Le Vatican venait à peine d’annoncer qu’à la demande de mes collègues de l’Académie pontificale des sciences, une statue de Galilée serait érigée dans son enceinte, qu’un journal anglais, The Independent du 9 mars dernier, exhibait en première page un cliché. Ses couleurs violentes et son soigneux cadrage, pouvaient le faire passer pour une photo de tournage d’un film. Entouré d’assistants ecclésiastiques attentifs à l’opération, revêtu d’un habit brodé d’or et d’une calotte pourpre, un cardinal était penché sur un cercueil luxueux. Muni d’un outil dont on devine mal la nature il s’apprêtait, ni plus ni moins qu’à faire sauter le couvercle du cercueil, celui de padre Pio.

Y allant à la louche dans un antipapisme bien britannique, le journal précisait que la scène se déroulait juste après minuit et que le Vatican n’avait pas voulu qu’il y eût trop d’assistants. Pourquoi alors un photographe de Reuters parmi eux, de surcroît si bien placé ? Né Francesco Forgione, padre Pio est en fait un capucin décédé en 1968 à 81 ans et canonisé par Jean Paul II vers la fin de son pontificat. Depuis l’âge de 23 ans le pieux Pio présenta des blessures, là où le Christ aurait été cloué sur la croix. Il devint l’objet d’un culte populaire qui lui a prêté rien moins que le don d’ubiquité et celui de pouvoir prédire le futur. Ceci lui valut dans un premier temps l’interdiction de dire la messe, mais deux ans plus tard, devant tant de ferveur, la déraison devint raison d’Eglise : le miracle fut admis et bien d’autres lui furent attribués.

Il est bien connu du corps médical qu’appliqué sur la peau, l’acide carbolique (phénol liquide) étant très caustique peut provoquer des blessures sanguinolentes, ce que les autorités ecclésiastiques n’ignoraient pas ayant reçu des témoignages que Padre Pio s’en procurait.

À la veille du quarantième anniversaire de la mort de padre Pio, l’ouverture du cercueil en présence d’experts médicaux visait donc, semble-t-il, à vérifier l’état du cadavre du saint. La règle de l’ordre des capucins veut qu’ils soient enterrés nus pieds ce qui facilita l’examen. Ni les mains, ni les pieds d’un homme sensé avoir saigné comme le Christ ne présentaient de stigmates. Le corps va être exposé pendant plusieurs mois au sanctuaire où chaque année se pressent des millions d’admirateurs de padre Pio. Un ami malicieux m’a fait remarquer qu’après tout l’absence de stigmates peut elle aussi logiquement être qualifiée de miracle… au contraire, l’érection de la statue de Galilée ne va sûrement pas redresser la tour de Pise. Cette tour où, contrairement à une croyance bien laïque mais fort répandue, Galilée n’a sûrement pas pu faire l’expérience de la chute des corps comme l’a démontré voici longtemps Koyré.

Les infortunes de la raison ne sont pas systématiquement le fait de benêts, d’ignorants ou de Belges comme, dans ce dernier cas, certaines blagues françaises le donnent à penser.

Georges Waysand

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