A la fin des années 70, plus de la moitié des habitants de la ville du Port, située sur l’île de la Réunion, vivait dans des bidonvilles. Grâce à une politique très volontariste de la municipalité, ces bidonvilles sont progressivement éradiqués et remplacés par des logements “sur-mesure” conçus en étroite concertation avec leurs occupants. Un vrai modèle de participation des habitants.

Dans cette commune réunionnaise, les bidonvilles se sont développés de manière spontanée, il y a de nombreuses années. Depuis près de trente ans, la municipalité s’est engagée dans un vaste programme d’éradication de cet habitat insalubre et en a fait l’un des axes majeurs de son projet de ville. « Au Port, nous en sommes aujourd’hui à la quatrième opération de RHI (résorption de l’habitat insalubre), indique Jean-Yves Langenier, le maire du Port. Nous avions démarré au Coeur Saignant, un quartier qui était à l’époque le plus gros bidonville de l’île abritant 6 000 personnes : nous avions tout rasé et relogé les personnes dans d’autres secteurs de la commune sans prendre en compte ni le vécu ni le tissu relationnel des habitants. Désormais, notre philosophie de la RHI n’est plus celle-là, nous avons expérimenté une approche plus sociale« .

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Réviser ses pratiques

Dans les bidonvilles, explique-t-il encore, « la cohésion sociale est forte. Contrairement à ce qui se passe dans les secteurs neufs que nous avons construits à l’époque, il y existe peu de délinquance et de criminalité« . Ayant vu surgir des problèmes sociaux de cette nature dans les nouveaux quartiers, la ville a ainsi décidé de réviser ses pratiques. Pour l’équipe municipale, la montée de certaines violences s’expliquait, en effet, en partie, par la difficulté des habitants à s’adapter à leur nouveau mode de vie. Passer du bidonville au logement collectif “en dur” disposant du “confort moderne” ne va pas de soi pour quelqu’un habitué à vivre une grande partie de ses journées dehors. L’accession à la propriété, qui était également proposée à certains habitants, ne donnait pas de meilleures réussites car elle ne correspondait pas forcément aux aspirations des familles.

Sauvegarder le tissu d’entraide

Dans les opérations de RHI, la stratégie d’intervention de la commune consiste donc désormais à maintenir, autant que faire se peut, les familles là où elles vivent : « Nous tentons de conserver leur environnement familial et amical et leurs activités. Nous voulons transformer le moins possible la vie du quartier, sauvegarder le tissu d’entraide« , poursuit le maire.

Les familles sont maintenues sur place et, si leur habitat ne peut être réhabilité, il est détruit mais reconstruit au même endroit. Avant d’élaborer quelque projet que ce soit, une équipe de techniciens conduite par un architecte-sociologue rencontre les familles pour comprendre leur mode de vie, leur environnement et… comptabiliser leurs animaux. Dans ces habitations, les animaux occupent, en effet, une place importante : « Dans la RHI du centre-ville, on en a comptabilisé 3 500 pour 1 250 personnes ! Certaines familles avaient 10 aquariums ; je me souviens aussi d’une dame avec 50 tortues et 200 oiseaux« , argumente Attila Cheyssial, l’architecte. La ville a fait appel à lui à la fin des années 90 parce que, dans la conception de ses bâtiments, il prend en compte la vie quotidienne des gens et leurs souhaits de transformation du quartier.

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Une stratégie d’intervention personnalisée

C’est même une méthode de travail individualisé qu’Attila Cheyssial revendique haut et fort : « Je rencontre tout le monde, non pas en groupe mais famille par famille. En moyenne, entre trois et six fois, cela dépend. Je leur rend visite à domicile, un peu comme le ferait un médecin de quartier et j’élabore des solutions de relogements directement avec elles« , explique-t-il. Objectif : arriver à une proposition d’aménagement consensuelle à travers laquelle la famille comprend à la fois quelles sont ses marges de manœuvre et quelles sont les contraintes imposées par l’administration.

Dans le futur projet urbain, tout doit être pris en compte : le tissu relationnel du bidonville, les liens familiaux, les activités, et jusqu’aux plantes ! Par ailleurs, la couleur des façades des maisons, celle des murs, la taille des pièces, le carrelage, tout cela est choisi par les habitants. En règle générale, ils finissent d’ailleurs eux-mêmes une partie des menus travaux, comme la peinture et le carrelage. « Je les considère comme des acteurs, poursuit l’architecte. Les gens ont toujours des capacités, pourquoi ne pas les développer en leur permettant de construire eux-mêmes une partie de leur habitat ?« .

C’est sur le quartier Rivière des Galets, à forte tradition associative, que cette stratégie de participation des habitants est sans doute la plus aboutie. Un atelier d’architecture ouvert y a même été créé : les habitants y viennent pour réfléchir, en commun, à des modèles de cases. Ils ont réalisé une maquette du bidonville existant afin d’en récupérer le sens, le fonctionnement et de pouvoir les transférer au futur projet.

De leur côté, Attila Cheyssial et son équipe présentent, en général, une maquette des futurs projets aux habitants. « A chaque fois que j’ai pu mobiliser les compétences des gens, mes projets ont toujours réussi, raconte l’architecte. J’observe avec beaucoup de satisfaction qu’en transformant leurs maisons, les habitants se transforment eux-mêmes. Pour certains, au chômage depuis longtemps, les travaux sont même un moyen de réapprendre petit à petit à travailler« .

Cette méthode de travail coûte plus cher à la commune. Elle nécessite, en effet, de consacrer beaucoup plus de temps, en amont du projet, à la conception. Pour autant, pour la municipalité du Port, sa rentabilité n’est pas discutable : « Dans les premiers quartiers que nous avons bâtis, les problèmes sociaux qui sont apparus nous obligent aujourd’hui à réintervenir en profondeur sur ces quartiers. Au départ, ce mode d’intervention purement technique et urbain nous a coûté moins cher, mais il n’est pas sûr que ce soit le cas à l’arrivée…« , conclut Jean-Yves Langenier.

Le Port, en bref

Située à 18 km de Saint-Denis, le Port est la plus petite commune de l’île de la Réunion du point de vue de la superficie (1660 ha). Pourtant, sa population a été multipliée par 5 en cinquante ans pour atteindre les 40 000 habitants : 40 % d’entre eux ont moins de 20 ans aujourd’hui.
Le Port, tout comme de nombreuses communes réunionnaises, souffre du chômage. Le taux de chômage avoisine ici les 50 % et les allocataires du RMI représentent près de 23 % de la population (contre 18 % en moyenne sur l’île). 82 % des ménages ne paient pas d’impôts.