Odeurs et couleurs, misère et dignité, colères et solidarité… Quelques heures passées sur le marché Belleville-Ménilmontant, l’un des plus populaires de Paris.

Ce reportage a été rédigé dans le cadre d’une formation animée par Place Publique sur ce mode de traitement.

11 h 20, station Belleville, le marché bat son plein. Première impression, les odeurs. Epices, olives, fruits… tout se mélange. A peine suis-je arrivée, papier et stylo en main, qu’un homme m’accoste.  » C’est pour un reportage ?  » Oui: sur le marché Belleville-Ménilmontant. Sourire. L’homme est chaleureux.  » C’est cosmopolite ici, et il y a beaucoup d’engueulades. Le sang chaud, on le refroidit avec de la pastèque !  » Eclat de rire tonitruant. Puis, montrant des gens :  » Il y a des juifs, comme lui, des arabes, comme moi, des noirs, des chinois, tout ça… Il faut venir ici pour se dépayser…  » Il part, toujours hilare.

Une jeune femme nous a entendus ; elle s’approche, avec une poussette où ses deux filles dorment.  » C’est vrai vous savez, il y a de tout ici. Des « bourges », des moins « bourges », des gens de toutes les couleurs. Des mères de familles, des petits vieux. Et tout le monde se parle. Je viens deux fois par semaine, tous les mardis et les vendredis : j’aime ça ! Et puis, c’est moins cher…  »

J’avance un peu. Entre les poulets rôtis et les poissons, une mercerie. Un homme et sa mère. Elastiques et toiles cirées, de toutes les couleurs. On touche, on demande les prix, on achète… Il a la quarantaine, et les yeux bleus comme la mer. Il fait ce marché depuis vingt ans.  » Mais avant, mon père le faisait déjà. C’est pas très florissant mais vous savez, moi, dans un magasin, je deviens claustrophobe, alors…  » Il s’interrompt pour donner un prix, recommence à parler, mesurant et coupant.  » C’est pas des gens riches, ici. Les « bourges », ils sont plutôt après Ménilmontant. Il y a un autre marché là-bas, plus européen. Ici il y a quelques artistes de la rue Oberkampf mais pas trop de riches. Enfin… on peut être artiste et avoir du fric…  »

La vie est dure sur les marchés. Un marchand de fruit raconte.  » A une heure du matin, je suis à Rungis. Tous les jours, sauf le lundi. Les commerçants n’ont pas de retraite, ils sont tous morts avant, alors ils me font rire ceux qui font la grève.  »

Il est midi, la pluie s’en mêle. On s’agite pour couvrir les étals, pour se réfugier sous les bâches. Les boubous bigarrés se mêlent aux voiles sombres.  » Deux euros cinquante le parapluie !  » propose un vendeur, sans grand succès. Un homme chic, en costume, s’est simplement mis un sac en plastique sur la tête.
Il n’y a qu’un fleuriste sur le marché, un peu plus loin.  » Ca fait vingt ou trente ans que mon patron vend des fleurs ici, dit Faysal, mais ça marche pas trop. Ici, il n’y a que des Arabes, des Chinois et des Africains. Ils n’achètent pas de fleurs. Sur d’autres marchés, il y a aussi des Français : c’est mieux !  »

13 heures : la chasse aux invendus

A 13 heures, on commence à ranger, c’est le début d’une noria de camions.  » On peut rester ici jusqu’à 14 h 30, mais beaucoup partent avant, parce qu’il y a moins de clients.  » Pour ces clients, comme Olivier, un jeune peintre du quartier, c’est pourtant à cette heure-là qu’il faut venir.  » On a plus de chance de trouver encore moins cher. Et puis, je suis pas trop du matin, donc c’est parfait « .

 » Les invendus, on les met au frigo, dans les camions, et on les vend le lendemain sur un autre marché, explique un jeune. Moi, l’après-midi, je me mets dans mon camion frigorifique avec ma caisse de bières. Comme ça, je vends mieux, le lendemain « . Il rigole, redevient sérieux.  » Sauf les fruits pourris, ça, on les jette.  »

Le volailler, lui, est moins souriant.  » Ca fait six mois que je suis ici, et j’arrête à la fin de la semaine.  » Pourquoi ?  » C’est pas des clients ici, c’est des chiens : ils touchent la marchandise. Une salade je veux bien, mais la volaille, non !  »
Les déchets, normalement, doivent être déposés dans des bennes prévues à cet effet.  » C’est dommage, parce que des fois, ils jettent des fruits juste parce qu’il y a une petite tâche, alors qu’il faudrait les donner à des associations : ça servirait « . Pourtant, des fruits par terre, dans des cageots ou à même le sol, il y en a. Et ils sont nombreux à venir se servir quand les étals sont rangés.  » On trouve encore des fruits corrects en épluchant. On y arrive, on s’arrange…  » Un homme, qui fouille dans un sac de pommes, se fait vertement tancer :  » C’est à moi ce sac, c’est moi qui l’ai rempli, n’y touche pas !  » Il recule, passe aux restes d’un autre emplacement.  » Au milieu des fruits pourris y’en a des beaux, et puis les patates ça pourrit pas ! « .

Un peu plus loin, le ton monte. Un vendeur a jeté les restes de son étal dans la benne. Il les avait proposé à deux euros, puis à un, et a préféré les jeter que de les voir partir gratuitement. Un poissonnier, révolté :  » Vous êtes pas au courant qu’il y a de la misère en France ? Ben elle est là, la misère, sur les marchés à cette heure-là, à ramasser des fruits pourris.  »  » Ils sont obligés de venir maintenant et de ramasser, renchérit un autre, et ils ne reçoivent que des insultes et du mépris. Il y en a peut-être qui profitent du système, mais la plupart, ils sont dans le besoin.  »

14 h 40, la Propreté de Paris commence à passer. A la pelle, au râteau, on évacue les tonnes de déchets qui restent, faisant s’envoler les pigeons qui mangent ce que même les plus démunis ont délaissé. Une vieille femme, qui cherche encore, se fait bousculer par des éboueurs :  » C’est trop tard là, tu reviendras un autre jour « .

Les « keufs des marchés » sont là aussi. Une quinzaine, repérables de loin. Tous blancs et en costumes, pas vraiment le profil des gens qui sont ici à cette heure. Le boulevard doit être évacué avant 14 h 30, et ils sont là pour dresser des PV aux retardataires.  » C’est à cause de la pluie, sinon, jamais j’aurais été en retard « .  » Ils viennent que l’été, maugrée un vendeur. L’hiver, non, il fait trop froid, mais là, ils se baladent, c’est plus agréable.  »
A 17 h 30, je repasse. Les camions de la Propreté de Paris sont encore à l’œuvre. Bientôt, le boulevard de Belleville aura retrouvé son aspect habituel.

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