Michel Puech est l’auteur de « Homo sapiens technologicus. Philosophie de la technologie contemporaine, philosophie de la sagesse contemporaine », aux Editions Le Pommier (site du livre : http://technosapiens.free.fr).

Que nous enseigne la philosophie sur l’emballement de la consommation technologique ?

Les critiques de la « société de consommation » existent depuis longtemps, on dénonce la futilité des gadgets, les pressions de la mode et de la publicité… Mais regardez le cas du téléphone mobile : pendant un an ou deux on trouvait cet ustensile prétentieux et peu utile. Puis, très vite, nous en avons tous acheté un, nous avons équipé nos enfants, nos parents âgés, et nous avons du mal aujourd’hui à imaginer à quoi ressemblait la vie « avant ». La philosophie opère sur la consommation technologique le contraire d’une « prise de distance », selon moi : il faut aller voir de plus près, s’intéresser à l’intime, au quotidien, aux relations existentielles avec les objets technologiques. Ils font partie du tissu de notre vie, ils intègrent nos existences à l’environnement matériel et informationnel qui est notre nouvel environnement réel. C’est en cela que nous sommes homo technologicus, une nouvelle espèce, qui habite différemment le monde. Et pas de pauvres consommateurs assommés de publicités et gavés de gadgets.

Quelles sont les tendances des produits électroniques dans le futur ? Leur potentiel « révolutionnaire » ?

La philosophie de la technologie ne peut pas être une futurologie. Pour une raison d’humilité : commençons par comprendre le monde présent, mettons au point des outils intellectuels pour analyser notre relation avec nos ordinateurs portables, nos voitures, l’Internet, le micro-onde, etc. : commençons par une présentologie. Car ce ne sont pas les produits qui évoluent, ce sont les humains et les artefacts qui coévoluent, qui se transforment les uns les autres, et c’est dans le présent que cela se passe. Le « potentiel révolutionnaire de la technologie », donc, ce n’est pas une promesse de lendemains meilleurs, c’est une énergie présente, à notre disposition, sous notre main, sous notre souris. C’est un « potentiel » au sens électrique, au sens de la physique : une énergie. Prendre conscience de ce potentiel et l’investir, se le réapproprier, voilà la véritable opportunité.

Quelles idées reçues l’homo sapiens doit il combattre pour être « sagement technologicus »?

Pour être vraiment « sapiens », sage, et pas seulement « technologicus », nous devrions renoncer à l’attente futurologique des bienfaits de la technologie, et renoncer aussi à mettre en scène des peurs technophobiques. La sagesse dont nous avons besoin est une sagesse d’action, de prise en charge de soi et des potentiels de la modernité. Je consacre tout un chapitre aux « nouvelles désuétudes », ces structures anciennes qui nous empêchent de réaliser le meilleur de nos possibles – et qui sont de nature institutionnelle, économique, mais aussi culturelle. Nous avons aujourd’hui bien plus besoin d’idées nouvelles sur la technologie que de technologies nouvelles.