Cet article est issu du magazine rennais « Revue de quartier »… « Mémoire collective et expression citoyenne », c’est au travers de ces identités que nous avons pensé ce premier numéro de Revue de Quartier… Un premier numéro que nous avons voulu en forme de recueil, sans rubriques ni construction coercitive, afin de respecter au plus juste ces paroles de citoyens, ces aperçus de vie de quartier… Pour favoriser l’émergence citoyenne !

couV_RDQ.jpg Par une matinée ensoleillée d’un mois d’août 2002, un prélude quelque peu spécial commence… Il est huit heures du matin, nous sommes réunis dans la zone « Cementerio » de la ville de La Paz, en Bolivie. Nous attendons un minibus qui doit nous conduire vers Pucarani (petit village du haut plateau bolivien, dans la province Los Andes du département de La Paz).

Il y a David Quisbert, Antonio Choque, David Carpio, Virginia Bautista et Oswaldo Cárdenas, mais aussi notre frère « Titi », le yatiri désigné pour la cérémonie principale et membre des communautaires du village. Il y a aussi nos frères français, Clément, Herbert, Lise et Olivier, tous remplis d’enthousiasme et résolus à concrétiser l’objectif que nous avions fixé pour ce jour là : la fondation de l’association Inti Taypi.

Pendant le voyage, nous traversons une bonne partie de l’imposant haut plateau, région merveilleuse, immense et entourée de majestueux sommets enneigés. Avant midi, nous arrivons au village de Pucarani où nous nous retrouvons avec quelques communautaires ; nous nous dirigeons immédiatement vers le lieu choisi pour effectuer la cérémonie de fondation : la montagne Wilantaña. Après avoir traversé des fleuves, des lacs, des déserts et de grandes steppes, nous nous approchons enfin du pied d’une grande montagne. C’est la « Wilantaña Achachila » sacrée, qui se dresse avec défiance dans les hauteurs, au cœur même du haut plateau bolivien. C’est aussi le refuge de condors, de pumas et de Alcamaris.

Nous faisons une pause au pied de la montagne, et nous préparons une petite cérémonie afin de demander l’autorisation aux esprits de nos ancêtres qui y habitent de pouvoir accéder jusqu’au sommet de la montagne sacrée. La demande se fait dans le cadre d’une petite cérémonie. Nous distribuons la feuille de coca sacrée pour ensuite tous ensemble invoquer la présence des achachilas au moyen de quelques bouffées de cigarette et de gorgées d’alcool : ceci s’appelle la ch’alla, un acte de salut et d’invocation pour obtenir des esprits ancestraux l’autorisation de monter au sommet et de réaliser l’offrande.

Le Yatiri étale des feuilles de coca sur le sol et verse un peu d’alcool. Il allume une cigarette… Il fume tranquillement et expire la fumée dans l’air. Il prononce de courtes paroles en aymara et demande à la montagne d’accepter notre offrande et notre demande pour monter à son sommet. Après un long silence, le Yatiri se met à genoux et commence à déchiffrer la coca étalée sur le sol, puis en faisant un mouvement de la tête, il nous annonce que notre demande a été acceptée. La challa est initiée, chacun répand de la coca et de l’alcool en signe de remerciement. Arrive ensuite le « pijcheo » de la coca dont le goût est agréable.

Ainsi démarre l’ascension du « Wilantaña », nous marchons entre la paille dure, les flaques d’eau, des chemins accidentés et d’immenses pierres taillées par le cours du temps et par les hommes qui ont élevé de grandes civilisations.

Au bout d’une heure, nous arrivons déjà au sommet du « Wilantaña Achacahila », là où habitent les esprits des Incas, les aymaras, « mamakoyas », « mallkus », « mamat’allas », « irpiris » et « uywiris », ancêtres qui rendent toute cette nature sacrée. Nous nous trouvons face à la sage vérité de nos ascendants, qui n’absorbe, n’abîme, ne vole et ne détruit pas, qui laisse l’homme se réaliser complètement mais qui exige de nous tous le respect et la compréhension de la nature : quitter l’être tellurique pour s’élever à l’être spirituel. Etre un humain pour devenir la nature et être la nature pour devenir un humain.

Après avoir mastiqué la feuille de coca, « Titi », notre prêtre, commence les préparatifs de la cérémonie à laquelle nous participons tous en concentrant les énergies et les désirs sur la « table » offerte. Une ferveur séculaire nous paralyse tous, nous revivons des rites ancestraux majestueux et sacrés… Le yatiri a allumé le feu en « phuru », les flammes qui se dégagent du bois laissent lentement l’offrande se consumer. C’est un moment transcendantal où le passé devient présent et le présent devient passé. Il s’agit du moment d’expression maximale, c’est la consécration de Inti Taypi aux achachilas et à la communauté.

Nous sentons le flux d’énergies émanant de « Illimani », « Qaqajaqe » et « Illampu », les achachilas nous observant immuables. Se sont des énergies qui par « Titi », le yatiri, se canalisent vers nous. Le temps s’est arrêté. Nous entrons en harmonie totale avec la nature.

Au milieu de l’offrande, nous voyons s’approcher un oiseau, c’est un Alcamari qui commence à voler autour de nous et disparaît ensuite dans les montagnes. Plus haut, un peu plus loin, un autre oiseau commence à effectuer des cercles autour de la montagne. Il est plus grand et plus imposant. Le yatiri lève le regard, le contemple, puis se met à genou en l’implorant. Il entame une sorte de conversation, de supplication. Il nous explique ensuite que l’oiseau est le condor sacré et imposant des Andes. Titi, en déchiffrant la forme du vol, nous fait comprendre que d’après celle-ci et l’approche de l’oiseau vers le groupe, l’année sera prospère pour chacun et la récolte bonne pour la communauté. En faisant des tours vertigineux, le condor commence à prendre de la hauteur pour s’éloigner en direction du haut de la montagne, lieu encore inaccessible à l’homme.

Au milieu de l’après-midi, nous sommes descendus de la montagne sacrée et la fondation de l’association Inti Taypi est réalisée.

Tous ensemble avec la communauté, nous participons à la fête du village. Tout le monde danse, chante et joue de la musique. Hommes et femmes versent bière et chicha sur le sol comme une offrande à la terre ; nous partageons tous avec la terre, nous donnons tous à boire à la terre, en versant des portions d’alcool, de coca, de bière et de chicha. D’autres mangent du poisson frit sur la pierre, le « kharachi ».

Une cérémonie a ainsi été réalisée grâce à laquelle l’association Inti Taypi apparaît comme une alternative à la relégation, à la discrimination et à l’injustice sociale à laquelle sont soumis les peuples originels et les secteurs urbano-populaires de Bolivie.

Un processus d’institutionnalisation s’est développé lorsqu’un groupe de personnes dotées d’expériences dans des organisations non-gouvernementales, de promotion sociale, de développement, de communication et d’éducation populaire s’est proposé de chercher et de trouver des réponses alternatives destinées à orienter des actions appropriées, surtout dans le champ de l’éducation, de la communication et de l’application des technologies, lesquelles ont permis d’aborder les problème de survie et d’éducation dans ces secteurs. Bien sûr, tout cela a été fait grâce à une dynamique de discussion collective entre ceux qui ont apporté de leur travail, de leur temps et de leurs rêves.

Aujourd’hui en Bolivie, l’association Inti Taypi travaille pour un développement harmonieux et équilibré, pour une société plus juste, plus solidaire et avec davantage de respect envers la diversité culturelle et l’environnement.

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