Loin de l’image grisâtre du « tecos » des cabinets ministériels, François Bordes se rêve en entrepreneur associatif d’une écologie humaniste. Au risque de choquer les puristes.

BordesPP.jpgUn parfait technocrate. C’est ce qui ressort du CV officiel de François Bordes. Le mot le fait sourire. Et pourtant. À 21 ans, il enchaîne Polytechnique et Mines. À 27, il est nommé expert national détaché à la direction générale « commerce » de la Commission européenne. De retour à Paris, il travaille pendant un an et demi à la direction générale des entreprises. Aujourd’hui, le voilà conseiller technique auprès de Nelly Olin au ministère de l’Écologie et du Développement durable. « J’ai eu du bol », commente-t-il.

Pas sûr que la chance ait beaucoup à voir dans sa nomination comme conseiller technique chargé de la santé environnementale et de l’énergie renouvelable au cabinet de Roselyne Bachelot, alors ministre de l’Écologie pour quelques mois. L’homme vient en effet de l’industrie où il était spécialiste… des quotas de CO2. Autant dire que ses connaissances ont été jugées précieuses pour élaborer le plan climat, lancé alors que Serge Lepeltier avait – provisoirement – hérité du portefeuille. François Bordes ne dit rien de la polémique qui a accompagné le lancement de ce plan, jugé très en dessous des ambitions affichées.

Il n’en garde pas moins, bien en vue du visiteur dans son bureau, une impression A3 du dessin de Plantu paru à la une du Monde. On y voit Jacques Chirac présidant une tablée qui lui réclame une blague. « Euh… fracture sociale ! », lâche le Président, suscitant l’hilarité générale. L’assemblée réclame : « Une autre, une autre ». Et Jacques Chirac de lancer : « Euh… Plan Climat ! », faisant rouler les convives sous la table.

De tout cela, François Bordes ne parle pas. Il énonce des résultats, bien dans son rôle de technicien : mise au point du plan climat, participation au lancement du plan de quotas de CO2 dont la deuxième étape est en cours de définition. Il respire la fierté de la mission accomplie même si aujourd’hui, ce sont d’autres sirènes qui le happent : le développement durable et la solidarité…

Business model contre mère Teresa

Derrière ses lunettes, l’homme sourit. On le sent épanoui. Peut-être parce qu’il a enfin réussi à donner « un sens » à son « boulot » grâce à son activité associative, HumanVillage ; sa « bulle d’oxygène », confie-t-il. Attention, François Bordes n’est pas mère Teresa ou l’abbé Pierre, comme en témoigne la genèse de l’association. Il relate : « Avant Bruxelles, j’ai travaillé à New Delhi. Lors d’un voyage dans l’Himalaya indien, j’ai fait la rencontre d’acteurs associatifs dont la structure avait permis à 500 enfants, orphelins pour la plupart, de recevoir une éducation jusqu’à l’âge adulte. J’ai été fasciné par l’énergie déployée par ces gens ».

A son retour en France, il décide de lancer le portail « humanitarianvillage.com » qui met en relation les offres de service de bénévoles et les besoins des associations. Son business model tient en une phrase : faire payer chaque mise en relation par les dites associations. Mais ses plans se heurtent au principe de réalité : celles-ci n’ont pas les moyens de payer… Dommage, « ça aurait permis de professionnaliser les relations entre bénévoles et associations », s’exclame-t-il.

Aujourd’hui, il est bien au clair sur les nouveaux objectifs poursuivis. HumanVillage (nouveau nom du site), c’est d’abord un état d’esprit, la « positive attitude ». « Car sur la solidarité ou l’écologie, la communication est souvent institutionnelle, catastrophiste ou donneuse de leçons », regrette-t-il. Son idée force : ce ne sont pas les héros qui changent le monde, mais vous et moi. Le site se fait donc l’écho de gestes concrets, à la fois annuaire associatif et guide d’action. Son credo : permettre à tout un chacun de devenir un citoyen responsable et de réaliser chaque jour des gestes utiles pour la solidarité et pour l’environnement.

C’est la même philosophie qui inspire les conférences des bonnes nouvelles de l’écologie et de la solidarité. Objectif : « sortir du virtuel ». « J’ai la chance d’avoir une patronne géniale (ndlr : Nelly Olin, ministre de l’Écologie) qui m’a soutenu dans mon projet et est venue à la première conférence pour lui donner de l’ampleur », s’enthousiasme François Bordes.

Résultat : 200 personnes à la première, qui a fait se côtoyer les directeurs du développement durable de plusieurs grandes entreprises françaises et des responsables associatifs. Deux autres ont suivi, l’une sur le micro-crédit, l’autre sur différentes initiatives porteuses d’espoir. À la rentrée, d’autres conférences sont au programme et elles devraient accueillir quelques ministres.

« On utilise les techniques de l’entreprise »

La collusion avec le pouvoir politique, François Bordes l’évacue d’un revers de la main : « On avait besoin de ça comme d’un tremplin, mais l’association est indépendante des ministères et du politique », affirme-t-il. Il en veut pour preuve la « pluralité d’opinion » qui règne au sein de son équipe, une douzaine de membres bénévoles au total. Lui insiste sur les compétences : « C’était très amateur jusqu’à il y a un an. Aujourd’hui, on a fait entrer dans l’équipe des gens avec lesquels j’avais déjà travaillé, des professionnels de la communication, du web, de l’entreprise, de la politique ».

Un professionnalisme que François Bordes assume et revendique : « On utilise les techniques de l’entreprise, efficacité et rigueur, dans le domaine de la solidarité et de l’écologie. C’est ce qui nous a apporté nos partenaires ». Parmi lesquels BNP-Paribas, Suez Environnement, la SNCF, Veolia Environnement ou La Poste qui financent l’association, son site web, les conférences des bonnes nouvelles, les plaquettes de présentation…

Des soutiens de taille, qui permettent à François Bordes de voir les choses en grand. Sûr de multiplier ses 30 000 visiteurs par mois comme des petits pains, il pense déjà à l’étape suivante : « Le dernier étage de la fusée sera une émission de télévision pour s’adresser aux gens qui ne s’intéressent pas à l’écologie et à la solidarité en communicant de manière très ludique sur ces sujets ». S’il réussit ce pari, François Bordes tiendra peut-être là son business model.

Site : www.humanvillage.com/