérébrale intéresse au plus au point de nombreuses entreprises, notamment dans le domaine marketing, de la publicité ou de la finance : très avides de décrypter les circuits du désir ou de la décision, et la connaissance des mécanismes des choix… Avec l’idée que l’on puisse prédire un comportement, certains voient dans les neurosciences une façon d’atteindre la part d’irrationnel impliquée dans nos choix ( voir interview Olivier Oullier) . On pourrait craindre l’utilisation des neurosciences dans les techniques de manipulation à des fins commerciales et prédictives du comportement des consommateurs.

Autre sujet d’inquiétude lié au développement incontrôlé des neurosciences, le détournement à des fins non thérapeutiques des implants cérébraux, comme ceux que l’on pose pour limiter le tremblement des personnes atteintes de Parkinson. Certains voient dans ces implants cérébraux un moyen de parvenir à l’homme augmenté en renforçant les capacités cérébrales de certains humains, comme le suggèrent les transhumanistes. Enfin, certains traquent une éventuelle aire cérébrale de la criminalité, tentant d’identifier des aires cérébrales impliquées dans l’apparition de comportements déviants, avec le risque évident de classifier ensuite des comportements, sur une base statistique, à partir d’une instrumentalisation des données. Cette idée que les neurosciences pourraient permettre d’anticiper les réactions des personnes se pose avec plus d’acuité, notamment depuis le vote de la loi de rétention de sûreté. On le voit une foule de questions émerge. Mais comme le soulignent les neurobiogistes, prétendre que les neurosciences donnent des règles certaines ne correspond pas à la réalité mais nourrit les fantasmes ou le business de certains charlatans. Mais est-ce alors au législateur de s’attarder dans son champ de régulation sur les fantasmes de certains?

Bien souvent les images cérébrales laissent croire qu’on a accès à la pensée, au delà même d’une photographie du cerveau or ces images sont obtenues jusqu’ici dans un contexte particulier et ne permettent pas d’établir une carte cérébrale du comportement. Des émotions ou actions peuvent être visualisées, mais dans un contexte particulier où le sujet est relativement « isolé ». Si le cerveau reste un continent à découvrir , qu’il s’agisse de l’impact de certaines stimulations par neuro-implants, des interactions des gènes dans certaines pathologies, de la valeur prédictive de certaines images, reste à savoir quels seront les bénéfices pour les individus ? Alors que notre société supporte de moins en moins l’incertitude, comment encadrer les dérives et gérer les risques de stigmatisation de certains groupes humains , sous couvert d’une application détournée du principe de précaution.

Vers une nouvelle dimension juridique ?

Utilisera-t-on d’ici peu en France, comme aux Etats-Unis, les neurosciences et la neuro-imagerie de façon courante devant les tribunaux ? Ce type d’usages voire de dérives des neurosciences pose questions, y compris sur un plan juridique. Aux Etats-Unis, de plus en plus, la défense mais aussi parfois le parquet ont recours à des experts en neurosciences lors de procès criminels, capables d’interpréter l’imagerie cérébrale que ce soit pour justifier de la non- responsabilité de l’accusé ou au contraire pour essayer d’en montrer un aspect déviant. Ce sujet des plus controversés, ce que certains appellent déjà la « neurolaw » (neuroloi), a donné lieu à un rapport remis au Conseil de bioéthique américain. Les défenseurs de l’introduction des neurosciences dans la justice estiment que leur impact est à prendre en compte non seulement sur les questions de culpabilité et de peines encourues mais aussi dans la détection des mensonges, et la prévention des comportements criminels futurs.Bref, utiliser les neurosciences pour identifier des individus potentiellement dangereux pour la société. Ce que dénoncent de nombreux spécialistes qui estiment aberrant de dire qu’on est capable de prédire d’éventuels comportements déviants seulement en observant le cerveau.

Les opposants à cette banalisation des neurosciences dans l’appareil judiciaire, eux, craignent que ces technologies soient utilisées comme un moyen à titre préventif de brider la liberté de chacun, et introduisant un nouveau concept juridique qui répondrait à la liberté cognitive, dans une société qui ne supporte plus l’incertitude, qui veut prédire à tout prix.

Au sujet de Estelle Leroy

Estelle Leroy-Debiasi est journaliste professionnelle, Diplômée en Economie, ex rédactrice en chef du quotidien économique La Tribune. Elle contribue régulièrement au site ElCorreo, site de la diaspora latinoamericaine.

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