Une histoire comme il y en a beaucoup dans la France d’aujourd’hui. Une famille sénégalaise bien intégrée mais pas régularisée. Suite à un banal contrôle, en quatre jours, le père est expulsé, loin de sa femme et de ses trois enfants qui, eux, restent ici, mais sans ressources. Par-delà les divergences sur la question de l’immigration, des drames humains se jouent. Témoignage.

« Je sais ce qui le fait le plus souffrir : penser que ses enfants, comme lui petit, sont actuellement privés de leur père. Exactement ce qu’il voulait leur éviter. » En prononçant ces mots, Marie-Pierre Faye, 31 ans, Sénégalaise résidant à Chelles (77), éclate en sanglots. Elle a beau être courageuse, elle a beau tout faire pour protéger ses trois garçons – François, 8 ans, Laurent, 6 ans, et Kevin, trois ans et demi – il arrive que Marie-Pierre craque de devoir tout porter depuis près de deux mois.

Histoire d’une migration

Tout est arrivé le samedi 10 février dernier. Ce jour-là, son mari, Samiel, 37 ans, Sénégalais comme elle, part conduire la voiture familiale à réparer. Il ne reviendra pas. Sur la route, un banal contrôle routier se transforme en contrôle d’identité.

Pour Samiel, c’est la catastrophe : sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière, il est conduit en garde à vue au commissariat de Chelles, puis transféré, dès le lendemain, en centre de rétention du Mesnil-Amelot, malgré l’intervention de la mairie et des militants du Réseau Education Sans Frontières (RESF. « Il devait être jugé le 15, mais a été conduit à l’aéroport la veille pour être expulsé », raconte Marie-Pierre.

Avec 15 euros en poche, sans avoir revu sa femme et ses garçons, Samiel Faye se retrouve à Dakar quatre jours à peine après avoir été contrôlé ! « C’est ma mère qui l’héberge, poursuit Marie-Pierre, car il n’a plus de famille au Sénégal. »

Elevé par une tante, Samiel est arrivé en France en 2000 avec un simple visa touristique. « Il voulait voir si c’était possible de travailler pour faire venir la famille », raconte sa jeune épouse. Avec son CAP de menuisier, son goût du travail bien fait et sa discrétion, il a toutes les cartes en main pour se faire une place dans l’Hexagone. Deux ans plus tard, sa femme et les deux aînés viennent donc le rejoindre, toujours avec un visa touristique.

En 2004, Samiel, qui voit que tout se passe bien, dépose une demande de régularisation. En vain. Après plusieurs appels rejetés – le dernier par le Conseil d’Etat -, il fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière en mai 2006, est conduit une première fois en centre de rétention, puis remis en liberté. C’est le moment où le ministre de l’Intérieur rédige des instructions – la fameuse « circulaire Sarkozy » – sur les conditions de régularisation des familles ayant un (ou des) enfant(s) scolarisé(s).

A priori, les Faye remplissent à peu près tous les critères : plus de deux ans de séjour en France, deux enfants scolarisés, une parfaite intégration et une bonne maîtrise de la langue. Tous les critères… sauf un : Marie-Pierre n’a pas fait sa demande de régularisation. Dans un département – la Seine-et-Marne – où 14 % seulement des demandes vont recevoir un avis positif, ce simple handicap devient motif de rejet. Voilà donc la famille exclue de la régularisation Sarkozy.

Une forte mobilisation

A Chelles, près de deux mois après l’expulsion de Samiel Faye, la mobilisation des habitants reste remarquable. Chaque semaine, une réunion rassemble à l’école des dizaines d’enseignants, parents d’élèves, militants associatifs ou simples citoyens.

Pour soutenir la famille, désormais sans ressources, la mairie a pris en charge le loyer, la cantine scolaire est dispensée gratuitement, et un caddy, placé en permanence à l’école, assure une collecte alimentaire. « Le soutien moral et politique est très fort », témoigne Brigitte Cerf, une militante de RESF très impliquée aux côtés de Marie-Pierre.

La bataille juridique, en revanche, s’avère plus ardue : « Le Sénégal a signé avec la France, en juin dernier, un texte qui facilite largement les expulsions. Si bien que nous ne pouvons guère tenter d’invalider la procédure. » Trois pistes restent ouvertes pour ramener Samiel vers les siens : jouer sur la nationalité française qu’avait son grand-père ; obtenir une promesse d’embauche d’un employeur français ; ou faire régulariser Marie-Pierre pour essayer, ensuite, d’obtenir un regroupement familial. « Une hypothèse qui dépendra largement du résultat des présidentielles », commente, lucide, Brigitte Cerf.

En attendant, Marie-Pierre tente de garder le sourire, de rassurer ses enfants. « Le second est comme son père : très courageux. C’est l’aîné qui m’inquiète : je le sais fragile, mais il refuse d’en parler. » Il n’y a que le soir, au moment de la prière, que les trois garçons osent formuler à haute voix leur rêve le plus cher : « Ils demandent à Dieu de donner des papiers à papa et maman ».

Une pétition pour le retour à Chelles de Samiel Faye est disponible en ligne, sur le site du Réseau Education Sans Frontières

Pour tout soutien à la famille Faye (dons, collecte alimentaire, promesses d’embauche…), on peut envoyer un mail à Brigitte Cerf (brigitte.cerf@tiscali.fr). Ou écrire à RESF 77 : Mairie de Chelles 77500 Chelles.



Une enquête lancée par RESF sur l’« effet miroir »

Maintes études existent sur les effets subis par les victimes directes d’actions violentes. En revanche, on a rarement étudié les séquelles que de tels actes laissent dans la population non directement touchée. Soucieux de s’intéresser aux voisins, aux amis, à l’entourage d’enfants expulsés ou vivant sous la menace d’expulsion, le Réseau Education Sans Frontières lance, avec tous ceux qui souhaitent s’y associer, une enquête épidémiologique afin de comprendre les effets pathogènes que cette réalité sociale génère sur la population. Pour lancer cette enquête, une réunion publique est organisée, le mercredi 25 avril à 20 h, à la salle Olympe de Gouges (15 rue Merlin, Paris XIe) avec la participation de Miguel Benasayag, psychanalyste, et de Pierre Cordelier (RESF).

Site : http://www.educationsansfrontieres.org/

Au sujet de Philippe Merlant

Journaliste professionnel depuis 1975 (France Inter, L’Equipe, Libération, Autrement, L’Entreprise, L’Expansion, Tranversales Science Culture et aujourd’hui La Vie) et co-fondateur du site Internet Place publique, Philippe Merlant travaille depuis 1996 sur les conditions d’émergence d’une information « citoyenne ». Il a été le co-auteur ou le coordinateur de plusieurs livres collectifs, notamment : Histoire(s) d’innover (avec l’Anvar, Paris, InterEditions, 1992), Sortir de l’économisme (avec René Passet et Jacques Robin, Ivry-sur-Seine, Editions de l’Atelier, 2003) et Où va le mouvement altermondialisation ? (avec les revues Mouvements et Transversales, Paris, La Découverte, 2003).

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