Lettre ouverte à Bertrand Delanöe, « Maire de tous les parisiens, de toutes les convictions »*

Nous, gouines, pédés, trans, féministes mais aussi parisien-nes, qui avons assisté à l’inauguration du parvis Jean Paul II dimanche 3 septembre dernier, nous avons protesté et continuerons de protester contre la décision de votre Mairie d’honorer un dignitaire religieux qui s’est illustré pendant des années par une propagande contre l’IVG, contre les droits des femmes, contre l’usage du préservatif, contre le respect des homosexuel-les et des transexuel-les.

Si nous avons choisi d’interrompre votre discours en détournant votre propre campagne de lutte contre le sida en scandant « Paris protège la trans-lesbo-homophobie, le sexisme, le sida, le Vatican », c’est parce que nous sommes en colère contre le vote de votre Conseil municipal. Celui-ci s’est en effet précipité pour satisfaire un certain électorat en balayant d’un revers de main les cinq années d’attente généralement observée entre le décès d’une personnalité et l’attribution de son nom à un lieu public. Votre alliance avec l’UMP à cette occasion est révélatrice de votre opportunisme électoraliste.

Pendant que toute la journée, nous avons tenté d’exercer pacifiquement notre liberté d’expression ; le soir même, vous ne vous priviez pas dans les médias de vous attaquer aux militant-es en les qualifiant « d’intégristes »*!

Nous qui aimons bien nous exprimer librement dans l’espace public regrettons que la Mairie de Paris, non contente d’offrir gracieusement l’espace public aux catholiques les plus réactionnaires (il est étonnant que ce soit Jean-Paul II qui ait eu les honneurs alors qu’il était contesté à l’intérieur même de son clergé par les progressistes) ait cautionné l’interpellation par les forces de l’ordre d’une centaine de personnes au mépris de la liberté d’expression et celle de circuler.

Selon un protocole qui faisait une large part à la discrimination (des personnes ont été interpellées pour avoir l’air un peu trop homosexuel ou pas assez catholique), les personnes arrêtées parce qu’elles avaient juste exprimé un désaccord ou parce qu’elles portaient un tract ou un autocollant indiquant une appartenance à une association féministe ont été systématiquement fouillées, arrêtées, molestées, parquées. Des journalistes ont été malmené-es et certain-es se sont même vu-es confisquer la cassette de leur caméra.

Nous refusons d’être qualifiés de « sectaires »* quand vous honorez un chef religieux catholique surtout dans un pays où l’angoisse du communautarisme diabolise toute notion d’identité de genre et sexuelle, religieuse et culturelle.

Vous avez déclaré que « la laïcité, la Séparation de l’Eglise et de l’Etat, à laquelle [vous êtes] profondément attaché n’implique en rien l’ignorance réciproque »*. Nous prenons acte du fait que vous n’ignorez pas la foi catholique et lui offrez une des plus prestigieuses places de la capitale. Mais qu’a donc fait l’Eglise catholique pour reconnaître la situation des femmes dominées et exploitées par un sexisme institutionnalisé ? Qu’a fait l’Eglise pour arrêter d’ignorer les violences commises envers les homosexuel-les et les transexuel-les ?

Nous sommes étonné-es de vos louanges concernant « sa clairvoyance active, érigée tel un rempart contre toutes les dérives intégristes »** alors que son soutien à des régimes d’extrême droite d’Amérique Latine telles que celle de Pinochet n’est pas à démontrer ou que l’Opus Dei a prospéré sous son pontificat.

Mais finalement, nous tenons à vous remercier. Oui, vous admettez tout de même que cet hommage a pu « heurter certaines sensibilités »* :

 toutes les femmes qu’on culpabilise chaque jour dans leur choix d’avorter vous remercient quand on leur dénie tout simplement le droit à disposer de leur corps ;

 les homosexuel-les et les transexuel-les qui sont aggressés dans le monde entier vous remercient. Quand leurs droits fondamentaux sont violés à chaque fois que Jean-Paul II a tenu ses propos d’incitation à la haine.

A propos de la légalisation du mariage des couples homosexuels, il déclare ainsi « on doit se poser la question de savoir s’il ne s’agit pas d’une nouvelle « idéologie du mal », peut-être plus insidieuse et plus occulte […] que le nazisme » (Mémoire et Identité, 2005) ;

 les 25 millions de morts du sida vous en sont reconnaissants. Quand le continent africain est en train de mourir avec 40 millions de personnes infectées par le virus, cette « sentinelle majeure des temps modernes » n’hésite pas en 1988 à déclarer qu' »aucune considération personnelle ou sociale n’autorise l’emploi de contraceptifs » parce que comme chacun sait « la chasteté est le seul moyen pour mettre fin à la plaie tragique du SIDA » (visite en 1993 en Ouganda).

Nous devrions peut-être nous résigner à assister à l’influence puissante de l’Eglise catholique qui a du mal à lâcher ses préceptes d’un autre âge… Mais ce que nous refusons et que nous refuserons toujours c’est la logique dangereuse dont fait preuve aujourd’hui la Mairie de Paris qui consiste à collaborer à une idéologie homophobe, sexiste et profondément réactionnaire en accueillant le religieux dans l’espace public et ainsi à le laisser peser dans le débat politique. On est en droit d’attendre qu’un homme de gauche ne privilégie la bonne entente entre les religions au détriment des droits des femmes, des gouines, des trans, des pédés.

Monsieur le Maire, vous pensez sûrement que nous ne sommes pas des sentinelles de la paix, mais nous sommes vigilant-es et nous sommes convaincu-es que Jean-Paul II n’a pas « sa place dans la trame de notre cité »**.

Les Panthères Roses

* Propos tenus suite aux protestations exprimées le jour de l’inauguration

** Discours d’inauguration du Parvis Jean-Paul II

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