Impressionné par les qualités organisationnelles et les idées du mouvement Sauvons la recherche (SLR), Philippe Busquin, le commissaire européen à la recherche, se dit intéressé par la mise à profit, au niveau européen, de cette formidable expérience. Lors d’une réunion, le vendredi 30 avril, le commissaire européen et les responsables de Sauvons la recherche ont ainsi discuté de la création d’une initiative européenne. « L’objectif est de faire remonter les idées concrètes issues des états généraux de la recherche en France et de les soumettre à un débat citoyen européen », a précisé Francis-André Wollman, membre de SLR présent à cette réunion.

Le modèle de démocratie participative, utilisé par les chercheurs de SLR, a, comme on l’a vu, débouché sur l’un des plus grands succès de lutte sociale de ces dernières années. Sur quoi repose-t-il ? Sur trois moteurs.

Le premier, c’est l’utilisation du réseau Internet pour faire remonter toutes les idées, toutes les initiatives, afin de coordonner le mouvement sur le plan national et de déclencher des actions concertées et simultanées. Le site « recherche-en-danger.apinc.org », créé par les chercheurs, a su recueillir les témoignages et contributions grâce à l’installation d’un forum en temps réel.

Fonctionnant comme une place publique, des comptes-rendus réguliers de l’actualité du mouvement, le travail des collectifs locaux, la mise en ligne régulière des communiqués officiels, et surtout le recueil quotidien des signatures de soutien dans le cadre de la pétition nationale, permettent de nourrir le mouvement dans la transparence et de maintenir sa vivacité.

Les états généraux de la recherche constitue le second moteur. Il est piloté par un Comité d’initiative et de propositions très « ouvert » comprenant des chercheurs, des représentants des pouvoirs publics, des universitaires. C’est l’interlocuteur du ministre de tutelle.

De leur côté, les comités locaux-régionaux des états généraux comprennent environ 2/3 de personnes faisant partie de l’enseignement supérieur et de la recherche, et 1/3 d’extérieurs (partenaires de la recherche tels que des associations, des entreprises…). Chaque comité se choisit un bureau qui veille au bon déroulement du travail. Les comités comportent une formation plénière et des groupes thématiques qui peuvent s’adjoindre des observateurs ou des invités. Ils procèdent à des auditions de personnalités qu’ils jugent utiles d’entendre. « L’important, pour tous ceux qui souhaitent participer à ces états généraux, est que leur parole soit entendue. Elle peut l’être en tant que membre du comité local-régional, membre d’un groupe thématique, observateur, personnalité auditionnée, simple participant à une assemblée générale ou contributeur au site web », soulignent les responsables de SLR.

Le troisième élément fort de ce modèle est le pragmatisme du mouvement et son indépendance vis-à-vis des syndicats, et du monde politique. Il repose sur une intelligence tactique de la situation, la faculté d’anticipation des responsables et leur capacité à résister « politiquement » dans la durée. Il a su, en outre, être réactif et faire contrepoids aux multiples avis d’experts qui ont tenté de « manager » la réflexion sur le sujet, en essayant de court-circuiter le débat par une production de rapports.

Les chercheurs ont su habilement conjuguer l’action et la production intellectuelle en occupant le terrain social mais aussi celui des médias. Il se défie de toute attitude dogmatique, mais reste radical dans son objectif. Le processus de démissions des directeurs de labo a été une décision risquée. Il fallait être sûr que chaque signataire joue réellement le jeu. La cérémonie de remise des démissions à l’Hôtel de ville a été un temps décisif du mouvement. Un mouvement « modèle » qui a su conjuguer la stratégie et la tactique et a largement influé sur le comportement des électeurs au moment des élections régionales.

Le mouvement des chercheurs n’a également jamais perdu de vue que son horizon était l’Europe. D’où la volonté de ses représentants de traiter les questions d’organisation, de statut de la recherche, de l’avenir de la recherche fondamentale dans le cadre d’une réflexion plus large sur la science et la société en Europe. C’est d’ailleurs l’un des thèmes de débat des états généraux. La volonté des chercheurs français d’agir sur le plan de la citoyenneté européenne trouve également son fondement dans le souci de ne pas laisser l’Europe aux mains des professionnels et des lobbystes qui parce qu’ils sont en position « d’affaires » détournent l’Europe de sa fonction sociale et éducative.

Le débat est ainsi à replacer dans le contexte du projet de constitution européenne. Quelle est la place de la recherche ? Dans le traité actuel, la recherche apparaît dans les articles 163 à 173. Elle est considérée comme une compétence dite d’appui où la communauté a pour seule mission de coordonner et d’encourager l’action des Etats membres. Ainsi, la communauté n’a pas le droit, à l’heure actuelle, d’adopter des règlements et des directives relatives à la recherche, en fixant par exemple les orientations européennes de la recherche et en les imposant aux Etats membres. Il n’y a actuellement aucune possibilité d’harmonisation ni de rapprochement des politiques en matière de recherche. Le seul outil dont dispose la communauté pour coordonner les politiques nationales est un instrument financier : le « Programme Cadre de Recherche et Développement ». Cet outil n’est qu’incitatif. Les Etats membres peuvent donc orienter leur politique de recherche de la façon dont ils le souhaitent. Il est clair que cela ne peut plus être limité de cette façon. Avec l’objectif des 3 % du PIB pour la recherche d’ici 2010, le besoin d’Europe dans le secteur de la recherche se fait sentir et la mobilisation doit être étendue.

Mais, dans les faits, la politique européenne de la recherche se trouve actuellement « les pieds et mains liés » par les insuffisantes compétences dont elle dispose dans le traité. C’est pourquoi l’idée évoquée par le SLR, après son entretien avec le commissaire Philippe Busquin, de définir ce que peut être une Europe de la science en prise avec la société, mérite d’être soutenue. Un rapprochement avec les citoyens et les acteurs européens de la recherche et de l’éducation est dans ce contexte une voie prometteuse. A quand des états généraux de la recherche européenne ?

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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