Entretien avec Azzedine TAIBI, adjoint au maire de Stains chargé de « la Jeunesse et de l’Enfance », conseiller Général mais également élu référent pour la Maison de l’Emploi et de l’Insertion.

L’accès à l’emploi est un vrai problème de territoire et de la ville

Le chômage augmente et touche principalement la population peu formée et peu qualifiée. Mais on constate en plus aujourd’hui l’augmentation du chômage des jeunes les plus diplômés. Un homme de 26 ans, titulaire d’un bac + 5, vient de sortir de mon bureau. Il est face au mur comme beaucoup d’autres.
Et au-delà des chômeurs officiels, je pense qu’il faut également prendre en compte les situations de précarité qui ne sont pas diagnostiquées.

Les femmes sont particulièrement touchées

Elles sont moins mobiles à cause des enfants, de l’école, des courses… Pour aller travailler, il faut une organisation d’enfer. Nous vivons un profond paradoxe sur le territoire de Plaine Commune. Beaucoup d’entreprises s’y sont installées mais ne profitent pas à la population locale qui en ressent une énorme inégalité. A juste titre.

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Contre la « discrimination positive »

La discrimination existe, on ne peut pas la nier mais c’est l’empilement des discriminations qu’on a tendance à banaliser : si tu viens à la fois d’un quartier, d’une ville ou même d’un département qui a une mauvaise image et si en plus tu es d’origine émigrée…, tu cumules les difficultés.

Je pense que la politique gouvernementale qui veut se baser sur la notion de « la discrimination positive » amène clairement à marginaliser une grosse partie des citoyens en favorisant une petite partie d’entre elles. La République doit assurer à chacun le droit à un travail et les moyens d’une vie digne de ce nom. Stains de son côté veut suivre un fil conducteur basé sur l’égalité républicaine.

Pour lutter contre la discrimination, il faut commencer par la dénoncer

Sur le bassin d’emploi de Roissy, on attendait légitimement l’embauche de jeunes de la Seine Saint-Denis et on voit aujourd’hui que les habitants des départements de l’Oise et du Val d’Oise décrochent prioritairement les postes. A compétence et formation égales, les candidatures de nos jeunes sont rejetées. Et les raisons restent toujours obscures.

Pour le Conseil Général, lutter contre les discriminations est une démarche globale

C’est une priorité du Département qui n’est réalisable qu’avec l’engagement de l’État et des villes. Un travail partenarial s’engage autour de thématiques telles que l’éducation, la réussite scolaire ou la culture. Le Département travaille à l’accompagnement des jeunes dans leur démarche d’insertion et je pense particulièrement aux jeunes mères célibataires qui vivent dans une situation de plus en plus difficile.

La Seine Saint-Denis n’est pas un territoire de misère et de délinquance, elle est avant tout une terre de solidarité

D’accord pour dire que les problèmes existent mais il n’y a pas que ça. Une campagne de communication est lancée afin de mobiliser tous ceux qui veulent aller dans le sens de changer l’image produite et perçue de notre territoire.

On fait beaucoup mais certainement pas encore assez

Dans le cadre d’une dynamique de proximité inscrite dans une cohérence territoriale avec Plaine Commune, nous défendons le projet « d’ une maison de l’emploi » à Stains qui puisse accueillir, orienter et accompagner les personnes dans leurs démarches d’insertion en prenant en compte la globalité de leurs problématiques.

Propos recueillis par Elisabeth, Rkia et Fereshteh



La discrimination en questions

* La discrimination, c’est quoi exactement ?

C’est « toute distinction opérée entre des personnes physiques en raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur état de santé, de leurs mœurs, de leurs opinions politiques, de leur appartenance vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » (Article 225-1 alinéa 1 du code pénal).

La discrimination, cette distinction qui sépare un individu d’un autre, un groupe social d’un autre en établissant des différences de traitement, se relève dans tous les secteurs d’activité humaine, du logement aux loisirs en passant par l’emploi, qui nous intéresse particulièrement dans ce numéro.

* En quoi consiste-t-elle ?

La discrimination à l’emploi consiste pour un employeur à exprimer éventuellement par des sous-entendus, de manière écrite ou orale, au moyen des mots de tous les jours ou de codes, une volonté de sélection basée sur une perception individuelle qui est socialement construite et sujette à de grandes variations. Finalement, pour des raisons non exprimées, non justifiées et non assumées, un employeur rejette la candidature d’un postulant ou le traite différemment des autres.

* La discrimination à l’emploi entre les hommes et les femmes existe depuis toujours ?

Ou presque… Les différences en matière d’accès à l’emploi, de conditions de travail et de rémunération peuvent être considérées comme de la discrimination sexiste. Dans cette logique condamnable, il apparaît alors normal que les femmes aient des accès moins fréquents à l’emploi, notamment s’il implique des responsabilités. Un semblant « d’ordre naturel » ferait que le temps partiel et les postes précaires reviennent aux femmes dont les salaires sont inférieurs à ceux des hommes. Cet « ordre » n’a pas été mis en cause avant qu’une démarche de sensibilisation collective soit engagée. En 1996, un rapport du Conseil d’État sur le principe d’égalité propose différentes formes d’interventions possibles, cherche à établir l’égalité des chances et travaille à obtenir l’égalité de résultat. En 1999, le Groupe d’ Etude et de Lutte contre les Discriminations (G.E.L.D.) est mis en place ; en 2001 arrive enfin une loi relative à la lutte contre les discriminations, le Fonds d’Action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD) en devient le référent institutionnel.

* Dans le fond, sur quoi la discrimination se base-t-elle ?

Sur des clichés, des représentations, des idées reçues, du racisme, des théories politiques qui reconnaissent l’inégalité des droits… Nous parlons d’actes de discrimination mais nous avons souvent du mal à décrire les raisons qui les sous-tendent. Le colloque organisé sur ce thème en 2002 à Stains a montré à quel point un sentiment d’injustice est fortement ressenti. L’image dévalorisée et déformée de notre territoire (Seine-Saint-Denis) et de sa population est en grande partie responsable des pratiques discriminatoires.

* Qui pouvons-nous joindre si nous estimons avoir été victimes de discrimination ?

Différents dispositifs, à l’efficacité mitigée, ont été installés : les Commissions Départementales d’Accès à la Citoyenneté (codac) sont basées dans les préfectures, le « 114 » recueille les témoignages et les plaintes mais n’a pas en charge la poursuite juridique. La loi de 2001 accorde aux syndicats et aux associations le droit d’agir en justice, elle donne aussi un pouvoir d’enquête élargi à l’inspecteur du travail.

* Comment la discrimination peut-elle être prouvée ?

De façon générale, elle est très difficile à démontrer. En droit civil pourtant, le salarié sans apporter de preuve peut fournir les éléments de fait et il revient à l’employeur de prouver qu’il n’y a pas de discrimination. Au pénal, il faut prouver l’intention de discriminer, ce qui est dans la pratique très difficile.