50 000 personnes environ se sont rendues au Forum social mondial (FSM) de Nairobi (Kenya) entre le 20 et le 25 janvier 2007 ; les plus optimistes en attendaient le triple. Est-ce à dire que le Forum est un échec ? Est-ce à dire que la formule a vécu et que la société civile mondiale doit désormais trouver d’autres moyens de manifester sa force ? Questions en suspens. En attendant d’y répondre, retour sur un rassemblement hors du commun.

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Des Sri-lankaises portant haut les couleurs de leur syndicat. Une Américaine de Boston étudiant la société civile. Des Massaïs venus témoigner de leurs conditions de vie… Pendant cinq jours, la planète est rassemblée au Forum social mondial qui, pour la première fois, s’est tenu en Afrique. A Nairobi, capitale du Kenya, plus exactement. Pendant cinq jours, des ONG, syndicats et autres associations ont parlé d’un monde dont ils ne veulent plus et imaginer ensemble des alternatives. « Indeed another world is possible » (1) peut-on lire sur nombre de tee-shirts. Slogan désormais célèbre, et qui ne se démode pas.

Et pourtant, le Forum social mondial montre des signes d’essoufflement. Loin, très loin de l’enthousiasme suscité par les éditions de Porto Alegre (voir encadré). Loin aussi de la couverture médiatique dont le FSM a d’abord bénéficié, détournant les projecteurs braqués sur Davos et son Forum économique. Une raison à cela : « Au départ, tel un nouveau-né, le FSM était plein d’espoir. Maintenant, à l’âge qu’il a atteint, il doit être plus sage ; c’est un autre processus qui commence », explique le Brésilien Candido Grzybowski, l’un des fondateurs du FSM.

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Les pauvres de Nairobi

Et puis, qui dit autre ville et autre pays, dit autre contexte politique et économique. A Porto Alegre, berceau des budgets participatifs, le terreau était favorable et la société civile, ainsi que les autorités locales, très impliquée dans l’organisation du Forum. Preuve en est cette démonstration de force que constituait la manifestation d’ouverture du Forum. La planète rassemblée faisait corps. Moment collectif. Moment festif. Rien de tout cela à Nairobi si ce n’est une cérémonie d’ouverture sans saveur, où des discours fleurant bon l’anti-américanisme primaire et l’anti-sionisme douteux ont fait rage… Sans nuance, sans paradoxes, sans complexité, sans propositions… Au-delà de la critique, quid de cet autre monde ?

Et puis, surtout, que penser d’un Forum qui, par le truchement de son prix d’entrée, – 500 schillings kenyans soit 4,50 euros – interdit son accès aux pauvres de Nairobi (dans les autres éditions, l’entrée était gratuite pour la population locale), pourtant majoritaires dans la capitale. Une Kenyane, Wangui Mbatia, porte-parole non officielle des exclus du Forum, le dit avec force : « Soyez les bienvenus au Kenya, vous êtes ici chez vous. Moi, je suis chez moi… et je ne suis pas la bienvenue ! » (Voir « Wangui Mbatia, la femme debout »). Et pour cause : avec la somme exigée à l’entrée, sans compter le transport (le FSM s’est tenu à Karasani, stade situé à 10 kilomètres du centre de Nairobi), une famille kenyane mange pendant une semaine… Oui mais voilà : les organisateurs ont du mal à boucler leur budget. Ceci expliquant sans doute cela (2)…

In fine pourtant, les Kenyans auront gain de cause : le dernier jour, le Forum leur ouvre ses portes. Des dizaines d’enfants des rues, affamés, se ruent alors dans l’un des restaurants installés au sein du Forum en criant « We want food, we want food » (3), applaudis par certains participants qui se lèvent pour leur laisser la place et chassés par les tenanciers du restaurant dépassés par cette « invasion ». Moment de stupéfaction. Moment de questionnement. Que peut le FSM face à cette injonction ? Et est-ce l’une de ses contradictions que de ne pouvoir y répondre ? Wangui Mbatia, elle, affirme que « la pauvreté est le moyen d’attirer des participants au FSM de Nairobi, mais qu’elle ne constitue en aucun cas une question-clé pour les organisateurs ».

Du coup, elle et d’autres « membres » de son Parlement du peuple (Voir « Wangui Mbatia, la femme debout ») organiseront un autre forum, dans un parc de la ville, gratuit et ouvert à tous. Le FSM provoque donc à son tour un « contre-forum », signe peut-être de l’institutionnalisation inéluctable d’un événement qui célèbre sa 7e édition (voir encadré).

La victoire en chantant

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Et pourtant, malgré ces questions, malgré ces contradictions, les participants, réunis pour cinq jours et majoritairement originaires d’Afrique – ce qui constitue en soi une réussite -, s’affairent. Et de cette agitation colorée, multiple, se dégage une extraordinaire énergie. Partout, des banderoles accusatrices fleurissent – « Shell, use your profit to clean your mess » (4), pour n’en citer qu’une -, des pétitions se signent, des tracts se distribuent, des manifestations s’organisent, des conversations s’engagent, et des tee-shirts « à message » se vendent à tous les coins du stade. On peut y lire tour à tour « A real man don’t abuse women », « Stop, think and resist », « We belong to each other » et même… « Etre Parisiens autrement », signé Caritas France…

Et puis, nous sommes en Afrique, et la multiplicité des danses et des chants proposés par divers groupes, de là ou d’ailleurs, en témoigne. Des jeunes-filles kenyanes dansent au rythme des djembés tandis que des Sud-africains chantent, le poing levé, « I am a socialist »… Spectacles permanents, ces happenings improvisés font parfois oublier l’atelier annulé sans autre forme de communication ou les traductions inaudibles en raison du bruit permanent. Le programme est riche… quand on a la chance de l’avoir entre les mains. La version papier se fait rare, et seuls quelques privilégiés auront la chance de le consulter dès le premier jour. Les autres devront attendre. Une participante ose un parallèle : « A Davos, ça ne doit pas se passer de la même façon ».

Des ateliers et des actions

Malgré le chahut constant et les couacs techniques, dans les ateliers, au nombre de 1200, on travaille. On y parle dette, eau, médias, lutte contre la pauvreté, sida, droits de l’homme, démocratie… On échange des expériences, on prend part à des débats, on écoute des exposés, on se re-mobilise… Et on agit. Telle est la nouveauté du FSM 2007 : la quatrième journée mise en place par les organisateurs se veut celle des actions concrètes, à programmer entre plusieurs collectifs dans le cadre des 21 thématiques traversant le Forum : l’eau, le combat des femmes, le logement, les droits humains, la jeunesse, etc. (5) « Nous planifions notre futur », résume en une phrase Candido Grzybowski.

Plus question de donner l’impression que ces grands messes ne servent à rien. L’heure est à l’action et la remise en cause de l’intérêt même d’organiser d’autres FSM. L’an prochain, c’est déjà décidé, à la place d’un rassemblement mondial, une journée programmée à une date précise (encore inconnue) fera l’objet partout dans le monde d’actions diverses : forums sociaux locaux, happenings en tout genre, débats, etc.

Chico Whitaker, autre initiateur des FSM, conclut : « Grâce au dialogue, aux rencontres, aux échanges, aux apprentissages mutuels, à l’identification des convergences, aux nouvelles initiatives nées à partir de ces convergences, différents types d’opérations seront menés. Aujourd’hui, nous devons aller le plus vite possible vers l’action, car il y a urgence à changer le monde ».

(1) « Un autre monde est décidément possible »

(2) Selon notre confrère de Politis, le coût provisoire du Forum est estimé à 5 millions de dollars. Le gouvernement italien en a financé un quart, mais près de 40% restent à couvrir.

(3) « Nous voulons de la nourriture »

(4) « Shell, utilise tes profits pour nettoyer ton bordel »

(5) A lire sur le site du FSM.



Le FSM en date et en chiffres

2001 : Premier Forum mondial à Porto Alegre, Brésil, 20 000 participants. Les deux éditions suivantes se tiendront dans la même ville.

2004 : Le FSM se tient à Mumbaï en Inde, 130 000 participants.

2005 : Retour à Porto Alegre, 160 000 participants.

2006 : Trois forums sont organisés en parallèle, à Bamako (Mali), Caracas (Venezuela) et Karachi (Pakistan).

Crédits photo : Anne Dhoquois

Au sujet de Anne Dhoquois

Anne Dhoquois est journaliste indépendante, spécialisée dans les sujets "société". Elle travaille aussi bien en presse magazine que dans le domaine de l'édition (elle est l'auteur de plusieurs livres sur la banlieue, l'emploi des jeunes, la démocratie participative). Elle fut rédactrice en chef du site Internet Place Publique durant onze ans et assure aujourd'hui la coordination éditoriale de la plateforme web Banlieues Créatives.

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