23h00 au coin de la rue de Douai et de la rue Mansart. Un groupe se forme ; Jacques Bravo, le maire PS du IXe arrondissement, est en avance, complet bleu et écharpe rouge. Peu à peu, ses adjoints rejoignent le groupe. Le cortège, composé d’habitants, de responsables du comité de quartier Clichy/Trinité et d’élus, quitte cet espace élargi, bientôt baptisé place André Breton. But de cette visite nocturne : surprendre le quartier dans son heure la plus chaude et observer, noter les petits tracas qui rendent le quotidien du riverain difficile, tenter d’y apporter une solution, au moins une réflexion et répéter au plus grand nombre « les principales réglementations en vigueur concernant les activités nocturnes ».

Deux jeunes filles s’arrêtent interloquées. Descendues de chez elles « pour acheter des cigarettes », les voilà embarquées. Sabrina et Fatima, ravies, feront toute la balade. « Il est sympa le maire, et rigolo en plus », lance Fatima encore sous le coup de sa rencontre.

Place Berlioz, une grosse dame promène son chien, trois jeunes du quartier, venus rallier le groupe, lui tendent un tract. « J’en veux pas de votre bout de papier, tout ça ne sert à rien. Ça fait trois jours qu’on a plus de lumière dans la rue de Bruxelles, c’est un vrai coupe-gorge. Le maire, c’est bien lui le patron du commissaire de police (1). La police, je les appelle tous les soirs, et ils ne viennent jamais. » Justement à quelques mètres de là, une voiture de police vient d’arrêter un jeune d’une vingtaine d’années, boucle d’oreille et fouille au corps. La troupe le croise et regarde la scène un peu comme si la balade venait d’atterrir en plein feuilleton policier. Moment de silence, le groupe s’ébroue.

Pissotière et pot de fleurs

Un peu plus loin, Monsieur propre du IXe, Alain Gicquel, breton débonnaire, est chargé de trouver une solution pour que les gens arrêtent de pisser dans un coin de rue un peu large, qui abrite, loin des regards indiscrets, une parfaite pissotière improvisée. Avec la déléguée à l’aménagement de l’espace public, Nicole Azzaro, très en verve, il convient de la construction d’un monticule en sable recouvert de gravier qui rétrécira l’angle de la rue et le rendra moins accessible. Puis, décide de fixer une jardinière de fleurs, pour empêcher les pipis nauséabonds. Plusieurs coins à pipi fameux du quartier sont ainsi visités.

La nuit avance et la troupe grossit d’habitants séduits par cette drôle d’engeance nocturne, qui marche en parlant bruyamment. Un couple sort du resto et se joint au groupe. Rue de Bruxelles, devant une crèche halte-garderie, les motos campent sur le trottoir agrandi. Là, un complexe stratagème de plots est imaginé pour les bouter hors du périmètre. Chacun y va de sa petite anecdote sur les motos. Des deux-roues, la discussion dérive sur la nuisance maximale : les crottes de chiens. Heureusement, au coin de la rue, de magnifiques façades, bijoux architecturaux , détournent l’attention et les regards. Le neuvième est un arrondissement riche d’immeubles somptueux, gloire d’un passé artistique peuplé de poètes et de musiciens, d’architectes et de peintres.

Le casse-tête du stationnement

« Et si tu touches à ma caisse, attention je descends… » , deux jeunes filles largement émêchées nous interpellent du haut de leur balcon, alors que les tracts pour la tranquillité des riverains sont apposées sur les voitures mal garées. Rue de Bruxelles, les voitures mangent les trottoirs. Il vaut mieux savoir marcher en crabe. Le problème est tellement cuisant que plus personne n’en parle. Aucune solution n’est envisagée pour le moment. Pas de parking, pas assez de places de stationnement et des lieux de spectacles et de plaisir à foison expliquent cette profusion de véhicules.

Descendant la rue Duperré, une jolie façade qui commence à se délabrer met en émoi Jean-Bernard Peyronel, adjoint au maire : « C’est sûrement un propriétaire qui n’a pu assumer l’exigence des architectes des bâtiments de France. Alors il laisse son immeuble tomber en ruine. Et le pire, c’est qu’on ne peut rien faire tant qu’il ne risque pas de causer des dommages. Il faut en arriver là pour que la mairie puisse intervenir. »

Logements et bar à hôtesses

Une petite quarantaine, un brin dégingandé et encore tout en coup de gueule, François Tchekemian, le directeur de cabinet du maire sait encore s’offusquer de l’attribution à mauvais escient de nouveaux HLM de la rue Victor Massé, lorsqu’un nouvel arrivant l’invective sur un sujet sensible. Il veut parler de ces bobos installés au-dessus de chez lui dans l’immeuble racheté il y a peu par l’OPAC et qui « pour un loyer dérisoire ont obtenu cent mètres carrés ». Une collègue lui rappelle, en aparté, les réalités politiques :
« François, tu sais bien que l’on n’a pas notre mot à dire, c’est l’OPAC.» Au rez-de-chaussée de ce groupe d’immeuble, un ancien dancing va d’ici peu abriter la maison des associations.

Une femme, qui a travaillé pendant vingt ans « la nuit au coin de la rue », sort saluer Jacques Bravo. Poignée de main, ils échangent quelques mots sur la mort du jeune David Almeida, tué à coups de couteau rue Chaptal et dont le meurtre a secoué le quartier il y a peu. Puis, la troupe remonte la rue Pigalle, tente de distribuer un paquet de tracts dans les bars à hôtesse et tourne à gauche pour revenir à son point de départ. « Dis-moi Nicole, quels échos a-t-on sur cette placette que nous avons refaite, les gens se plaignent ou sont contents ? » «Tu sais Jacques les gens sont très contents », répond Nicole Azzaro. Encore quelques congratulations et la troupe se disperse, se donnant rendez-vous pour une troisième visite nocturne dans quelques mois.

(1) A Paris comme à Lyon et à Marseille, la police ne dépend pas du maire